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dimanche 25 septembre 2016

J'ai testé l'indemnisation en ligne des retards d'avion

L'été dernier, le vol ramenant au bercail un membre de ma famille, à l'issue de vacances méritées, s'est posé avec 5H45 de retard.
J'en ai profité pour essayer un service internet de dédommagement des passagers.



Les ailes protectrices de l’Europe

Depuis 2004, l'Union Européenne impose aux transporteurs aériens d'indemniser leurs clients victimes d'annulation de vol, de refus d'embarquement ou de retard conséquent.

J'en profite pour relever que l'Europe - que nous adorons vilipender - a de nombreuses conséquences positives dans notre quotidien.
Ainsi, cette réglementation favorable aux consommateurs est une initiative bruxelloise pour répondre à l'incapacité de chaque état à peser face aux géants de l'aviation.

Des compagnies aériennes tous aérofreins dehors

Pour des raisons compréhensibles à défaut d'être morales, les transporteurs ont fait preuve d'un enthousiasme limité dans l'application spontanée des lois européennes.
Absences de réponse et trainages de pieds ont souvent été opposés aux passagers demandant un dédommagement.

Le combat des pots de terre contre les avions en fer était mal engagé.

Des e-juristes prennent leur envol

Toutefois, un peu partout en Europe, des startups ont été créées pour proposer, en ligne, assistance juridique et collecte d'indemnisation aux passagers floués.

Ces entreprises, qui font commerce de la défense des consommateurs, n'hésitent pas à aller au tribunal à chaque fois qu'une compagnie aérienne refuse d'appliquer la législation.
Ainsi, petit à petit, elles gagnent en crédibilité auprès du public mais aussi dissuadent les manœuvres dilatoires.

La plupart de ces services internet ne demandent aucun frais préalable à leurs clients car ils se financent par une commission sur l'indemnité obtenue.

Essai transformé

J'ai donc fait appel à Flightright, entreprise berlinoise qui, d'après les gazettes et Google réunis, serait le leader dans son domaine.

En quelques clics, j'ai fourni sur le web mon identité, les paramètres du voyage retardé et mes coordonnées bancaires.
J'ai ensuite reçu, au fil des jours, quelques mails décrivant les étapes de la procédure suivie.

Au final, six semaines plus tard, Flightright a conservé 25% de l'indemnité reçue de la compagnie aérienne et m'a versé 175 €, légèrement plus que le coût du billet d'avion.

Vu la simplicité et l'efficacité de ce service de dédommagement en ligne, je les réutiliserai si je subis, à nouveau, une annulation ou un fort retard lors d'un voyage aérien.

Vivement la suite !

Pour conclure, je lance un appel simultané à Bruxelles et aux dirigeants de Flightright pour qu'ils étendent, respectivement, leur législation et leurs services aux trains et aux autoroutes.

Pourquoi ne pas être sérieusement indemnisé quand un train régional affiche une heure de retard pour un trajet d'une heure ?
Pourquoi payer le péage plein tarif lorsqu'une autoroute est totalement bouchée ou couverte de travaux ?

E-consumériquement votre

Références et compléments
Les lecteurs intéressés peuvent fureter sur le site de Flightright.
Pour lever toute ambiguïté, je précise que mon seul lien avec Flightright est l'indemnisation relatée dans cette chronique.
Avant août 2016, j'ignorais l'existence de cette entreprise.

Voir aussi le texte intégral et parfaitement soporifique du règlement européen CE 261/2004 "établissant des règles communes en matière d'indemnisation et d'assistance des passagers en cas de refus d'embarquement et d'annulation ou de retard important d'un vol".

Comme à l'accoutumée, si des politiques européens, des responsables de Flightright ou encore ceux des compagnies aériennes, ferroviaires et autoroutières souhaitent réagir à ce billet, les colonnes du blog leur sont ouvertes, de préférence sous forme d'une interview.

L'image qui montre le trafic aérien au dessus de l'Europe le dimanche 25 septembre à 10H20 provient du site flightradar24.com.

vendredi 7 août 2015

La troisième révolution industrielle va-t-elle créer des emplois ?

Comment, à l'instar des taxis ou des libraires, ne pas être inquiet des mutations générées par internet et ses comparses ?
Des "barbares" - c'est à dire quelque poignées d'informaticiens, marketeurs et investisseurs - réussissent à mettre à mal des métiers ancestraux.
Les intermédiaires et les professions régulées se voient, du jour au lendemain, exposés à une compétition farouche, pour le plus grand plaisir de leurs bientôt ex-clients, mais aussi pour la plus grande crainte de leurs salariés.
Allons-nous pouvoir, individuellement et collectivement, sortir notre épingle du jeu devient une question lancinante.
Je vous propose d'examiner ensemble quelques éléments de réponse.

Les révolutions industrielles ont jusqu'ici carburé au mélange

Le moteur des deux précédentes révolutions industrielles - celle de la vapeur et de l'acier, puis celle de l'automobile et de l'électricité - a été l'alliance du capital et du travail.
Mines, usines et transports ont nécessité simultanément des investissements gigantesques et de très nombreux ouvriers.

L'amélioration des rendements agricoles a été le déclencheur de ce mouvement.
Les  propriétaires fonciers ont obtenu les moyens de devenir industriels.
Dans le même temps, les travaux des champs ont fait appel à moins de bras qui ont fini, non sans mal, par être employés dans les nouvelles activités.

Internet réussirait à se passer du travail

D'après certains analystes, la révolution d'internet diffère de ses devancières.
Elle aurait besoin uniquement de capital - et encore en quantité nettement plus modérée que l'industrie traditionnelle - et de fort peu de travail.

