La Tunisie de toujours (image circulant sur le web) |
J'ai le plaisir, oserais-je dire le privilège, de longuement fréquenter la Tunisie et, surtout, les tunisiens depuis une trentaine d'années. Au fil du temps, j'ai construit un attachement profond envers ce pays.
En janvier 2011, à distance, j'ai tour à tour tremblé, pleuré et exulté durant les journées révolutionnaires.
Toutefois, depuis quelques mois, j'enrage. Des pseudo-politiciens amateurs et des énergumènes dont l'inculture n'égale que la longueur des barbes et des scaphandres s'ingénient à pousser la Tunisie vers le bas.
Le dernier épisode en date est proprement consternant.
Hier, quelques centaines d'enragés, sous les yeux de forces de l'ordre passives et débordées voire complices, s'en sont pris à l'ambassade américaine de Tunis, au mépris d'usages séculaires.
Plusieurs morts et des dizaines de blessés sont à déplorer. Des véhicules ont été incendiés créant un spectaculaire panache de fumée noire dont les images ont fait le tour d'internet. L'école américaine située à proximité a été saccagée et pillée.
Ces émeutes ne sont pas mues une quelconque grande cause. Personne n'a attenté à l'intégrité de la Tunisie ou d'un autre pays arabe et aucun officiel dit "occidental" n'a fait de déclaration incendiaire. Ce déchaînement n'a rien à voir non plus avec le conflit persistant entre Israël et Palestine.
Les pillard poilus souhaitaient juste afficher leur réprobation vis-à-vis d'une vidéo exécrable et passée jusqu'alors inaperçue mettant en cause la religion islamique et ses fidèles.
Les radicaux islamophobes à l'origine du brulot cinématographique et les salafistes sont deux faces quasi-identiques de la même intolérance. Ils s'ingénient de concert à monter une escalade de provocations réciproques, soit disant pour promouvoir leur foi.
Pour reprendre le mot de la blogueuse tunisienne Fatma Arabicca, au lieu de croire que leur Dieu les protège, ces surexcités se croient obligés de protéger leur Dieu, par la force et la bêtise.
Il est difficile de déterminer si Ennadha, le parti politique islamique qui gouverne actuellement la Tunisie, est débordé ou bien se sert des barbus violents.
La première hypothèse suggère une inaptitude crasse. Alors que les protestations anti-américaines étaient prévisibles, ne pas réussir à protéger des bâtiments bien connus situés en terrain dégagé des assauts de quelques centaines de trublions aisément repérables dénote une incapacité à diriger une police et un état modernes.
La seconde possibilité est encore plus consternante. Elle sous-tend une volonté d'établir une nouvelle dictature avec des manœuvres dignes de Hitler et de ses sbires de la SA, au mépris des libertés mais aussi de l'économie de la Tunisie.
Ces deux hypothèses sont hélas compatibles, incompétence et inconséquence ne s'excluant pas.
Je forme le vœu que la grande majorité de tunisiens qui, je peux en témoigner, ne se reconnait pas dans la chienlit et les violences ambiantes, réussisse à trouver l'énergie du sursaut collectif et remette le pays sur les rails prometteurs que le 14 janvier 2011 laissait entrevoir.
J'invite aussi tous mes amis européens à ne surtout pas considérer ces tristes évènements comme représentatifs du peuple tunisien.
Que les salafistes l'admettent ou pas, l'histoire et la géographie ont fait de la Tunisie un pays aux multiples facettes et aux relations très diverses. Un seul exemple : les noms de famille à Kelibia montrent que la population du Cap Bon est venue de tout le pourtour méditerranéen dans le sillage des beys ottomans.
Ce melting pot, ou plutôt cette chickchouka, a créé une vraie tradition d'hospitalité, de bienveillance et de vivre-ensemble à laquelle la Tunisie doit une partie de son charme.
Cette Tunisie de toujours, plus exactement ces tunisiens et tunisiennes de toujours, n'ont pas changé même quand les volutes opaques des pneus enflammés empêchent de les voir.
L'élan de sympathie que la révolution dite du jasmin a suscité en Europe ne doit pas se tarir. Continuer à échanger avec les tunisiens et persister à se rendre en Tunisie est la meilleure et la plus agréable résistance que nous pouvons opposer aux barbus Molotov.
Tunisiennement votre
La Tunisie de toujours chantée par Syrine Ben Moussa
Références et compléments- Cette chronique a été reprise par le journal en ligne tunisien Direct Info
- Mes (trop ?) nombreuses autres chroniques sur la Tunisie
- Dans la même veine, Karim Guellaty a publié hier un remarquable billet "un film et pas beaucoup de possibilités".
- Un article fouillé de l'Institut Kheireddine (think tank libéral tunisien) met en évidence les liens entre les leaders salafistes au passé activiste et terroriste et le parti majoritaire Ennadha.
- Fil Twitter de la blogueuse tunisienne Fatma Arabicca