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jeudi 18 août 2016

Interdiction du burkini : haute police ou police du haut ?

​En France, conjoncture compliquée et soleil estival nous font collectivement perdre la tête.
Levons le voile sur le dernier épisode en date.

Années 1970 : le haut impérativement

L'été, lorsque j'étais gamin, sur le littoral de Charente Maritime, les CRS - plaisant acronyme désignant dans l'Hexagone la police anti-émeutes - chargés de sécuriser la baignade délaissaient leur surveillance pour faire la chasse aux rares estivantes qui bronzaient discrètement seins nus.

Au grand dam du pré-adolescent que j'étais, les flics en slip obligeaient les naïades à ragrafer leur soutien-gorge et les menaçaient d'une amende en cas de réapparition inopinée de leurs nichons.

Quelques saisons plus tard, ce conflit des hauts se dénouait et les tétons féminins gagnaient droit de cité sur les plages françaises.

2016 : le haut impérativement pas trop haut

Autres temps, autres mœurs, dans plusieurs communes, les pandores balnéaires doivent désormais s'assurer que les femmes ne sont pas trop vêtues sur le rivage et sanctionner les contrevenantes.

Des arrêtés municipaux ont été pris pour obliger les voiles à être exclusivement sur l'eau et en aucun cas sur le sable.
Le haut doit être bas et - comme on dit à Rio de Janeiro - sans bas.

Bien que le président en exercice de la république française vienne de Tulle, les tissus éponymes ainsi que mousselines et Lycra™ sont interdits de corps féminins aux abords de la Croisette.
Celles qui, pour complaire à leur Très Haut, arborent un haut vraiment très haut sont priées d'aller barboter ailleurs.
Plutôt des meufs à poil qu'à voile !

De hautes interrogations

Ce récent allongement des textes réglementaires pour raccourcir les maillots soulève moult questions dont je suis bien en peine de vous dévoiler les réponses.
  • Une tolérance existe-t-elle pour les jours où le ciel est voilé ?
  • Quelles différences entre robe de bure et bure-kini ?
  • Les hommes ont-ils le droit de venir à la plage couverts des pieds à la tête ?
    Y compris les gauchers moustachus ?
  • Moniales catholiques, bonzes bouddhistes et soudeuses à l'arc peuvent-ils profiter de la mer en tenue de travail ?
  • Le port par les françaises du passe-montagne et du cache-col est-il autorisé sur le littoral ou bien est-il limité aux Alpes et aux Pyrénées ?
  • Les très recouvrantes et très sombres combinaisons de plongée en néoprène conservent-elles leur caractère légal au pays du Commandant Cousteau ?
    Même pour les scaphandrières ?
  • Est-ce possible de parcourir les rues de Cannes sur une bicyclette aux roues voilées ?
  • Les rumeurs selon lesquelles le syndicat des dermatologues, en manque de mélanomes, aurait soudoyé plusieurs mairies sont-elles fondées ?
  • Comment le gouvernement français va-t-il traiter la protestation officielle de son homologue américain ?
    En effet, la firme Invista - anciennement Dupont de Nemours - se dit victime de barrières non tarifaires à l'encontre du Lycra™ sa fibre vedette, le bure-kini en requérant nettement plus que le monokini.
  • Les tuberculeux avec un voile au poumon ont-ils le droit de se soigner par balnéothérapie ?
  • Le costume et le soutien-gorge croisés seraient-ils seuls de mise sur la Croisette ?
  • Est-il exact que les manuels scolaires de français vont comporter une version remaniée du Tartuffe de Molière "montrez ce sein que je ne saurais ne pas voir" ?

La France n'est pas seulement le pays de Voltaire, c'est aussi celui d'Alfred Jarry.

Mono-bure-kiniquement votre

Références et complément
Voir aussi d'autres chroniques et facéties sur la vêture intégrale des femmes à la croyance similaire.
- Rire du voile ?
- L’oppor-Tunis « je retourne mon voile » – Facétie tunisienne d’après Jacques Dutronc
Molière chez Ennadha : le malade islamistaginaire
- L'avenir est à la séparation des sexes
- Le Commandant Cousteau honoré par Moncef Marzouki
- Omniprésence du voile

Télécharger gratuitement en version électronique le Traité de la Tolérance de Voltaire.

Pour les lecteurs, notamment ceux résidant hors de l'Hexagone, qui auraient manqué le débordement de passions en France au sujet du burkini, l'article du journal Les Echos "comment la polémique sur les burkinis a-t-elle enflé ?" fournit un résumé du meilleur aloi.
Le maire de Cannes a ouvert ce bal des faux-culs.

CRS signifie Compagnies Républicaines de Sécurité.

Site de la marque Lycra™ la fibre préférée des burkinis.

lundi 31 août 2015

L'avenir est à la séparation des sexes

En Tunisie, depuis que les kamikazes sur deux roues ont abandonné le port du casque intégral, la croyance du même type connaît un certain succès, voire un succès certain.
Les tenants de cette hyper-théologie se livrent, avec opiniâtreté, à une ségrégation sexuelle d'excellente facture.
À chaque instant et en tout lieu, il leur importe qu'hommes et femmes soient strictement séparés.

Au risque de surprendre, je tiens à souligner que les promoteurs de ce comportement sont résolument modernistes et révolutionnaires.
Malheureusement, afin de ne pas choquer les trop nombreuses personnes à la morale étriquée, ils sont obligés d'avancer masqués en se faisant passer pour d'incurables conservateurs.
Pourtant, la justification principale de cette pratique novatrice est la nécessité d'une osmose et, même, d'une fusion intime entre les deux genres de l'humanité.

Beaucoup trop de pays comme la France, ou, pire encore, l'Europe du Nord, s'avachissent dans un égalitarisme débilitant.
Sous le prétexte fallacieux de ne discriminer personne, les deux sexes n'y ont plus aucun secret l'un pour l'autre, donc plus aucune véritable attirance.
Le commerce charnel, totalement banalisé, s'il est encore pratiqué par habitude, n'intéresse plus guère.

À l'inverse, établir un strict apartheid entre mecs et gonzesses décuple les envies des unes ou des uns vis à vis des autres.
Rien ne vaut la rareté, voire la pénurie, pour susciter le besoin !
Rien ne vaut la prohibition pour décupler l'obsession de la transgression !
Contrairement à ce que la prétendue sagesse des nations occidentales voudrait nous faire croire, la décence, loin de la réduire, génère la concupiscence.

Naguère, les communistes soviétiques avaient sous-estimé ces ressorts puissants de l'âme humaine.
Leur grande erreur a été de construire le Mur de Berlin.
Résultat des courses, les allemands de l'est n'ont eu de cesse de vouloir goûter aux joies de l'autre versant du Rideau de Fer.
Si le regretté Erich Honecker s'était contenté d'une simple frontière traditionnelle gardée par de bedonnants douaniers, les habitants de Leipzig rouleraient encore en Trabant et les nageuses aux hormones continueraient leur razzia sur les médailles olympiques.

Toutefois pour maintenir en permanence un désir irrépressible d'un sexe pour son complémentaire, la ségrégation doit être absolue. Tout relâchement dans la discipline crée, sans délai, un affadissement préjudiciable.
La distance est la clef de l'attirance.

La vie moderne urbaine n'est, hélas, guère propice à une disjonction des genres digne de ce nom.
À croire, que des "bougres, asexués sans doute, aux charmes de Vénus absolument rétifs" s'ingénient à favoriser une détestable promiscuité.
Transports, guichets, bureaux, commerces et autres endroits de corruption des mœurs - à l'instar des mobylettes tunisiennes et des Trabant d'Erich Honecker - carburent au mélange.

Fort heureusement, les fans de l'intégralité ne sont pas à court de ressources pour relever ce défi récurrent.
Dès que leur radar détecte la potentialité d'un homme, les nénettes se transforment illico en disciples zélées du regretté Commandant Cousteau, toutefois sans les bouteilles et le masque.
Cette tenue aquatique, grâce à l'aura de mystère dont elle enveloppe la femme, agit comme un aimant vis à vis des mâles.
Quelque part, les scaphandres génèrent les gendres.

Certaines circonstances particulières exigent des mesures encore plus drastiques qu'à l'ordinaire.
Par exemple, lors des fêtes de mariage - insidieux festivals du brassage qu'on croirait sponsorisés par Heineken - la digue des sexes risque, à tout moment, de se rompre.
Pour éviter de réduire à néant des semaines entières d'effort ségrégationniste, il convient - pendant que les nanas profitent des réjouissances, de la musique assourdissante et du henné - de cantonner les mecs dans des zones certifiées gonzesses-free.
Lieux et bâtiments sont mis à profit pour faciliter ce parcage. Arrière-cours, dessous d'escalier et tous les terrains pas trop bosselés permettent, sans trop de mal, de remiser les hommes loin des meufs.