Uber et Airbnb en seraient les exemples les plus flagrants : à peine quelques milliers d'employés, une activité mondiale, un chiffre d'affaire en croissance exponentielle, une valeur boursière démesurée et la vampirisation de pans entiers de l'économie (dans nos deux exemples, respectivement le transport de personnes et l'hôtellerie).

Pour les tenants de cette école de pensée, internet apporte une immense productivité mais peu de véritables nouveautés.
Selon eux, avec les logiciels et les smartphones, nous ferions sensiblement les mêmes choses que dans les années 1970, mais avec moins d'investissement et surtout nettement moins de travail.

Cette vision conservatrice et pessimiste de la "nouvelle économie" suggère des destructions massives d'emplois ainsi qu'une polarisation croissante de la société entre, d'une part, des élites minoritaires, ultra-formées, riches et cosmopolites et, d'autre part, une majorité sérieusement déclassée.

Chauffeur Uber serait donc un loisir ?

Il est exact que les maisons-mères Uber et Airbnb ont très peu de personnel direct et font - a minima jusqu'au prochain krach - le bonheur sonnant et trébuchant de capitalistes aventureux.

Toutefois, leur succès repose sur des centaines de milliers de chauffeurs et de logeurs qui proposent leurs services - c'est à dire, pour l'essentiel, du bon vieux travail traditionnel - grâce à ces plateformes.

L'alliance du capital et du travail a bien lieu actuellement, comme au dix-neuvième siècle.
On y retrouve d'ailleurs des effets pervers de monopole et de subordination caractéristiques des bouleversements économiques.
Le mineur journalier de Germinal dépendait de sa "compagnie" à peu près autant que le chauffeur auto-entrepreneur d'aujourd'hui est lié à Uber.

Les luttes sociales et politiques ont, petit à petit et souvent dans la douleur, atténués les déséquilibres délétères issus des premières révolutions industrielles par des législations toujours en vigueur.
Malheureusement, les transformations actuelles les rendent de plus en plus inopérantes.

Internet est profondément disruptif

Les débuts du chemin de fer ont été accueillis par une vague d'hostilité et de scepticisme.
Beaucoup de personnes - le nez sur le guidon ou plutôt sur le tender - ne comprenaient ni l'intérêt, ni le potentiel de transformation de cette innovation radicale.

Ne voir uniquement que de la productivité dans la troisième révolution industrielle procède du même type de biais. C'est ignorer les ruptures en devenir.

Accéder à toute l'information du monde en quelques clics et accroître continûment la quantité de données disponibles ne peut être sans conséquences structurelles.
Le regretté Gutemberg a fait beaucoup plus que doper l'efficacité des moines copistes ...

Le gisement d'emplois est immense

Envisager les mutations en cours comme de nature relativement similaire aux précédentes est encourageant vis à vis du volume d'emplois.

Les besoins et envies actuellement non satisfaits sont gigantesques.
Certains anglo-saxons les ont regroupé sous le terme générique de "care" (littéralement prendre soin) : éducation, santé, sécurité, divertissement, socialisation ...

Comme l'agriculture au dix-neuvième siècle, les gains de productivité procurés par internet permettront de financer une bonne part de ces nouveaux jobs.

Quel degré d'inégalité souhaitons-nous ?

Si ces améliorations de productivité sont entièrement recyclées au sein de circuits privés - pour faire simple "à l'américaine" - les transformations se feront très rapidement mais les inégalités sociales grandiront.

Si, à l'inverse, une partie d'entre elles, via l'impôt, est redistribuée par la puissance publique - "à la rhénane" pourrait-on dire - l'égalité pourrait être mieux assurée.
Toutefois cela suppose que le lobbying format ligne Maginot des professions menacées ne préempte ou ne grippe le système politique. Si cela survenait, nous obtiendrions les inconvénients des deux systèmes et aucun avantage.
En France, le récent et difficile parcours parlementaire de la timide loi dite Macron n'augure rien de bon sur ce point.

Nos choix collectifs seront sociaux

Demain, comme hier, le modèle social que nous souhaitons restera la question prédominante.
C'est moins la quantité que la qualité des emplois futurs ainsi que la protection sociale qui y sera associée qui devraient nous préoccuper.

Mutationnellement votre

Références et compléments
Voir aussi sur des thèmes voisins, les chroniques :
Le déclic de cette chronique est venu d'un épisode diffusé en juillet 2015 de l'émission de radio de France Culture "l'esprit public" dont l'invité principal était l'économiste Daniel Cohen.
Merci aussi à Jean qui me pousse depuis de longs mois à écrire ce billet.

Pour comprendre de l'intérieur comment fonctionnent les "barbares", je recommande le blog anglophone de Tomasz Tunguz "venture capitalist" (traduit littéralement dans la chronique par capitaliste aventureux) dans la Silicon Valley.

mardi 30 juin 2015

Taxis vs Uber, baroud d'honneur des fabricants de lampes à huile

Malgré un précédent historique funeste, un chômage stratosphérique, des attaques terroristes et une construction européenne en capilotade, la France s'offre le luxe de rejouer la ligne Maginot.
Le gouvernement, de plus en plus en mal d'inspiration, rétrécit la liberté économique et mobilise, toutes affaires cessantes, 200 policiers pour lutter contre l'influence pernicieuse des smartphones. Plus exactement, pour abriter les taxis derrière une illusoire répression des applications et des chauffeurs de la société Uber.

