La peur n'empêche pas de mourir, elle empêche de vivre.
Naguib Mahfouz (écrivain égyptien, prix Nobel de littérature)
Le week-end du 1er août 2015, nous nous sommes rendus, en famille, au Kef, au nord-ouest de la Tunisie, à 160 km de la capitale, pour des fiançailles.
Dans cette région, des djihadistes sont retranchés au coeur des montagnes frontalières avec l'Algérie.
Les combats entre l'armée et les terroristes y sont devenus réguliers depuis plus de deux ans. Les forces tunisiennes peinent à rétablir la situation sécuritaire et ont subi de lourdes pertes.
Sur le strict plan militaire, les fauteurs de troubles n'ont été jusqu'ici que fort peu inquiétés.
Ce week-end là encore, aux dires officiels du ministère tunisien de la défense, une "action d'envergure" et une "chasse à l'homme" étaient en cours à 25 km environ à l'est du Kef.
Nous avons d'ailleurs croisé des transports de troupes et un blindé léger avec des soldats en armes en transit vers et depuis les lieux d'affrontement.
Pendant ce temps, les fiançailles se sont déroulées comme n'importe où ailleurs en Tunisie.
Les ingrédients habituels d'une telle fête familiale étaient réunis et réussis : assistance nombreuse, musique assourdissante, danses, pâtisseries, jus de fruits, hommes endimanchés et femmes rivalisant d'élégance, innombrables poignées de mains et embrassades ...
L'ensemble enrobé de bonne humeur et de politesse.
Bref, tout, absolument tout, ce que détestent les djihadistes.
Quand on souhaite ne voir qu'une seule barbe ou qu'un seul voile confits en dévotion et tremblants de peur, des personnes libres qui s'apprécient, se respectent et prennent ensemble du bon temps sont proprement insupportables.
Il peut paraître choquant de faire la fête à quelques mètres d'une route empruntée par des militaires partant au combat.
Mais comment définir le périmètre où toute réjouissance devrait être suspendue ? à moins de 10 km des zones militaires ? au Kef même ? à l'ouest de Medjez el Bab ? à Tunis ? sur tout le territoire tunisien ?
Les terroristes ont pour objectif que nous cessions de nous comporter normalement et que nous commencions à les craindre.
Si nous suspendons nos activités sociales et familiales, nous leur offrons, sur un plateau normalement réservé pour les pâtisseries et le thé, une première victoire à peu de frais.
Respecter et honorer les victimes, c'est d'abord ne pas dévier.
Les familles des fiancés ont eu raison d'organiser cette fête. Nos vies ne peuvent être prises en otage par des barbares armés.
Ces tunisiens - ma famille, mes amis - montrent ainsi qu'ils sont, plus que jamais et comme toujours, debout, accueillants et tolérants.
Ils expriment aussi de cette façon que la religion pratiquée assidûment par une grande majorité d'entre eux, n'est pas l'infâme caricature dévoyée que les terroristes propagent.
Merci pour cette belle soirée keffoise.
Tunisiquement votre
Références et compléments
J'ai beaucoup hésité à publier cette chronique car je la trouvais très personnelle et avais des scrupules à revenir publiquement pour la énième fois sur le terrorisme en Tunisie.
De fidèles lecteurs tunisiens, que je remercie, m'ont convaincu de changer d'avis.