Le futur marié est particulièrement surveillé car son impatience, certes légitime, pourrait gâcher, à quelques heures près, une apothéose prévue de longue date.
Aussi, comme les taureaux de combat avant la corrida, il est soigneusement tenu à l'écart et sous bonne garde pour qu'il conserve intégralement son influx.

Conformément aux habitudes de ce blog et n'hésitant à payer de ma personne, j'ai récemment testé, à l'attention de mes fidèles lecteurs, cette pratique à l'avenir prometteur.

J'ai participé, du début à la fin, à une longue soirée ségréguée de mariage dont je remercie chaleureusement les organisateurs - qui se reconnaîtront - pour leur aimable invitation.
J'ai vécu une expérience mémorable sur un parking chichement éclairé et réservé aux porteurs de chromosomes Y, à plusieurs dizaines de mètres de la zone féminine.

Depuis mon service militaire - et encore ! - j'avais perdu l'habitude des sociétés exclusivement masculines.
Passés les premiers moments de découverte, cette séparation sexuée s'avère, à l'usage, agréable et même fructueuse.
Mon épouse étant opportunément retenue pour un bivouac sous le chapiteau pour femmes, j'ai réussi à nouer, aisément et à son insu, une relation tout aussi subreptice que prometteuse avec un superbe et avenant ...

... véhicule Citroën stationné à proximité !!!

L'avenant véhicule Citroën rencontré sur un parking masculin de mariage durant l'été 2015.
Le lecteur attentif remarquera que ce bel engin, pour pouvoir stationner au milieu de la zone des hommes, est exempt de roues voilées.
On notera aussi, sur la gauche du cliché, fixé sur un poteau, un coffret électrique du meilleur aloi. Trop absorbé par ma relation automobile et enivré par les mâles gravitant autour de moi, je n'ai pas eu la présence d'esprit de nouer aussi des liens avec ce superbe appareil.
Intégralo-parkinguement votre

Références et compléments
- Voir aussi les chroniques :
- Merci à F. qui lui aussi se reconnaîtra. Au cours du mariage relaté ici, nous avons échangé et conforté nos points de vue respectifs.

- La citation entre guillemets et en italique est extraite de la chanson "le blason" de Georges Brassens aux résonances avec cette chronique.
Je vous invite à la (re)découvrir intégralement derrière ce lien.

mercredi 18 mars 2015

Nouveau plaidoyer pour la Tunisie de toujours

Une fois de plus, une fois de trop, ma patrie de coeur, la Tunisie, est endeuillée par un attentat terroriste.
Au moment où j'écris ces lignes, au moins 19 morts sont à déplorer.
Depuis 2012, j'ai le sentiment de bégayer et de réécrire plusieurs fois la même chronique.

Bégayer c'est exprimer, une fois de plus, une fois de trop, compassion et condoléances pour les victimes et leurs familles.

Bégayer, c'est souligner, une fois de plus, une fois de trop, le vide abyssal de la pensée des terroristes.
Tirer lâchement sur des personnes sans défense, dans un lieu triplement symbolique - ancien palais beylical, siège du parlement démocratiquement élu et musée national - démontre l'incapacité pathologique des barbares à poil long à construire une argumentation.

Bégayer, c'est relever, une fois de plus, une fois de trop,  qu'en plus des 19 victimes et de la quarantaine de blessés par balles, il y a aussi 12 millions de blessés par ricochet.
Qu'un petit pays - la Tunisie de toujours - réussisse tant bien que mal son développement économique et sa transition démocratique, qu'il soit fier de ses racines diverses et, surtout, qu'il continue de cultiver, envers et contre tout, son sens de l'accueil est probablement insupportable quand on a le front bas et les idées courtes.

Bégayer, c'est rappeler, une fois de plus, une fois de trop, que l'immense majorité des tunisiens que j'ai plaisir, et même fierté, à fréquenter depuis plus de 35 ans n'ont rien en commun avec les assaillants du Bardo.
Ces tristes événements ne doivent pas nous conduire à modifier notre point de vue et nos dispositions vis à vis de la Tunisie. Le faire serait procurer une victoire trop facile aux assassins du musée.

Bégayer, c'est affirmer, une fois de plus, mais pas une fois de trop, que des brutes sanguinaires peuvent nous heurter et nous toucher mais, que malgré notre tristesse et leurs sinistres efforts, ils ne réussiront pas à nous faire changer d'avis et de valeurs.

Plus que jamais tunisiquement votre !

#JesuisTunis
#JesuisCharlie
Tahia Tounes !
No pasaran



Références et compléments
Voir aussi :
- mon premier plaidoyer de 2012 pour la Tunisie de toujours
- "Ich bin ein Tunisier" de 2013

lundi 22 décembre 2014

Forces et faiblesses de la Tunisie 4 ans après sa révolution

Avec le second tour de l'élection présidentielle qui a vu la victoire du jeune espoir de 88 ans, Beji Caïd Essebsi, la Tunisie vient de tourner la page de sa transition démocratique.
Presque 4 ans après la révolution de janvier 2011, je vous propose d'examiner ce qui rend le verre de thé tunisien simultanément à moitié plein et à moitié vide.

Les aspects positifs


Une grande liberté d’expression
Depuis 4 ans, la parole s’est libérée, non seulement dans les institutions, mais aussi, et surtout, dans la vie quotidienne.
Ce bouillonnement est un excellent rempart contre beaucoup de bêtises.

Une vraie maturité électorale
En un peu plus de 3 ans, la Tunisie a organisé 4 élections qui se sont déroulé correctement, sans incidents majeurs.
Les tunisiens se sont emparés, sans coup férir, du processus électoral dans toutes ses dimensions, y compris l'abstention et le vote blanc.
Les délices de l'alternance politique tranquille peuvent aussi se goûter au soleil.

Une alternance nette mais pas écrasante
En mettant Nidaa Tounes nettement en tête des législatives d'octobre dernier et en élisant son leader Beji Caïd Essebsi à la présidence, les tunisiens ont choisi de clore l'expérience menée par les islamistes d'Ennadha et leurs alliés suite au scrutin de fin 2011.
Toutefois, si la sanction est nette - le vainqueur emporte la présidentielle avec 55% des voix - Ennadha et ses sympathisants restent une force avec laquelle il faut compter.

La violence et la pagaille sont restées contenues durant la phase transitoire
Malgré les trop nombreuses victimes du terrorisme, un processus chaotique et la crise économique mondiale, la Tunisie a traversé sa révolution et sa transition avec des dommages minimaux.
La résilience et l'inventivité économique des tunisiens mérite d’être relevée. Bon an, mal an, malgré de nombreuses vicissitudes, l'économie s’est maintenue à flot, à défaut de croître.

Les points négatifs


La situation sécuritaire est mauvaise
Même si, fort heureusement, les djihadistes n'ont pas réussi à perturber les élections, ils sont responsables de l'assassinat de deux figures politiques, Chokri Belaïd et Mohammed Brahmi, et de dizaines de membres des forces de l'ordre.
Depuis deux ans, l'armée ne réussit pas à venir à bout du maquis terroriste implanté dans le centre du pays, près de la frontière algérienne.
À ce sombre tableau, s'ajoute une petite délinquance très active aux effets détestables au quotidien.

L'économie a besoin d'un sérieux coup de boost
Des réformes en profondeur s’imposent pour relancer la machine et obtenir la croissance à 2 chiffres que la Tunisie devrait avoir. Le chômage est stratosphérique et mine la société.
Pour plus de détails, je vous recommande la récente interview d’Habib Sayah.

Les disparités régionales sont excessives
Le centre et le sud de la Tunisie sont en déshérence.
Ces régions sont un concentré de difficultés : faible attractivité économique et touristique, chômage très au dessus de la moyenne nationale, infrastructures et équipements publics déficients, corruption et clientélisme endémiques…
Le nouveau gouvernement va devoir s’attaquer à ce problème aussi peu soluble que celui dit des banlieues en France.

Les interrogations


Le parti vainqueur des élections est un rassemblement flou
Nidaa Tounes s'est construit autour de l'opposition aux islamistes d’Ennadha et rassemble des personnes très dissemblables.
La question de l'islamisme a confisqué le débat électoral qui aurait du porter sur les stratégies économiques et sociales ainsi que sur la place de l'état.
La majorité des récents élus de tous bords au parlement ne brille pas par ses compétences économiques et sociales.
De surcroît, beaucoup de cadres de Nidaa Tounes, à commencer par leur boss, ne sont pas vraiment des perdreaux de l’année.

Combien de temps chômeurs et travailleurs pauvres vont-ils encore accepter de patienter ?
La Tunisie est une poudrière sociale.
Le redressement de la situation impose des réformes exigeantes qu'une grande partie de la population aura du mal à supporter. Aussi les marges de manœuvre du futur gouvernement sont très étroites.

Invariablement optimiste vis à vis de ma patrie de coeur, je reste tunisiquement votre.

Tahia Tounes !