Il est vrai que la situation française du transport de personnes dans des automobiles est un chef d'oeuvre de clarté et de cohérence que le monde entier nous envie.
Je vous propose de l'admirer sur pièces.

Si je passe l'examen idoine et que j'achète plusieurs dizaines, voire centaines, de milliers d'euros à un futur confrère une licence distribuée gratuitement par l'état, j'ai le droit d'utiliser ma voiture pour y trimbaler des gens moyennant rétribution.
Heureux entrepreneur régulé par l'omnisciente administration, je suis le seul à pouvoir afficher taxi sur mon véhicule. Mes multiples tarifs sont strictement définis par les pouvoirs publics, pourtant garants de la concurrence libre et non faussée.
Je peux même allègrement balader des malades. La Sécurité Sociale, qui n'en est pas à un déficit près, ne cherche aucunement à faire baisser mes prix ou à rationaliser mes prestations.

Si, simultanément serviable et cupide, chaque week-end, je véhicule mes voisins vers leur maison familiale en échange de quelques discrets billets de banque, j'exerce une activité illégale mais ne court pratiquement aucun risque d'être repéré par les pandores et les gabelous.

Si, tout aussi soucieux de la planète que de mon portefeuille, je propose publiquement sur BlaBlaCar d'amener, moyennant finance, des personnes de Grenoble à Brive la Gaillarde demain soir à 18 heures, je suis un aimable et écologique covoitureur qui ne doit rien ni au fisc, ni aux assurances sociales.

Si, patient, j'attends tranquillement l'attribution selon le bon plaisir de Manuel Valls et de Bernard Cazeneuve d'une licence plaisamment affublée du bel acronyme de VTC, dès l'obtention du précieux sésame, je peux faire payer des prestations de transport et les déclarer au percepteur.

Si, souhaitant beurrer mes épinards, je m'enregistre très officiellement comme auto-entrepreneur, que je transbahute des clients consentants dégotés grâce à Uber Pop et que je paie mes charges et impôts, je suis un infâme salopard ultra-libéral destructeur de l'ordre social qu'il convient de pourchasser avec la plus grande fermeté.

Allez comprendre ...

Les taxis français - ainsi que nous gouvernants - gagneraient à se souvenir d'urgence que, dans de nombreux pays, leurs voitures sont jaunes, couleur des cocus.

Ubériquement votre

lundi 8 juin 2015

L'économie du partage est d'abord une économie des marchés

L'économie dite collaborative, aussi baptisée économie du partage, est devenue très tendance.
D'excellents esprits prédisent même que ces nouvelles pratiques, instillées simultanément par internet et la crise persistante, vont mettre à terre capitalisme et consumérisme.
La réalité, comme souvent, est plus complexe et plus prosaïque que les fantasmes. Je vous propose de l'examiner de plus près.

Le terme assez mal défini de "collaboratif" recouvre grosso modo trois domaines : la production de connaissances sous forme de "communs", les logiciels libres et le partage d'usages.

Wikipedia et sa galaxie de sites connexes ont popularisé ce que les anglophones nomment "commons".
Des bénévoles se réunissent en ligne et dans une apparente anarchie pour mettre au net - à tous les sens du terme - des informations auxquelles tout un chacun peut accéder librement.
Des myriades de forums et de wikis procèdent de même.
Ces pratiques ne sont pas nouvelles. Depuis, a minima, le dix-huitième siècle, les sociétés dites savantes fonctionnent sur les mêmes principes.
Toutefois, l'accroissement du temps libre pour tous et les technologies informatiques ont démocratisé la participation à de tels travaux et surtout leur diffusion.
Conséquence, le métier d'éditeur d'encyclopédies ou d'ouvrages spécialisés a reçu de sacrées décharges de plomb dans ses ailes.
À partir de la Révolution Industrielle, voire de la Renaissance, petit à petit, l'économique a grignoté le champ d'action du bénévolat et de la charité. Les "communs" semblent, pour la première fois, renvoyer le balancier en sens inverse.

C'est toutefois, à ce jour, le seul cas avéré.
Les logiciels libres, une fois débarrassés de la mousse idéologique qui les entourent, appartiennent nettement à l'économie traditionnelle.
Si quelques bénévoles participent à leur développement, le gros du travail est abattu par des professionnels dûment rémunérés en monnaies nettement plus trébuchantes que le bitcoin.
Les entreprises qui subventionnent, directement ou indirectement, ces programmes mis à la disposition de la communauté le font d'abord par intérêt : popularisation d'une technologie, assurance de recruter aisément des personnes maîtrisant ces outils, valorisation de l'image de la société, diminution des coûts de R&D et même - bien que ce soit très vilain - dumping déguisé pour peser sur des compétiteurs vendant un produit similaire.
Parallèlement, les programmeurs qui participent gratuitement à la création d'un logiciel libre le font aussi par intérêt, que ce soit pour améliorer leur CV, pour manipuler à peu de frais des techniques de pointe ou pour éprouver l'incomparable plaisir de participer à la diminution du revenu des actionnaires de géants informatiques.
Faire cadeau d'une prestation ou d'un bien pour entraîner une vente et mettre en commun des coûts entre plusieurs entreprises est aussi ancestral que le commerce et l'industrie.

Le partage d'usages, qui croît à vive allure, est véritablement du capitalisme à l'état chimiquement pur.
Le principe fondateur du capitalisme consiste à maximiser la rentabilité des capitaux nécessaires à un business, soit par augmentation de leur rendement - par exemple en faisant fonctionner des machines plus longtemps grâce au travail en équipe - ou bien encore en réduisant leur besoin - via des changements technologiques mais aussi par des co-investissements.
Les nouveaux services permettant de "partager" son logement (Airbnb), sa voiture (Blabla Car, Uber, Ouicar, Drivy), sa machine à laver (La machine du voisin), sa place de parking (Zenpark) et que sais-je encore réussissent l'exploit d'utiliser les deux leviers basiques du capitalisme.
Ainsi, l'heureux possesseur d'une voiture éponge une partie de son investissement automobile par les oboles versées par ses covoitureurs. En retour, ceux-ci bénéficient de la plupart des avantages de la possession d'un véhicule sans avoir bourse délié.
L'informatique et surtout les télécommunications ont rendu possible l'avènement de marchés très peu coûteux et très efficaces pour des prestations, par essence, fragmentées et locales.
Avant internet, dégotter une voiture reliant la capitale des Alpes à celle des Gaules, un dimanche vers 17H45, relevait de la chance ou de l'exploit olympique. En effet, les deux seuls moyens de faire se rencontrer une offre de déplacement avec une demande étaient soit son propre réseau de relations personnelles, soit les petites annonces chez les commerçants.
Aujourd'hui, sur des places de marché électroniques, en quelques clics et pour une somme modique, chauffeurs et passagers font automatiquement connaissance puis s'accordent.
Autrefois, les criées étaient réservées au négoce de marchandises, de biens ou de prestations homogènes et interchangeables, concentrés en un lieu défini, à un moment précis.
Désormais, dans le sillage d'eBay fondé en 1995, de multiples marchés virtuels et transnationaux émergent. Tout, absolument tout, ce qui peut faire l'objet d'une transaction s'y s'échange, en monnaies réelles, virtuelles et même en troc, de jour comme de nuit, sans même avoir besoin de s'égosiller.

Que cela nous plaise ou pas, force est de constater que le capitalisme b.... encore !

Collaborativement votre

Références et compléments
- Voir aussi la chronique "N'en déplaise à Jeremy Rifkin, internet n'éclipse pas le capitalisme".
- Christine et Jean, grâce à leur excellent dîner et à leurs affables convives, ont semé, sans s'en douter, la graine de cette chronique.
- Rami m'a fourni l'horaire du covoiturage.

dimanche 19 avril 2015

Que vaut vraiment le Big Data ? J'ai testé l'analyse de personnalité d'IBM Watson

À ma très courte honte, je dois confesser que, jusqu'alors, je n'étais guère convaincu par l'efficacité du “Big Data” pourtant vantée simultanément par de nombreux promoteurs et détracteurs.
À ce jour, les publicités ciblées sur internet sont affligeantes et la débauche de moyens déployée par la NSA et ses consorts fait un flop dans la lutte contre le terrorisme.

Toutefois, un petit test effectué cette semaine a commencé à modifier ma position.
J'ai essayé le service “Personality Insights” - littéralement aperçus de personnalité - d'IBM.

Cette application, basée sur le programme d'intelligence artificielle Watson de la firme d'Armonk, se propose d'obtenir les grandes lignes du caractère de quelqu'un à partir d'un texte écrit par lui.
Pour ce faire, il suffit d'envoyer quelques centaines ou milliers de mots au service qui retourne l'évaluation de 49 traits de personnalité ainsi qu'un portrait psychologique d'une huitaine de lignes.

Malheureusement, ce programme ne fonctionne actuellement qu'en anglais.
Aussi, pour mon essai, je lui ai soumis la version dans la langue de Bill Gates de la page sur l'innovation et l'agilité de mon site web personnel.
J'ai ensuite montré le résultat à une quinzaine de membres de mon entourage personnel et professionnel, sans révéler comment j'avais obtenu cette description de mon moi profond.
Tous, sans exception, ont estimé que mon portrait se situait dans un éventail allant d'assez concordant à très concordant.
Aucun n'a jugé que le copain virtuel de Sherlock Holmes était à coté de la plaque.

Soucieux d'accroître la statistique, j'ai ensuite donné à disséquer au logiciel d'IBM des compilations de mails professionnels rédigés par des collègues nativement anglophones.
Les résultats ont été du même acabit. Les portraits tirés par Watson sont grosso modo en phase avec ma perception des mes cobayes involontaires.

IBM explique sur son site que “Personality Insights” n'est pas un élémentaire exercice de divination mais repose sur des recherches très sérieuses en psycho-linguistique.
Pour faire simple, les mots que nous employons, même lorsque nous traitons de sujets arides ou très spécialisés, diffèrent en fonction de notre caractère et notre personnalité.
Les développeurs de Watson lui ont fait ingurgiter de nombreuses études expérimentales sur ce thème afin qu'en disséquant un texte, il puisse lever le voile sur son auteur.

Si la démonstration en ligne que j'ai utilisée est gratuite, “Personality Insights” est proposé de manière payante aux créateurs d'applications informatiques pour qu'ils l'incorporent dans leurs futurs produits.
IBM suggère de nombreuses utilisations, dont certaines soulèvent des interrogations éthiques et politiques.

Au rayon inoffensif, le marketing arrive en bonne place.
Par exemple, une chaîne de magasins pourrait proposer à ses clients de s'inscrire sur son site web à l'aide de leur compte Twitter ou Facebook.
Il serait ensuite aisé de récupérer les billets postés sur ces réseaux sociaux, de demander à ce cher Watson d'en déduire la personnalité de l'utilisateur et d'adapter en conséquence messages commerciaux et promotions.
En quelque sorte, l'automatisation et la systématisation de ce que tout bon vendeur réalise intuitivement en face à face.