Références et compléments
- Tunisie pays de l'année selon The Economist, 3 questions à Habib Sayah
- Mes différentes chroniques sur la Tunisie notamment :


lundi 27 octobre 2014

Élections de Tunisie : démonter quelques idées reçues

Depuis sa révolution de janvier 2011, la Tunisie ne cesse de m'étonner et, je l'espère, de vous étonner.
Malgré les vicissitudes et un climat sécuritaire dégradé, pour la seconde fois en trois ans, les tunisiennes et tunisiens ont choisi, dans les urnes et sans violence, leur représentation politique. Ils viennent même de s'offrir le luxe d'une alternance et d'un vote sanction.

Malheureusement, les reportages et commentaires dans les médias du nord de la Méditerranée ne reflètent guère la réalité tunisienne.
Je vais essayer, modestement, de tordre le coup à quelques idées reçues beaucoup trop véhiculées ces dernières heures.

Les laïcs ont gagné → FAUX
Il n'y a quasiment pas d'offre politique laïque en Tunisie.
Très peu de personnes revendiquent ouvertement une stricte séparation entre état et religion telle qu'elle existe en France.
À ma connaissance, contrairement à l'Hexagone, dans l'ancienne Carthage, aucun politique d'envergure n'affiche publiquement, et même ne laisse supposer, une quelconque velléité d'athéisme.
Nidaa Tounes, le parti arrivé en tête, est un rassemblement hétéroclite dont le jeune leader de 88 ans se revendique ouvertement “bon musulman”. Sa différence avec Ennadha, parti islamiste en seconde position, porte sur le modèle de société.
Nidaa Tounes se dit parfois séculier et défend un modèle ouvert mais non déconnecté de la religion, à l'instar de l'Italie ou de l'Irlande catholiques des années 1950 à 1970.
Ennadha, nettement plus conservateur, voudrait islamiser encore plus la société et l’état.

Les opposants aux islamistes étaient unis → FAUX
Au contraire, le champ politique était, comme en 2011, pléthorique.
Les tunisiens pouvaient choisir entre des orientations incroyable variées. Plus de 1300 listes étaient en lice.
Nidaa Tounes remporte les élections mais ne bénéficie pas d'un raz de marée. Les résultats provisoires le créditent d'environ 37% des voix et 40% des députés. Ce parti devra négocier et faire alliance avec des formations au score nettement moins flatteur pour former une majorité. À cette heure, ces jeux politiciens commencent à peine. Les tunisiens ont nettement opté pour cette formation car, à tort ou raison l'avenir nous le dira, ils y voient la meilleure alternative aux islamistes.
Ennadha recule mais reste un solide second avec grosso modo le quart des suffrages et des sièges.
Le mode de scutin étant assez singulier et les scores pas encore définitifs, l'écart entre Nidaa Tounes et Ennadha pourrait même s'avérer plus faible qu'annoncé actuellement.
Le premier parti de Tunisie est le NNNN Ni Nidaa Ni (E)Nnadha avec 4 votes sur 10.
À noter aussi que les deux formations séculières qui s'étaient, en 2011, alliées avec les islamistes pour leur fournir une majorité de gouvernement, ressortent totalement essorées du scrutin d'hier.

La participation a été mauvaise → VRAI
Voici les chiffres que je vous laisse juger.
- Inscrits : environ 2 personnes sur 3 en âge de voter.
- Votants : 60% des inscrits, soit 40% des électeurs potentiels.
Toutefois, abstention et retrait du vote sont le fruit d'actes délibérés. Les inscriptions et la campagne électorale ont été très médiatisées.

La situation économique et sociale a été déterminante → FAUX
Les difficultés économiques, fortes depuis le milieu des années 2000 et qui furent l’étincelle qui alluma la révolution de 2011, n'ont eu aucune place dans la campagne électorale.
Les deux partis arrivés en tête ont publié dans leurs programmes des chiffres irréalistes et des propositions qui auraient été modernes en 1970.
Les mois et années à venir vont demander des décisions difficiles pour lesquelles les tunisiens n'ont donné, à ce jour, aucun mandat clair.
De mon point de vue, c'est, avec le rétablissement de la sécurité, le plus grand défi que les nouveaux élus vont devoir affronter.

Tahia Tounes !
Tunisiquement votre

Chronique dédiée à Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi ainsi qu'aux autres victimes civiles et militaires du terrorisme.
Publiée le lundi 27 octobre 2014 à 22:00

samedi 18 octobre 2014

Molière chez Ennadha : le malade islamistaginaire

Si le regretté Molière était encore parmi nous, les islamistes auraient, presque à coup sur, une place de choix parmi ses têtes, si j'ose dire, de turc.
L'obsession de ces nouveaux Tartuffe pour les poils et cheveux - que les unes devraient voiler et les autres arborer de manière horticole - pourrait lui inspirer une version remaniée du Malade Imaginaire.

Le grand maître du théâtre français refusant obstinément de se réincarner ou de ressusciter, j'ai, très immodestement, glissé mon clavier dans le sillage de sa plume.

VOILETTE
Qui vous guide ?

BARBAN
Monsieur Akoibon.

VOILETTE
Cet homme là n'est point écrit sur mes tablettes entre les grands savants.
Que vous conseille-t-il ?

BARBAN
Il me dit de respecter autrui et d’autres me disent de ne point faire le mal.

VOILETTE
Ce sont tous des ignorants. C'est le pileux qui doit guider votre conduite.

BARBAN
Le pileux ?

VOILETTE
Oui.
De quoi est fait votre quotidien ?

BARBAN
Je sens de temps en temps des douleurs de tête.

VOILETTE
Justement, le pileux !
Une barbe adéquate est un excellent rempart contre les névralgies.

BARBAN
Il me semble parfois que j'ai un voile devant les yeux et que mon épouse en a un sur la tête.

VOILETTE
Justement le pileux !

BARBAN
J'ai quelquefois des peines de coeur.

VOILETTE
Le pileux.
Couvrir les objets de vos désirs, vous éviterait bien des tracas.

BARBAN
Je sens parfois la lassitude me gagner.

VOILETTE
Le pileux.

BARBAN
Et quelquefois il me prend des chatouillements dans le bas-ventre.

VOILETTE
Le pileux.
Vous avez appétit à ce que vous mangez ?

BARBAN
Oui, monsieur.

VOILETTE
Le pileux.
Vous aimez à boire un peu de vin ?

BARBAN
Euh… oui, monsieur.

VOILETTE
Nous seulement vous ne maîtrisez pas le pileux mais vous m'apparaissez n'être pas assez pieux.

BARBAN
Pourtant, j'y vais faire un petit sommeil après le repas !

VOILETTE
Seul ?

BARBAN
Euh… non, monsieur… avec mon épouse.

VOILETTE
La maîtrise stricte du pileux pourrait vous éviter cela.
Le pileux, le pileux, vous dis-je !

Poiliquement votre

Références et compléments
- Facétie très (trop ?) librement inspirée du dialogue entre Toinette et Argan de la scène 10 de l'acte III du Malade Imaginaire de Molière.
- Voir aussi la chronique “Le Malade Twimaginaire - Molière 2.0”.

dimanche 7 septembre 2014

Lettre à mes amis tunisiens tentés de voter Ennadha

Chères amies, chers amis.

Je me permet - j'espère que vous l'accepterez - de vous appeler amis car, depuis le début des années 1980, je fréquente assidûment votre attachant pays.
Chez vous, j'ai vécu des moments très intenses, des joies, mais aussi des peines.
J'ai, au fil du temps, tissé un vaste réseau de relations familiales, amicales, sociales que j'ai plaisir à rencontrer et étoffer. Vous êtes nombreux à faire partie de ces cercles.

Vous êtes profondément croyants et vous adhérez à une vision stricte de votre religion que vous pratiquez de manière rigoureuse.

Ce choix - qui ne correspond pas à mes façons d'être et de penser, je ne l'ai jamais caché et l'ai plusieurs fois évoqué sur ce blog - est le votre et, en tant que tel, je le respecte.
Je ne suis en aucune façon fondé à vous suggérer ce que vous devez croire et faire.

Vous avez la chance de vivre dans un pays où le respect vis-à-vis de l'Islam est élevé.
De surcroît, depuis la révolution, aucun obstacle ne s'oppose plus à votre pratique.

La Tunisie va, en octobre prochain, être appelée aux urnes. Votre inclination naturelle est probablement de voter pour Ennadha, le parti islamiste.
Avant que votre choix devienne définitif, je vous invite à l'examiner sous deux angles.

Qui pour relancer l’économie tunisienne ? Comment ?

Tout d'abord, votre pays se débat dans de graves difficultés sociales et économiques qui ont, d'ailleurs, été à l'origine de la révolution de janvier 2011.