Les usages en ressources humaines sont plus problématiques.
Watson pourrait scanner CV et lettres de motivation afin d'éliminer les candidats aux penchants non souhaités par le recruteur.
De même, ce docte programme pourrait, en analysant les écrits professionnels d'une personne, renseigner son manager sur sa psychologie.

Étonnamment, IBM conseille aussi un usage inverse.
“Personality Insights” pourrait m'aider à rédiger des textes laissant apparaître un profil psychologique particulier, différent du mien et sensé complaire à mes correspondants.
IBM va encore plus loin que Conan Doyle en imaginant que Watson puisse duper Watson, sans l'aide de Sherlock.

D'autres applications sont envisageables où le pire peut voisiner le meilleur.
Un professeur pourrait donner les copies de ses élèves à digérer à Watson afin de recueillir des suggestions pour mieux adapter et personnaliser son enseignement.
Cette technologie possède aussi un vrai potentiel de surveillance policière, voire politique, par le ciblage d'individus à la personnalité favorisant des comportements jugés déviants ou dangereux.
Orwell se cacherait-il derrière Watson ?

Élémentairement votre

Références et compléments
- Tous mes remerciements aux acteurs plus ou moins volontaires de cette expérimentation.

- Voir aussi les chroniques


- Pour en savoir plus sur IBM Watson et “Personality Insights”


- La page sur l'innovation et l'agilité de mon site web personnel utilisée pour tester Watson.

- À mon très grand regret, le programme Watson ne tire pas son nom du docteur John Watson, personnage imaginaire des romans policiers d'Arthur Conan Doyle, assistant de Sherlock Holmes, mais de l'industriel bien réel Thomas Watson, fondateur d'IBM.

samedi 7 mars 2015

Souvenirs et mutations pédagogiques

Quelques réminiscences, aux résonances actuelles, des années 1970 et 1980 où j'usais mes fonds de culotte sur les bancs de l'Éducation Nationale française.

Je me souviens, que, durant toute ma scolarité, instituteurs et professeurs m'ont, sans cesse, reproché mon écriture inesthétique (selon eux !) et illisible (par eux !).
Cela m'a coûté moult pénalités et devait, selon mes pédagogues, me jouer des tours lors de ma vie professionnelle.
Désormais, ma production écrite est exclusivement informatique et plus personne ne vient faire la police dans mes polices.

Je me souviens, qu'en fin de lycée, les calculatrices étaient perçues comme des objets sataniques par la plupart des professeurs de mathématiques et de physique.
Selon eux, utiliser ces engins diaboliques allait irrémédiablement amollir notre cerveau et nous paralyserait en cas de panne de piles.
Seul le chef d'oeuvre de menuiserie, rétif à mes gauches doigts de gaucher et plaisamment baptisé règles à calcul, trouvait grâce à leurs yeux.
Désormais, nous comptons, à tous les sens du terme, sur les nombreux ordinateurs qui nous entourent et qui sont rarement tous à sec en même temps.
Quant à la mollesse de mon cerveau, je vous laisse juge.

Je me souviens que ces mêmes enseignants m'ont fait apprendre par coeur la table de Mendeleïev, les combinaisons de cosinus et autres formules savantes.
Il fallait même se remémorer des expressions mnémotechniques encore plus difficiles à absorber.
Réciter "car notre ordre fut net, Napoléon massera à l'est si possible 6 colonnes armées" était un must pour réussir en chimie au bac.
Désormais, nous disposons, à portée de quelques clics, non seulement de toute l'information scientifique, mais aussi de toutes les ritournelles sensées nous les faire apprendre.

Je me souviens que l'institution scolaire a aussi voulu m'inculquer les bases de ce que l'on nommait alors "dessin industriel".
Comme j'étais hermétique aux joies des planches à dessin, des calques, des projections, des intersections et des tire-lignes, mes professeurs sarcastiques me conseillèrent vivement de ne jamais travailler dans un bureau d'études.
Prophétiques, ils prévoyaient aussi que les ordinateurs ne commenceraient à rivaliser avec leur belle discipline que vers 2025.
Désormais, planches à dessin et calques ont déserté les bureaux d'études - anglicisés en R&D centers - où je sévis depuis une trentaine d'années. CAO et autres programmes de calculs les ont remplacés dès la fin des années 1980.

Pédagogiquement votre

Références et compléments
- Voir aussi les chroniques
- La ritournelle mnémotechnique à propos du tableau périodique des éléments chimiques légué à l'humanité par le regretté Dmitri Ivanovitch Mendeleïev s'explicite ainsi :
  • Car : C symbole chimique du carbone
  • Notre : N symbole de l'azote, antérieurement nitrogène
  • Ordre : O symbole de l'oxygène
  • Fut : F symbole du fluor
  • Net : Ne symbole du néon
  • Napoléon : Na symbole du sodium, anciennement natrium
  • Massera : compléter le M en Mg pour obtenir le symbole du manganèse
  • À l'est : Al symbole de l'aluminium
  • Si : Si symbole du silicium
  • Possible : P symbole du phosphore
  • Six : S symbole du soufre
  • Colonnes : Cl symbole du chlore
  • Armées : Ar symbole de l'argon
Lycéens grivois, moutonniers et laïques, nous préférions une version paillarde et anticléricale "Naguère Monseigneur Allouche Si Pervers Suça Claire Ardemment".

samedi 21 février 2015

Orange lauréat du Dalton d'or

Mon chromatique et agrumique fournisseur de télécommunications m'a récemment expédié un nouvel engin de connexion à internet, plaisamment baptisé en français “boîte vivante”, afin de remplacer le précédent qui commençait à être atteint d'Alzheimer électronique.

Malheureusement, la mise en marche de nouveau dispositif n'a pas été instantanée. J'ai du batailler avec ma toute neuve passerelle vers le cyber-espace et son interface de réglage.

La notice qui l'accompagnait, au demeurant fort bien rédigée, ne m'a été d'aucun secours car le diagnostic dépendait de la couleur de voyants gros comme des têtes d'épingle et pouvant arborer chacun indifféremment les 3 couleurs les moins distinguables par un daltonien : rouge, orange, vert.
Comble d'infortune, ces lumignons ont la riche idée, par moments, de clignoter afin de rendre la détection de leur teinte encore plus hasardeuse.

Heureusement, mes enfants, qui jouissent d'une vision chromatique standard, ont pu et du me venir en aide.
Familialement unis dans l'effort, nous avons pris le dessus sur les clignotants de la “boîte vivante” et retrouvé, dans des délais raisonnables, un lien vers la Toile.
Si j'avais été seul, j'aurais probablement continué à galérer pendant une sacrée lurette. J'aurais peut-être même du faire appel à un voyant pour obtenir leurs couleurs.

Pour convaincre les nombreux lecteurs non daltoniens de ce blog, je vous propose deux photos.

Tout d'abord, ma “boîte vivante” en vision standard, c'est à dire, en l'occurrence, à travers l'objectif parfaitement objectif de mon appareil photo.


Ensuite, la même “boîte vivante”, telle que perçue par un daltonien deutéranope.


Si, comme votre serviteur, vous ne distinguez aucune différence de teinte des loupiotes entre les deux images, trois possibilités s'offrent à vous :
- soit l'écran sur lequel vous lisez cette chronique a un gros souci,
- soit vous êtes sous l'effet de substances que, généralement, la faculté de médecine et les forces de police recommandent simultanément de prohiber,
- soit vous êtes très probablement daltonien.

À l'inverse, si votre perception des voyants n'est pas identique entre les deux clichés, vous êtes, à coup sur, un client privilégié d'Orange.

Daltoniquement votre

Références et compléments
- Tel un technicien de cinéma césarisé, je remercie vigoureusement ma famille à qui je dois doublement cette chronique, par le rétablissement de la connexion internet et par l'assistance apportée pour ne pas mélanger les 2 images ci-dessus.

- Voir aussi les chroniques :
- L'image transformée a été obtenue grâce à l'application ChromaGlass

- Le Dalton d'or est un trophée destiné à récompenser les systèmes cassant les pieds aux daltoniens dans leur vie quotidienne.
Les candidatures au Dalton d'or sont les bienvenues et peuvent être envoyées à l'auteur de ce blog qui démocratiquement délibérera seul en son âme et rétine.

- La dyschromatopsie, couramment baptisée daltonisme, est une anomalie de la vision dans laquelle un ou plusieurs des trois types de cônes de la rétine oculaire, responsables de la perception des couleurs, sont déficients.
Environ 1 homme sur 12 et 1 femme sur 200 ont les cônes qui déconnent.
Pour plus de détails se reporter aux articles Wikipedia sur le daltonisme en français et en anglais.
   

mardi 30 décembre 2014

N'en déplaise à Jeremy Rifkin, internet n'éclipse pas le capitalisme

J'ai entamé, et probablement je ne terminerai pas, la lecture du livre de Jeremy Rifkin la nouvelle société du coût marginal zéro.

Ce consultant prolifique passe le plus clair de son temps à prodiguer aux grands de ce monde, moyennant quelques kilodollars sonnants et trébuchants, ses précieux avis prospectifs.
Tous les 2 ans, il s'abaisse à s'adresser au bon peuple par le biais d'un best-seller, ni libre, ni gratuit.

Dans sa plus récente production (rassurez-vous, je ne l'ai pas payée), il proclame, en 500 pages filandreuses, que la troisième révolution industrielle provoquée par internet va rendre la production de tous nos besoins à coût marginal nul grâce à l'informatique, aux télécoms, aux imprimantes 3D, à la production individualisée d'énergies renouvelables et aux communaux collaboratifs.
Ces derniers, appelés aussi open source, sont, à l'instar de Wikipedia et des logiciels libres, des informations rendues par leurs auteurs accessibles et utilisables par tout un chacun. Les licences Creative Commons en sont l'emblème le plus connu.
Ce cocktail détonnant va, selon son thuriféraire, rien moins que provoquer l'éclipse du capitalisme et nous changer tous de consommateurs en prosommateurs (en anglais prosumers).

Ce savant mélange de positivisme béat, d'écologie radicale et de déni des ordres de grandeurs a le don de me hérisser le poil.
Je ne réussis pas à comprendre comment, à partir de phénomènes indéniables, un gourou autoproclamé peut tirer des conclusions aussi peu étayées et surtout fasciner nombre de nos décideurs politiques, dont Angela Merkel, Nicolas Sarkozy, Arnaud Montebourg et François Hollande.

Je vous propose donc d'examiner de plus près quelques unes des prophéties de Jeremy Rifkin.