La Tunisie, comme le monde alentour, subit de plein fouet les très violentes mutations de la troisième révolution industrielle.
L'économie, longtemps statique, est devenue furieusement dynamique. L'autarcie et la focalisation sur l'agriculture ne sont plus des options.
4 emplois sur 10 en Tunisie proviennent directement ou indirectement des échanges avec l'étranger. La majorité des tunisiens est désormais urbaine.

Les consommateurs, que nous sommes tous, et les changements technologiques créent un jeu difficile à maîtriser.
Pour petite preuve, je suis presque certain que vous possédez de l'électroménager asiatique ainsi qu'un smartphone, que vous surfez régulièrement sur le web ou les réseaux sociaux et aussi que plusieurs membres de votre famille travaillent dans l'informatique ou dans des sociétés exportatrices.
Google, Haier, LG, Samsung et les usines chinoises n'ont que faire de la Tunisie et ne vont pas patienter le temps que les turbulences post-révolutionnaires s'estompent.

Le symptôme le plus flagrant de ces changements est le chômage stratosphérique des jeunes diplômés. Alors que peu de temps en arrière, les étudiants post-bac avaient une vie professionnelle et, même, un statut quasiment garantis.

Les gouvernements d'Hamadi Jebali puis d'Ali Larayedh, deux leaders d'Ennadha, ont malheureusement échoué dans ce domaine.
Sous leur houlette, le chômage n'a pas diminué, les prix ont grimpé, la croissance a stagné et le déficit public a été multiplié par 7.
Désormais, lorsque l'état tunisien récupère 4 dinars en impôts, taxes et cotisations, il en dépense 5 !
Chaque mois, 30 nouveaux dinars de dettes - c'est à dire d'emprunts avec intérêts - sont gagés sur la tête de chaque tunisien, du bébé au vieillard.
La Tunisie va mettre beaucoup de temps à sortir de ce piège à retardement.

Êtes-vous certains que cette approche budgétaire laxiste soit durablement soutenable ?
Compte tenu de sa récente contre-performance, Ennadha est-il le parti le mieux placé pour guider la barque tunisienne sur les flots houleux de l'économie mondiale ?
A-t-il fait des annonces novatrices dans ce domaine ?
Un nouvel échec économique et social ne serait-il pas la meilleure contre-publicité à l'encontre de vos idées ?

Comment mieux promouvoir votre pratique religieuse ?

Ensuite, je comprends que vos convictions spirituelles vous poussent à vouloir rallier le plus grand nombre à votre foi et vos pratiques.
Cela n'est point choquant. Depuis que le monde est monde, les religions ont toujours voulu accroître les effectifs de leur fidèles.

Toutefois, quelle est la meilleure façon de convaincre et de rassembler ?

Si, demain, beaucoup plus de prescriptions religieuses devenaient légalement obligatoires en Tunisie, extérieurement le pays serait plus conforme à vos vœux.
Mais cette belle façade ne serait qu'un trompe-l'œil.

Personnellement, je me conformerais, en apparence, aux nouvelles normes mais mon cerveau et, plus encore, mon cœur, seraient en rébellion permanente. Je pratiquerais ce que les anglophones appellent le service des lèvres.

Pire, si l'atmosphère devenait trop pesante et les contraintes trop fortes, je pourrais - et je ne serais sûrement pas seul dans ce cas - ne plus venir en Tunisie, la mort dans l’âme et quoi qu'il m'en coûte.
De même, les départs vers l'étranger de tunisiens ne partageant pas vos façons d’être devraient aussi augmenter.

Il n'y a pas de précédent historique où imposer les signes extérieurs d’une foi ait durablement consolidé croyances et pratiques religieuses.

La sinistre inquisition catholique en Europe, malgré plusieurs siècles de contraintes barbares, n'a pas réussi à éradiquer le judaïsme et l'Islam, ni même à contenir la sorcellerie ou les pratiques sexuelles jugées déviantes.

Dernier exemple en date, en Iran, après 35 ans de pouvoir islamiste, beaucoup bravent clandestinement les interdits.
À en croire témoins et reportages, malgré une répression sanglante, protégés par un épais nuage de corruption, alcool, drogues et sexe débridé sont devenus du dernier chic.

Transgresser un interdit imposé est terriblement attractif, surtout pour la jeunesse.
Paradoxalement, malgré une apparence irréprochable, les mollahs de Téhéran ont obtenu, en une grosse génération, les mœurs inverses de ce qu'ils souhaitaient.
Depuis toujours, les prohibitions en tous genres n'ont eu pour seul effet que de permettre aux mafias de prospérer en fournissant en sous-main les biens ou services défendus à prix d’or.
On n'a jamais autant bu aux USA que durant les années 1920 où l'alcool était pourtant strictement interdit, mais abondamment fourni illégalement par Al Capone et consorts.

Souhaitez-vous vraiment favoriser les croyances de façade ? Les mœurs que vous reprouvez ? La corruption et la criminalité ?
En matière de morale et de religion, exemplarité et dialogue ne sont-ils pas plus efficaces que les règlements et la contrainte ?

Le sort de la Tunisie dépend de votre bulletin de vote

Chers amies et amis de plus de 30 ans, l'avenir de notre Tunisie - la votre surtout, mais aussi un tout petit peu la mienne - est, le 26 octobre prochain, au sens strict, entre vos mains.
Vous souhaitez, autant que moi, le meilleur pour votre patrie, je n'ai aucun doute à ce sujet.

Ce pays possède beaucoup d'atouts que quelques coups de pouce pourraient aisément mettre en avant.
Aussi, humblement, je vous demande, avant d'arrêter votre choix, de vous questionner au sujet des deux thèmes abordés dans ce billet.

Êtes-vous certains, en votre âme et conscience, d'agir, à moyen terme, en faveur de vos convictions et aussi des intérêts de la Tunisie et de tous les tunisiens ?

Tahia Tounes

Tunisiquement votre

Références et compléments
- Voir aussi la chronique “Tout savoir (ou presque) sur l'économie chancelante de la Tunisie”.
- Le site d'actualité Rue 89 consacre de nombreux articles originaux au sujet de l'Iran réel.

dimanche 24 août 2014

Islamistes encore un petit effort alimentaire !

Je profite du 442ème anniversaire du massacre de la Saint Barthélémy - désormais journée internationale de l'intransigeance religieuse - pour prêter assistance aux islamistes, valeurs montantes sur le marché de la religiosité ostensible.

Les sociétés musulmanes, depuis une quarantaine d'années, voient monter une pratique religieuse rigoureuse de la foi islamique, normée dans les moindres détails, appelée islamisme par facilité.
Un de ses moteurs est de retrouver la pureté des origines, c'est à dire de la péninsule arabique du VIIème siècle.
Cette envie de retour aux sources est louable et mérite d'être encouragée à sa juste valeur.

Aussi, dans un souci d'entraide fraternelle, voici une liste d'éléments à bannir au plus vite du quotidien, puisqu'ils ont été introduits en Europe, en Méditerranée et au Moyen-Orient par l'entremise des conquistadors chrétiens qui, après 1492, dans le sillage de Christophe Colomb, ont colonisé l'Amérique.
  • La sauge.
  • Les ananas.
  • Tous les objets à base de caoutchouc ou de latex naturels, issus de l'hévéa, à commencer par les pneumatiques, les tétines de biberon ainsi que les préservatifs.
  • La dinde et sa célèbre escalope.
  • La vanille et, bien entendu, les glaces, yaourts et eaux de toilette qu'elle parfume.
  • Le tabac.
  • Le maïs, y compris sa variante grillée au bord des routes tunisiennes.
  • Le cacao et tous ses dérivés chocolatés.
  • Les incontournables de l'apéritif : cacahuètes, noix de cajou, noix de pécan.
  • Les vêtements en coton.
    Toutefois, le polyester et l'élasthanne, lorsqu'ils sont fabriqués à partir de pétrole saoudien, sont, à l'inverse, expressément recommandés. 
  • Courges, citrouilles et potirons, sans oublier, pour faire bonne mesure, les courgettes.
  • Le tournesol, son huile, sa margarine et, par voie de conséquence, les albums de Tintin.
  • Le cochon dit d'Inde.
  • Les fraises.
  • Les piliers de la cuisine maghrébine : tomates, pommes de terre, piments et poivrons.
Dans la même veine, il est hautement souhaitable de couper dare-dare les eucalyptus qui ombragent routes et rues de Tunisie. Ils sont le produit de l'occupation britannique de l'Australie aux XVIIIème et XIXème siècles.

Il est aussi impératif de bannir le croissant.
Selon des légendes apocryphes, mais néanmoins significatives, cette sournoise viennoiserie aurait été créée par les autrichiens et les hongrois afin de célébrer aux XVIème et XVIIème siècles leurs victoires sur les turcs, en se moquant et en profanant les emblèmes religieux ottomans.

Il pourrait être aussi prudent de supprimer le couscous.
Les historiens ne sont pas tous d'accord à son sujet mais, selon toute vraisemblance, ce serait un plat nord-africain d'origine berbère, connu en Europe dès le Moyen-Age.