Ne pas confondre coût marginal zéro et coût total nul

Il est vrai que, dans les domaines liés à l'informatique au sens large, le coût individuel d'un traitement ou d'un stockage - ce que les économistes appellent le coût marginal - tend vers zéro.
Par exemple, à partir du moment où vous avez fait l'acquisition d'un disque de plusieurs téraoctets, y loger vos dernières photos de vacances ne requiert aucun débours additionnel.
Toutefois, obtenir un coût marginal réduit suppose en amont des investissements souvent conséquents, dans notre exemple l'achat initial du disque.
Internet repose sur des réseaux de télécommunications et des data centers à la fois fort peu immatériels et très onéreux. Ainsi, si votre opérateur vous facture un forfait mensuel et non un prix à chaque transaction, c'est parce que l'arrivée de cette chronique sur votre terminal ne lui cause aucune dépense spécifique mais que la construction et l'entretien de son réseau doivent être couverts par des recettes.
La troisième révolution industrielle, à l'instar des deux précédentes, est mue par des infrastructures massives requérant des financements colossaux.
De même, la production énergétique, quelle que soit sa forme, classique ou renouvelable, massive ou décentralisée, est aussi un gouffre à investissements. Les technologies respectueuses de notre planète ne sont pas pour autant moins avides en capital.
À titre d'illustration, pour faire rouler l'intégralité du parc automobile français à l'électricité solaire, en faisant fi des menus problèmes d'acheminement et de stockage de l'énergie, un rapide calcul montre qu'il faudrait implanter de l'ordre 140 000 hectares de panneaux photovoltaïques, l'équivalent de 6 forêts de Fontainebleau.
Un tel équipement coûterait la bagatelle de 1 500 milliards, 23 000 euros par français, 9 mois de PIB. On est très loin d'un coût nul, même en imaginant des améliorations technologiques.

Le bénévolat a toujours existé

Il est parfaitement exact que l'irruption des communaux collaboratifs bouscule des business parfois établis de longue date.
La publication d'encyclopédies n'a pas survécu à Wikipedia, les éditeurs vacillent sous l'effet des copies et l'industrie du logiciel est durablement transformée par l'irruption du libre.
D'une manière générale, il est probable que la propriété intellectuelle traditionnelle ait pris une belle volée de plomb dans son aile.
Toutefois, au cours de l'histoire économique, les limites entre activités marchandes et non marchandes, voire bénévoles, n'ont cessé de fluctuer. Le capitalisme depuis son essor au début du dix-neuvième siècle s'est d'ailleurs toujours très bien accommodé des coopératives en tous genres.
Trois exemples, parmi de nombreux autres, de ces frontières floues de l'emprise des marchés :
  • Jusque vers le tiers du vingtième siècle, la santé était majoritairement l'apanage de la charité et du bénévolat.
  • Les tâches domestiques, longtemps rétives à tout négoce, restent encore largement hors marché, même si les équipements électroménagers - investissements non négligeables - ont secoué la donne.
  • Une grande partie des biens et services que nous utilisons dépendent de brevets tombés dans le domaine public, c'est à dire librement et légalement exploitables.
Les nouveaux communaux collaboratifs, grâce à la technologie, rendent non marchands ou plutôt indirectement marchands des domaines inédits. C'est un défi d'importance pour les entreprises et l'emploi des secteurs concernés mais pas une mise à mort des lois générales de l'économie.

Toute notre consommation n'est pas imprimable

Il est indéniable que la spectaculaire et récente amélioration de l'impression 3D va troubler des productions bien établies. C'est une des multiples mutations en cours dont toutes les conséquences ne sont pas encore perceptibles.
Toutefois, si nous examinons notre usage de biens et services, une bonne part n'est guère reproductible en 3D : l'alimentation et les autres éléments d'origine organique, les composants électroniques à commencer par ceux employés dans les imprimantes, les matériaux de construction, les avions, les trains, etc...
Là encore, des secteurs entiers de l'économie vont être affectés par ces évolutions et la frontière marchand - non marchand va être redessinée.
Grâce à ces changements techniques et sociétaux - Joseph Schumpeter aurait dit ces destructions créatrices - les capitalistes ont encore de très beaux jours devant eux, à commencer par les fabricants, les vendeurs et les exploitants d'imprimantes 3D.


Une des mutations que Jeremy Rifkin oublie de mentionner est que grâce à internet, notamment au communal collaboratif Wikipedia et à l’hydre capitaliste Google, les discours des experts de tout poil sont devenus aisément vérifiables.

Marginalement votre

Références et compléments
- Voir aussi la chronique "un monde sans droits d'auteur, ni brevets est possible"
- Pour évaluer par vous-même les succulents avis de Jeremy Rifkin dans son impérissable livre La nouvelle société coût marginal zéro : l'internet des objets, l'émergence des communaux collaboratifs et l'éclipse du capitalisme, tout en mettant en pratique ses conseils avisés sur les communaux collaboratifs, je vous suggère ce lien.
- Je tiens à disposition des lecteurs le détail du calcul des panneaux solaires pouvant alimenter les voitures électriques.
- Merci à Myriam de m'avoir suggéré l'oeuvre indépassable de Jeremy Rifkin.

lundi 15 décembre 2014

MOOC : avis de tempête sur l'enseignement

Je viens, pour la première fois, de suivre un MOOC.

Cet acronyme anglais, qui se prononce mouque, signifie Massive Online Open Course, cours en ligne massif et ouvert.
Durant un mois et demi, j'ai, chaque semaine, consacré environ 2.5 heures à regarder des vidéos, répondre à des évaluations, corriger celles d'autres participants et dialoguer sur des forums.

Cette expérience enrichissante laisse entrevoir des bouleversements rapides dans l'éducation, domaine où les méthodes n'ont que peu évolué depuis le Moyen-Âge.
Dans la décennie qui vient, l'université traditionnelle, mais aussi une partie du lycée, voire du collège, seront emportés.

Analysons ensemble cette mutation annoncée.