Quant à la pizza ...

Chehia tahiba / Bon appétit

Colombiquement votre

Références et compléments
- Chronique très librement inspirée du générique de fin du film Z de Costa-Gavras.
- Voir aussi la chronique “l'islamisme ne vient pas du sous-développement”.
- Articles Wikipedia sur l'échange colombienle croissant et le massacre de la Saint Barthélemy du 24 août 1572.

samedi 16 août 2014

L'islamisme ne vient pas du sous-développement

Les sociétés arabes sont le siège depuis une quarantaine d'années de la montée d'une religiosité aux rites rigoureux et aux pratiques normées dans les moindre détails.
Voiles et barbes en sont les éléments les plus saillants vus d'Europe, mais peut-être pas les plus significatifs.
Ces manières ostensibles et peu flexibles de pratiquer la foi islamique sont, usuellement et par facilité, nommées intégrisme ou islamisme.
En Tunisie, par exemple, cette dévotion voyante, anecdotique dans les années 1980, est aujourd'hui devenue majoritaire.

Les explications usuelles ne rendent pas compte de la réalité de l'islamisme
Couramment, la montée de l'intégrisme musulman est attribuée à trois causes principales : accroissement du sentiment religieux, propagande assourdissante d'imams survitaminés et sous-développement.
Aucune de ces origines supposées ne résiste à l'analyse.

La croyance en Dieu n'est pas plus forte actuellement dans les pays dits musulmans qu'il y a 50 ou 100 ans.
Au contraire, même si très peu ont le courage de le confesser publiquement, il existe désormais une faible minorité d'agnostiques et d'athées qui était quasi-inexistante à l'orée du vingtième siècle.

Les religions, perpétuellement soucieuses de leur expansion, ont toujours fait de la propagande. C'est une des missions principales du clergé. Si prosélytisme et endoctrinement étaient efficaces alors le monde serait confit en dévotion depuis la nuit des temps.
Les publicitaires expliquent d'ailleurs qu'une opération de promotion ne peut être efficace qu'auprès de personnes préalablement réceptives. La prédication intégriste rencontre effectivement un grand succès, mais exclusivement auprès de fidèles prêts à l'entendre.

L'islamisme n'est pas non plus le fruit du faible développement économique.
En Tunisie, par exemple, depuis 1980, le PIB moyen par habitant a doublé. Même si les inégalités sont criantes, elles ne le sont pas plus qu'il y a 30 ans et le niveau de vie de toutes les catégories de la population s'est notablement amélioré.
De surcroît, l'intégrisme touche autant, voire plus, les classes moyennes et aisées que les couches populaires.
Ainsi, les leaders d'Ennadha, le parti islamiste tunisien actuellement au pouvoir, sont presque tous des enfants de cadres ou de bourgeois.


L'islamisme, fruit du passage brutal à la modernité
Le Maghreb et le Machrek, à l'issue de la décolonisation, ont absorbé en moins de 50 ans ce que l'Europe et l'Amérique du Nord ont mis plus de deux siècles et demi à digérer avec des convulsions terribles : fin du mode de vie rural traditionnel, alphabétisation et éducation, essor urbain, transition démographique, industrialisation, mass médias et technologies de l'information, développement des transports, flux migratoires, montée du sentiment national, construction d'états modernes...
Le tout sans passage par la case révolution industrielle.
De tels changements modifient radicalement les perceptions du monde et les rapports aux autres.

Les sociétés rurales peinaient à nourrir, vêtir et loger leurs membres. Néanmoins elles étaient homogènes, prévisibles et tissaient des liens sociaux forts.
Le cycle des saisons rythmait la vie. Le travail très physique dans les champs était une nécessité vitale peu discutable et laissait peu de place aux interrogations existentielles.
L'appartenance à une famille, un village, une communauté était évidente et se transmettait au fil des générations, particulièrement en Afrique du Nord où l'endogamie était très forte.

Le monde moderne, et maintenant post-moderne, est strictement inverse.
Les besoins matériels sont de mieux en mieux servis et demandent moins de labeur.
Par contre, la diversité est devenue la norme, l'imprévisibilité règne et l'individu domine.
Le progrès économique s'effectue en dents de scie, les crises succédant aux booms. La valse des technologies assure une amélioration moyenne du bien-être physique au prix de beaucoup d'essais et d'erreurs ainsi que de la disparition, parfois très rapide, d'activités ancestrales. Nul ne peut plus être certain que son métier existera encore dans cinq ou dix ans.
Ce sont, de plus en plus, des personnes, et non des groupes, qui sont les moteurs de ce maelström.
Chacun, désormais, décide de ce qu'il veut faire et être, de comment il veut vivre et avec qui. Sa famille, ses voisins, ses amis, ses collègues n'ont pratiquement plus voix au chapitre. L'augmentation du temps libre et la moindre dépendance aux autres pour sa propre subsistance accroissent ces possibilités d'autonomie individuelle.

De telles évolutions, menées à un train d'enfer, sont profondément anxiogènes. De surcroît, moins courir après son pain quotidien suscite des attentes nouvelles.
Comment faire face, seul, à ces changements rapides et, surtout, à ces choix de vie ? Que faire de loisirs désormais prédominants ? Quel sens donner à tout cela ?
L'amélioration des conditions matérielles de vie et la progression des choix individuels procurent d'indéniables satisfactions mais répondent mal aux besoins de sécurité et d'appartenance, chers au psychologue Abraham Maslow et à sa célèbre pyramide.

L'intégrisme exploite ce créneau en déshérence.
Balayant doutes et interrogations, il apporte des réponses simples et opérationnelles qui évitent de se poser des questions.
D'après les tenants de cette doctrine, la marche incohérente du monde provient tout simplement d'un affadissement de la foi et du non suivi de prescriptions religieuses strictes et terre à terre.
A l'inverse, il suffit d'honorer ces injonctions à la lettre pour gagner, simultanément, le respect immédiat de ses semblables et une vie éternelle accomplie.
La stabilité sociale perdue reviendra avec l'accroissement du nombre de "bons" croyants, ce qui pousse, pour le bien de tous, à faire rentrer les récalcitrants dans le rang.
Le présent et l'avenir des fidèles est ainsi assuré aussi longtemps qu'ils partagent les rites d'une communauté englobante.
Les signes extérieurs de religiosité remplissent la même fonction que les maillots des supporters du football, afficher aux yeux de tous son adhésion et son allégeance au groupe.


Un éventuel reflux de l'islamisme ne pourra venir que de l'intérieur des sociétés arabes
Contrer l'intégrisme suppose d'être capable de le contrer sur le terrain des besoins immatériels de sécurité, de prévisibilité et d'appartenance que la société post-moderne peine à satisfaire.

C'est ce que Nasser et Bourguiba tentèrent de faire en leur temps avec un mélange de nationalisme, d'étatisme et de culte de la personnalité.
Leur système devait conduire le peuple arabe enfin libéré de ses entraves vers un avenir radieux où il serait le phare de l'humanité.
Hélas, ni la machine économique, ni les succès militaires, ni même les événements symboliques ne furent au rendez-vous, ces leaders visionnaires étant d'exécrables managers.
Leurs successeurs, moins charismatiques, obtinrent, par le libéralisme économique, le développement tant attendu. Mais, crispés sur leur pouvoir dictatorial et leurs réseaux de corruption, ils furent incapables de faire respirer leurs sociétés.
Le choc en retour fut la croissance de l'intégrisme.

Ce ne sont pas des actions venues "d'en haut" ou de je ne sais quelle avant-garde éclairée du peuple ou, encore moins, de l'extérieur qui pourront venir à bout de l'intégrisme.
De même, la répression, comme celle de l'été 2013 en Égypte, peut masquer, par le sang et la terreur, les symptômes mais, en aucune manière, traiter les causes.

C'est aux sociétés arabes de construire, par elles mêmes et dans la durée, des représentations du monde moins délétères conjuguant liberté individuelle, responsabilité, confiance et sens du collectif.
Cette maturation risque d'être lente car les récentes révolutions ont sérieusement épaissi la soupe et n'ont pas ralenti le rythme du monde alentour.

Toutefois, l'émergence de symboles pourraient accélérer le mouvement. Les pays musulmans manquent cruellement d'icônes internationalement reconnues. Les rares sportifs, artistes, penseurs, politiques ou chefs d'entreprise arabes célèbres mondialement sont des expatriés. Ces peuples méritent d'autres effigies que Saddam Hussein et Ben Laden.

Le vaccin peut-être déjà à l'oeuvre en Tunisie
Pour conclure, un brin d'optimisme paradoxal : l'exercice calamiteux du pouvoir en Tunisie par Ennadha, parti résolument islamiste, a déboussolé et déçu une partie de sa base.
Sous la pression de ses propres échecs et de l'opinion, Ennadha a du se résoudre à céder le pouvoir, à accepter une constitution décente et à jouer le jeu des élections de l'automne 2014.
Cet exercice pédagogique, dangereux et meurtrier à court terme, pourrait s'avérer salutaire sur une plus longue période.
Embryons de réponse lors de la prochaine consultation électorale...

Intégralement votre

Références et compléments
- Cette chronique a été initialement publiée le 27 août 2013 et a été très légèrement retouchée les 16 & 17 août 2014.

- Voir aussi à propos des désillusions de beaucoup de tunisiens vis à vis du parti islamiste Ennadha la chronique "4 semaines au cœur de la Tunisie morose".
Le billet "La Tunisie rattrapera la France le 12 mai 2041" détaille la croissance du PIB et du niveau de vie entre le pays de Molière et celui d'Ibn Khaldoun.

- Un exemple parmi beaucoup d'autres de la mauvaise appréhension de l'islamisme, le récent article de Michel Rocard "l'Islam et le printemps" paru au Cercle des Echos.

- Merci à Omar de m'avoir remémoré la pyramide de Maslow dont vous trouverez le détail dans l'article que Wikipedia lui consacre.

mercredi 13 août 2014

Un subtil et enivrant parfum d'apartheid

Même en conjuguant les myopies ophtalmiques et politiques de Moncef Marzouki et de François Hollande, difficile de confondre la Tunisie avec la Scandinavie.

Fort heureusement, le délétère égalitarisme nordique s'acclimate difficilement dans l'antique Carthage.
Les différences naturelles entre hommes et femmes, malgré de regrettables limitations législatives introduites après l'indépendance, y restent ancrées dans la réalité quotidienne.
Beaucoup d'activités sont logiquement sexuées. Ainsi, les cafés sont nettement masculins, alors que les tâches ménagères sont, comme il se doit, réservées au sexe faible.

En dépit de cette situation enviable, les tenants d'un islam intégral estiment, justement, le mélange des genres trop prononcé pour leur goût puriste.
Soucieux de réformer proactivement la société, ils entreprennent, par l'exemple, d'en remodeler les us et coutumes.

Le cadre familial est le lieu privilégié de cette transformation volontariste.
Il est ainsi désormais de bon ton de séparer clairement les sexes lors des fêtes de mariage.

Personnellement, j'apprécie à sa juste valeur cette innovation qui tend à remettre l'ordre naturel au centre de nos préoccupations.
Je la trouve même, à vrai dire, trop timorée.
Cette saine et morale ségrégation sexuelle devrait se poursuivre au delà des festivités, jusque durant la nuit de noces et surtout durant les suivantes.

De cette manière, en un peu moins de deux générations, l'agitation  politique tunisienne deviendrait singulièrement simplifiée et la résorption du chômage des jeunes serait facilitée par manque de troupes fraîches.

Bonne fête à toutes les femmes de Tunisie et d'ailleurs !
No pasaran !

Mélangiquement votre

Références et compléments
- Voir aussi la chronique "les mariages en Tunisie concurrents du Tour de France"
- En Tunisie, la Fête de la Femme a lieu le 13 août et non le 8 mars. Elle commémore l'instauration du code du statut personnel par Habib Bourguiba en 1956.

mardi 8 octobre 2013

Rached Ghannouchi n'est pas Nelson Mandela !

En Tunisie, Houcine Jaziri, ci-devant très provisoire secrétaire d'état à l'immigration, a déclaré aujourd'hui que le leader du parti islamiste Ennadha était "notre Mandela national".
Je trouve dommage que cette noble éminence se soit arrêtée en si bon chemin. Charles de Gaulle et Mikhaïl Gorbatchev n'auraient pas déparé le tableau.

Certes, un très fragile "dialogue national" vient de débuter à Tunis qui laisse timidement augurer d'une possible sortie de la crise politique et sociale dans laquelle le pays du jasmin se débat depuis de trop longs mois.
Usés jusqu'à la corde par un pouvoir qu'ils ont été incapables d'assumer, les partisans d'Ennadha pourraient - rien n'est certain au moment où j'écris ces lignes - céder leurs fauteuils dans les jours à venir. Ils signeraient par ce retrait un terrible aveu d'échec.

Malgré les formidables perspectives offertes par son succès électoral de 2011, Rached Ghannouchi n'a pas su passer outre les dogmes de son camp et prendre le risque de quitter la terre ferme de ses certitudes pour le grand large des percées historiques.

A l'inverse, Nelson Mandela qui fut personnellement engagé dans des actions - risquons le mot - terroristes a osé du fond de sa prison inverser ses perspectives et proposer à l'ensemble des sud-africains une paix des braves et une cohabitation minimale.
Cette transgression était particulièrement courageuse. La démographie, la lutte armée et la situation internationale auraient, dans la durée, fourni le pouvoir aux noirs au prix de nombreuses victimes.
A rebours de l'opinion majoritaire de leurs partisans, Mandela et De Klerk ont fait le pari de la négociation et de la transition entre l'ANC et le pouvoir blanc de l'apartheid.

De même, en pleine débâcle, De Gaulle, militaire de carrière, catholique, profondément nationaliste, a tourné le dos à sa formation et sa tradition en désobéissant et même en désertant pour, dès le 18 juin 1940, initier la France libre à Londres.

Pareillement, Gorbatchev, prototype de l'apparatchik communiste, arrivé en position de pouvoir absolu, a renversé la table et mis à bas l'édifice soviétique, préférant tenter une libéralisation plutôt d'attendre confortablement l'implosion du système mis en place par le regretté Staline.

Ennadha a raté une exceptionnelle opportunité historique. Rached Ghannouchi aurait pu devenir le Konrad Adenauer du monde arabe.
Il n'a été, pour l'instant, qu'un pale reflet religieux de Gamal Abdel Nasser qui parla beaucoup, promit tout autant, ne sut pas prendre la mesure de la réalité et, au final, délivra très peu.

Tahia Tounes !

Toujours autant tunisiquement votre

samedi 10 août 2013

La Tunisie ne mérite ni sa majorité politique ni son opposition

Depuis de trop longs mois désormais, la plupart des politiciens tunisiens se sont lancés dans un concours de bêtise et d'inconséquence.
Jugez sur pièces.

La majorité hétéroclite issue des élections d'octobre 2011, composée d'Ennadha, parti islamiste conservateur, d'Ettakatol, sociaux-démocrates mous, et du CPR, nationalistes un brin extra-terrestres, a échoué en tout.

La situation sécuritaire est exécrable. Deux ténors politiques ont été assassinés par balles ces 6 derniers mois, un maquis salafiste s'est implanté sur le mont Chaambi et la petite délinquance coule des jours tranquilles..

L'économie est stagnante et le chômage stratosphérique, sans aucune perspective visible de redécollage rapide.
Le déficit public se creuse à vive allure. L'état tunisien dépense actuellement 20% de plus qu'il ne récolte en impôts, taxes et cotisations.

La rédaction de la nouvelle constitution, qui est pourtant l'objectif principal d'une assemblée soit disant constituante, est au point mort.
Aucun des tunisiens avec lesquels j'ai échangé n'a été capable de m'expliquer clairement qu'elle sera l'organisation des pouvoirs publics découlant de la nouvelle loi fondamentale.

Par voie de conséquence, la confiance dans cette "troïka" a fondu comme un cornet de glace au soleil d'Hammamet, y compris chez une partie de leurs sympathisants.
De nombreux élus et militants d'Ettakatol et du CPR, désappointés par l'alliance avec les islamistes, ont déserté les rangs de ces deux formations.
Des personnes naguère favorables à Ennadha en disent, désormais, beaucoup de mal.

Le plus singulier est qu'Ennadha s'est ingénié à se tirer des balles dans le pied et à renforcer ses adversaires.
Ses dirigeants n'ont pas eu la lucidité de placer des technocrates aguerris aux manettes économiques et sociales.
A minima par naïveté et, probablement aussi, par calcul stupide, ils ont laissé la violence politique et religieuse s'installer.
Et, comble de l'absurdité, en envoyant plusieurs fois la police et leur milice dite de protection de la révolution, matraquer des manifestations, les islamistes ont amélioré la visibilité et la cote de popularité des contestataires.
Omnubilée par la conquête du pouvoir, Ennadha en a oublié le difficile exercice.

L'opposition ne vaut malheureusement guère mieux.
Elle est désormais divisée en deux pôles principaux, Nidaa Tounes, sorte d'adaptation bourguibienne du gaullisme dirigée par un jeune espoir de 85 ans, et le Front Populaire, coalition de gauche qui aurait fait moderne en 1960, auxquels s'adjoignent une multitude de groupuscules et associations.
Le seul point d'accord est de "dégager" Ennadha.

Officiellement, la feuille de route anti-islamistes serait de mettre en place un gouvernement intérimaire d'union nationale constitué d'indépendants et de technocrates, de boucler rapidement la rédaction de la constitution et d'organiser des élections d'ici 6 mois à un an.

Toutefois ce plan est ambigu et ne contribue pas à débloquer la situation.
Qui pour diriger le gouvernement de salut public ? Qui aux ministères clefs ? Avec quels soutiens politiques ? Avec ou sans la participation d'Ennadha ?
Quelles actions économiques et sociales mettre en œuvre avant les élections ?
Comment rétablir la sécurité ? Comment discipliner la police ?
Quoi mettre dans la constitution ? Quels pouvoirs pour le parlement, le gouvernement, le président de la république ?
Aucune de ces questions cruciales n'a d'embryon de réponse unitaire et publique. La semaine prochaine peut-être ...
Avec autant de flou, d'indécision et d'ambitions personnelles non voilées, Nidaa Tounes, le Front Populaire et la société dite civile voudraient maintenir Ennadha au pouvoir qu'ils ne s'y prendraient pas autrement.
Les leaders de l'opposition semblent plus préoccupés par d'hypothétiques élections sans cesse repoussées aux calendes grecques, que par éviter une sortie de route imminente à la Tunisie. Alors que la maison commune brûle, les pompiers tergiversent.

Les plus optimistes des tunisiens croient en l'existence d'un "plan secret" des opposants, les plus pessimistes sont totalement désabusés.

La meilleure preuve de l'incapacité des adversaires d'Ennadha à assumer leurs responsabilités est la manifestation du 6 août dernier devant l'assemblée constituante au Bardo à Tunis.
L'affluence était imposante, toutes les catégories sociales et tous les âges y étaient représentés.
Toutefois, les seuls emblèmes arborés par la foule étaient des drapeaux tunisiens, signe à la fois encourageant d'unité nationale mais aussi, voire surtout, désespérant d'absence criante de perspectives politiques.

Envers et contre tout, tunisiquement votre

Références et compléments
- Voir aussi les chroniques "Tout savoir sur l'économie chancelante de la Tunisie" et "la Tunisie entre Fellag et Yasmina Khadra".

vendredi 2 août 2013

Ich bin ein Tunesier

Il y a 50 ans, John Fitzgerald Kennedy, au meilleur de sa forme, prononçait son célèbre Ich bin ein Berliner.
Sous les effets conjugués des événements récents et de l'hypoglycémie ramadanesque, j'ai imaginé un Kennedy ayant échappé aux balles de Lee Harvey Oswald, sortant de sa retraite bien méritée et reprenant du service pour venir exalter les tunisiens actuellement rassemblés tous les soirs parvis du Bardo à Tunis.
Voici en exclusivité pour les lecteurs du blog Humeurs Mondialisées, ce nouveau discours historique.

Je suis fier d'être ici, parmi vous, à Tunis, cette ville qui symbolise aux yeux du monde, depuis le 14 janvier 2011, la liberté, la démocratie et le progrès.

Il y a 2000 ans, la fierté suprême était de dire civis romanus sum.
Aujourd'hui, dans notre ère de liberté, la fierté suprême est de proclamer Ich bin ein Tunesier أنا تونسي 

Excusez-moi, mais à mon âge, j'ai tendance à mélanger les langues allemandes et arabes !

Il y a beaucoup de personnes de part le monde qui ne comprennent pas, ou disent ne pas comprendre, quel est le problème entre la liberté et le sectarisme.
Qu'ils viennent à Tunis ! يأتون إلى تونس 

Il y en a aussi qui proclament que le sectarisme nous ouvre le futur.
Qu'ils viennent à Tunis ! يأتون إلى تونس 

Il y en a d'autres qui disent qu'en Méditerranée et ailleurs, nous pouvons coopérer avec les tenants du sectarisme.
Qu'ils viennent à Tunis ! يأتون إلى تونس 

Il y en a même quelques uns qui disent qu'il est exact que le sectarisme est un mauvais système, mais qu'il permet de résorber les injustices socio-économiques.
Qu'ils viennent à Tunis ! Laßt sie nach Tunis kommen ! أتون إلى تونس 

La liberté rencontre de nombreux obstacles et la démocratie n'est jamais parfaite.
Mais, en démocratie, il n'est nul besoin de violence, de meurtres et d'intimidations policières pour obtenir le soutien des citoyens.

Vous êtes aux avant-postes du combat pour la liberté et vous avez payé un lourd tribut.
Malgré tout, je vous demande de regarder, par delà les dangers d'aujourd'hui, en direction des espoirs de demain et d'envisager, au delà de la liberté de la seule Tunisie, les avancées de la liberté partout dans le monde.

La liberté est indivisible.
Si un seul homme est entravé alors personne n'est libre.
Quand la démocratie sera durablement installée, ici à Tunis, et que la liberté aura progressé partout, vous pourrez, tunisiennes et tunisiens, avoir la satisfaction tranquille des personnes qui ont fait, en première ligne, ce que leur cœur leur commandait.

Tous les hommes libres, où qu'ils vivent, sont aujourd'hui, et pour longtemps, citoyens de Tunisie.
Aussi, en homme libre, je suis fier de proclamer ici, sur le parvis du Bardo à Tunis, Ich bin ein Tunesier أنا تونسي 

Toujours tunisiquement votre

Références et compléments
- Chronique très spécialement dédiée à Majdi Khan @MajdiKhan le plus valeureux des twittonautes tunisiens. Si vous ne le suivez pas encore, précipitez-vous !
- Dans le discours original, après s'être exclamé "Ich bin ein Berliner", Kennedy enchaînait par "I appreciate my interpreter translating my German!".
Aujourd'hui le twittonaute Zarzouki @ja3far2012 a rempli cette fonction et m'a suggéré de modifier mon titre afin qu'il soit plus agréable à des yeux et des oreilles germanophones. Danke schön !
- Refusant les prises d'otages sémantiques, j'ai volontairement préféré le vocable sectarisme à celui d'islamisme.
L'Islam est une des grandes religions de l'Humanité que l'islamisme dévoie à des fins politiques et sectaires.
- L'expression latine civis romanus sum signifie je suis citoyen romain.
- L'original, en anglais, du discours "Ich bin ein Berliner" de John Fitzgerald Kennedy le 26 juin 1963 à Berlin.

mercredi 10 octobre 2012

Rire du voile ?

Une étonnante vidéo, sous-titrée en français, de Gamal Abdel Nasser fait ces jours-ci le tour du web.
Dans ce film, probablement enregistré au début des années 1960, le raïs y explique, en arabe dialectal égyptien, sur le ton de la conversation, comment, après le coup d'état de 1952, ses tentatives d'associer les frères musulmans au nouveau pouvoir ont fait chou blanc.
Les islamistes de l'époque conditionnaient, selon Nasser, leur soutien à l'imposition du voile à toutes les égyptiennes.
Le président de feue la République Arabe Unie, très en verve, termine son récit avec une chute humoristique ponctuée d'un geste éloquent de la main. La salle, à coup sur remplie de courtisans, éclate de rire et interpelle l'orateur à plusieurs reprises.
Nasser plaisante sur le voile et les frères musulmans devant un auditoire acquis et hilare.

Il y a une cinquantaine d'années, le voile et l'islamisme étaient un thème de rigolade officielle dans l'Egypte d'alors. Pourquoi, depuis, un voile est-il retombé sur le voile ?

Le monde de Nasser, de Bourguiba et de leurs consorts était simple.
Le rideau, pardon le voile, se levait sur un avenir prometteur. Débarrassé du fardeau de la colonisation, le monde arabe allait se développer à vive allure grâce à un savant mélange de modernisme, d'étatisme, de marxisme et de nationalisme. Les succès économiques et symboliques seraient très vite au rendez-vous.

Depuis, la roue voilée du temps a tourné et les lendemains ont cessé de chanter les mélodies d'Oum Kalthoum.
Sous la pression des réalités, les inefficaces idéologies des luttes nationales ont été remisées et les régimes initialement dynamiques se sont enkystés dans la dictature.
La manne pétrolière n'a profité qu'à la poigne d'airain d'opulentes monarchies d'opérette et d'impudents généraux.
Grâce à un libéralisme économique mais pas politique, l'essor économique a fini par survenir, hélas accompagné d'un cortège d'inégalités.
Transition démographique, exode rural, croissance urbaine et déferlement technologique ont secoué les bases des sociétés civiles.
Et, surtout, aucune réussite emblématique n'est à mettre au crédit des nations arabes. Qui peut citer, au niveau mondial, des vedettes, sportifs, prix Nobel, chefs d'entreprise, leaders d'opinion du Maghreb ou du Machrek ? Les rares individualités qui viennent à l'esprit sont, soit décédées à l'instar de Naguib Mahfouz, soit expatriées comme Carlos Ghosn.

Comment s'étonner que beaucoup cachent leurs frustrations derrière des attitudes rétrogrades trop simplistes ?
Le retour du voile recouvre d'abord les exorbitantes promesses non tenues de Nasser et Bourguiba.

Nasser conclut son intervention filmée en expliquant qu'il n'a ni les moyens, ni la volonté d'imposer aux égyptiennes un voile que même la fille d'un dignitaire islamiste refuse. Ce que le raïs, pourtant peu avare de méthodes musclées, ne pouvait exiger, les sociétés arabes se le sont, au fil du temps, infligées elles-mêmes.

Toutefois, les révolutions de Tunisie et de d'Egypte de début 2011 ont montré que le pire n'est jamais certain.
Aussi, malgré des élections libres ayant produit un personnel politique âgé et déçu du bourguibisme ou du nassérisme, je persiste à espérer que la jeunesse arabe saura faire tomber ses voiles et les hisser en direction du grand large !

Bientôt, pour paraphraser Pierre Desproges, il sera à nouveau possible de rire de tout à Tunis ou au Caire, mais peut-être pas avec toutes les vieilles barbes !

Voiliquement votre.

samedi 15 septembre 2012

Plaidoyer pour la Tunisie de toujours

La Tunisie de toujours (image circulant sur le web)
J'ai le plaisir, oserais-je dire le privilège, de longuement fréquenter la Tunisie et, surtout, les tunisiens depuis une trentaine d'années. Au fil du temps, j'ai construit un attachement profond envers ce pays.

En janvier 2011, à distance, j'ai tour à tour tremblé, pleuré et exulté durant les journées révolutionnaires.
Toutefois, depuis quelques mois, j'enrage. Des pseudo-politiciens amateurs et des énergumènes dont l'inculture n'égale que la longueur des barbes et des scaphandres s'ingénient à pousser la Tunisie vers le bas.

Le dernier épisode en date est proprement consternant.
Hier, quelques centaines d'enragés, sous les yeux de forces de l'ordre passives et débordées voire complices, s'en sont pris à l'ambassade américaine de Tunis, au mépris d'usages séculaires.
Plusieurs morts et des dizaines de blessés sont à déplorer. Des véhicules ont été incendiés créant un spectaculaire panache de fumée noire dont les images ont fait le tour d'internet. L'école américaine située à proximité a été saccagée et pillée.

Ces émeutes ne sont pas mues une quelconque grande cause. Personne n'a attenté à l'intégrité de la Tunisie ou d'un autre pays arabe et aucun officiel dit "occidental" n'a fait de déclaration incendiaire. Ce déchaînement n'a rien à voir non plus avec le conflit persistant entre Israël et Palestine.
Les pillard poilus souhaitaient juste afficher leur réprobation vis-à-vis d'une vidéo exécrable et passée jusqu'alors inaperçue mettant en cause la religion islamique et ses fidèles.

Les radicaux islamophobes à l'origine du brulot cinématographique et les salafistes sont deux faces quasi-identiques de la même intolérance. Ils s'ingénient de concert à monter une escalade de provocations réciproques, soit disant pour promouvoir leur foi.
Pour reprendre le mot de la blogueuse tunisienne Fatma Arabicca, au lieu de croire que leur Dieu les protège, ces surexcités se croient obligés de protéger leur Dieu, par la force et la bêtise.

Il est difficile de déterminer si Ennadha, le parti politique islamique qui gouverne actuellement la Tunisie, est débordé ou bien se sert des barbus violents.
La première hypothèse suggère une inaptitude crasse. Alors que les protestations anti-américaines étaient prévisibles, ne pas réussir à protéger des bâtiments bien connus situés en terrain dégagé des assauts de quelques centaines de trublions aisément repérables dénote une incapacité à diriger une police et un état modernes.
La seconde possibilité est encore plus consternante. Elle sous-tend une volonté d'établir une nouvelle dictature avec des manœuvres dignes de Hitler et de ses sbires de la SA, au mépris des libertés mais aussi de l'économie de la Tunisie.
Ces deux hypothèses sont hélas compatibles, incompétence et inconséquence ne s'excluant pas.

Je forme le vœu que la grande majorité de tunisiens qui, je peux en témoigner, ne se reconnait pas dans la chienlit et les violences ambiantes, réussisse à trouver l'énergie du sursaut collectif et remette le pays sur les rails prometteurs que le 14 janvier 2011 laissait entrevoir.

J'invite aussi tous mes amis européens à ne surtout pas considérer ces tristes évènements comme représentatifs du peuple tunisien.
Que les salafistes l'admettent ou pas, l'histoire et la géographie ont fait de la Tunisie un pays aux multiples facettes et aux relations très diverses. Un seul exemple : les noms de famille à Kelibia montrent que la population du Cap Bon est venue de tout le pourtour méditerranéen dans le sillage des beys ottomans.
Ce melting pot, ou plutôt cette chickchouka, a créé une vraie tradition d'hospitalité, de bienveillance et de vivre-ensemble à laquelle la Tunisie doit une partie de son charme.
Cette Tunisie de toujours, plus exactement ces tunisiens et tunisiennes de toujours, n'ont pas changé même quand les volutes opaques des pneus enflammés empêchent de les voir.
L'élan de sympathie que la révolution dite du jasmin a suscité en Europe ne doit pas se tarir. Continuer à échanger avec les tunisiens et persister à se rendre en Tunisie est la meilleure et la plus agréable résistance que nous pouvons opposer aux barbus Molotov.

Tunisiennement votre
La Tunisie de toujours chantée par Syrine Ben Moussa
Références et compléments
- Cette chronique a été reprise par le journal en ligne tunisien Direct Info
- Mes (trop ?) nombreuses autres chroniques sur la Tunisie
- Dans la même veine, Karim Guellaty a publié hier un remarquable billet "un film et pas beaucoup de possibilités".
- Un article fouillé de l'Institut Kheireddine (think tank libéral tunisien) met en évidence les liens entre les leaders salafistes au passé activiste et terroriste et le parti majoritaire Ennadha.
- Fil Twitter de la blogueuse tunisienne Fatma Arabicca

lundi 2 juillet 2012

Bosnie, Bâmiyân, Tombouctou ...


Outre leurs cortèges terribles de morts et de blessés, les guerre civiles menées au nom d'un "isme" – national-isme, islam-isme, commun-isme – génèrent des viols à grande échelle et la destruction systématique du patrimoine religieux et culturel.
Depuis les années 1970, des brutes, à poil généralement long, ont rasé sanctuaires zoroastriens en Iran ; pagodes et musées au Cambodge ; églises, monastères, mosquées et synagogues dans l'ex-Yougoslavie ; Bouddhas de Bâmiyân en Afghanistan et, depuis la semaine dernière, mausolées musulmans de Tombouctou.

Les tenants des "ismes" ont en commun de démontrer leur supériorité immanente en déniant toute humanité, voire même toute existence, à ceux qu'il se sont choisis comme adversaires.
Quoi de plus efficace qu'un viol pour déshumaniser ?
Quoi de plus spectaculaire qu'une profanation pour dévaloriser une foi ?

A court terme, cette barbarie traumatise et démoralise les malheureux qui se retrouvent sous le joug d'un "isme". Meurtres, emprisonnements, viols et destructions déstructurent une société et permettent sa sujétion.
Mais à plus longue échéance, cette violence acharnée contre les populations, leurs cultures et leurs religions est, paradoxalement, un ferment formidable d'espoir et de résistance.
En effet, les types – ce sont rarement des femmes – qui violent et saccagent pour défendre leurs idées prouvent que celles-ci sont sacrément faiblardes, sinon ils argumenteraient ! Dans la durée, c'est plus efficace et nettement moins éreintant.
L'immense force des démocraties – qui, jusqu'ici, ont surmonté tous les "ismes" – c'est de civiliser les conflits en institutionnalisant rhétorique et dialectique.
Si je suis convaincu que mes pensées sont excellentes et méritent d'être appliquées, je vais devoir les charpenter et les présenter de façon convaincante. Ceux que mes propositions hérisseraient, à leur tour, seront forcés de structurer une réfutation étayée.
Ce processus, malgré ses mutations génétiques et ses imperfections, est incroyablement sélectif. Seules les meilleures idées survivent !

Les bachi-bouzouks iconoclastes qui se sont emparés du Nord Mali croient défendre leur version de la religion en montrant au monde leur capacité à déglinguer de vieux murs en terre crue et à fouetter mères célibataires et buveurs d'alcool.
Les dommages qu'ils infligent aux habitants et au patrimoine sont irréparables mais leur triomphe durera moins longtemps que les mausolées qu'il mettent à bas.
Leur dénomination – Ansar Dine – ne doit rien à une foi ancestrale et respectable. Cette appellation provient du poisson qui lui est proche phonétiquement : des êtres sans têtes qui s'obligent vivre confinés dans un univers stérile et gluant par peur du grand large et de l'air libre ...

No pasaran !

Compléments
- Sur ce même thème des "ismes", de la barbarie et de la résistance, les chroniques "Bras croisés ou salut nazi ?" et "Barbus des ténèbres ou barbus du boson ?".