C'est quoi un MOOC ?
Un MOOC est un cours gratuit diffusé par internet.

Le ou les professeurs enregistrent leurs interventions en vidéo.
Elles sont ensuite visionnées par les participants à l'horaire et au rythme de leur choix.
Les MOOC sont souvent des modules de 6 semaines, avec 1 à 2 heures hebdomadaires de vidéos.
Généralement, supports de cours et vidéos sont non seulement consultables mais aussi téléchargeables.

Le MOOC comporte aussi des évaluations à remplir en ligne, généralement une par semaine, la dernière étant plus étoffée.
Pour obtenir sa note, il est indispensable de corriger les évaluations d'environ 5 autres participants. Le système se prémunit ainsi des erreurs de notation.

La plupart des MOOC sont accompagnés de forums en ligne où les participants, et parfois l'équipe pédagogique, peuvent échanger autour des thèmes du cours.


Qui peut suivre un MOOC ?
Toute personne munie d'une connexion internet peut s'inscrire à un MOOC, quels que soient son âge, son niveau initial de formation, son expérience, son lieu de résidence, ses revenus, ses horaires, sa motivation, sa maîtrise linguistique…
Le M de MOOC, qui signifie massif, indique que ces cours s'adressent au plus grand nombre.


Quels sont les avantages des MOOC ?
Les MOOC mettent le savoir à la portée du plus grand nombre. Désormais, d'excellentes universités mondiales mettent en ligne les cours de leurs meilleurs professeurs.
Toute personne, qui souhaite se former ou tout simplement approfondir un thème, peut désormais y parvenir sans difficulté logistique ou pécuniaire. Plus besoin de se rendre dans une métropole, de s'inscrire, éventuellement de payer ou encore d'être tributaire d'horaires prédéfinis.

Pour des enseignements de niveau basique, pour faire simple de la fin du lycée à la licence, les MOOC donnent accès aux meilleurs pédagogues.
La loi d'Ohm ou les principes de la comptabilité générale sont plus faciles à digérer lorsqu'ils sont présentés par une bête de scène effectuant un vrai show devant la caméra.

Le haut niveau est aussi mis à la portée de tous et non plus réservé à quelques dizaines d'heureux élus d'une faculté bien précise.
Si la biologie marine des fosses de l'océan pacifique vous fait palpiter, les spécialistes du domaine ont mis leurs connaissances à votre disposition.


Y a-t-il des inconvénients ?
L'enseignement traditionnel qui regroupe, durant une année, les mêmes étudiants, dans une unité de temps et de lieu, pallie partiellement, par ses structures et ses rituels, notamment les examens, au manque de motivation.

Avec un MOOC, l'apprenant est seul devant son écran et doit affronter les baisses d'envie sans le secours d'une institution et de condisciples.
Tracer sa propre voie en solitaire est plus exigeant que de rester dans des rails collectifs.

De surcroît, un campus ou un lycée est aussi un lieu de socialisation où de nombreuses interactions humaines se nouent et se dénouent.
Cette absence de contacts bien réels est le principal défaut de tous les outils en ligne. Les MOOC ne font pas exception en la matière.
Ainsi, par exemple, il n'est pas certain que votre serviteur aurait pu, lors d'un MOOC, tisser une relation solide avec celle qui allait devenir son épouse préférée.

Autre imperfection des MOOC, ils se prêtent à la transmission de connaissances, mais pas à leur mise en pratique matérielle.
Beaucoup de disciplines, surtout scientifiques, nécessitent, non seulement une maîtrise théorique, mais aussi un entraînement à la mise en oeuvre concrète. Pour l'instant, en dehors de l'informatique et des mathématiques, le matériel et les encadrants ad hoc ne se prêtent guère à la mise en ligne.


Un MOOC est-il vraiment gratuit ? Comment est-il financé ?
Dans un MOOC, le plus souvent, le cours et l'évaluation sont totalement gratuits.
Par contre, la certification de la note est payante. Habituellement de l'ordre de 100 € pour un cours de 6 fois une heure.
Les participants désirant un diplôme assurent donc la mise à disposition gratuite au plus grand nombre de connaissances et de pédagogie.
Il s'agit d'un renversement du modèle traditionnel. Jusqu'alors, dans une école privée, le totalité de la scolarité était payante, sans distinction entre enseignement, évaluation et certification.

Les tarifs actuels de certification sont très loin d'être bradés.
Suivant les disciplines, un enseignement traditionnel post-bac varie entre 15 et 25 heures hebdomadaires, réparties sur 9 mois par année.
Un étudiant souhaitant réaliser le même programme annuel avec des MOOC doit donc débourser entre 8 000 et 14 000 € pour être complètement certifié, un montant comparable aux 12 000 € que l'état français dépense pour chaque étudiant dans l'enseignement supérieur public.

Les plus grands éditeurs de MOOC sont pour l'instant américains. Venus d'un système où l'enseignement supérieur est massivement payant, ils ont défini leurs tarifs par rapport aux frais traditionnels de scolarité.
L'attrait économique pour les étudiants se situe, à l'heure actuelle, essentiellement dans la diminution des dépenses annexes, principalement de logement.


Quelles conséquences pour le système d'éducation traditionnel ?
Les MOOC sont récents. Les mutations qu'ils vont engendrer sont multiples et pas encore définitives. Néanmoins, il est possible d'esquisser quelques tendances qui, très vite, pourraient devenir réalité.

  • L'enseignement en ligne va mettre à mal l'enseignement traditionnel. Un éventuel système mixte ne sera pas durable.
    À chaque fois qu'une nouvelle technologie apparaît, les acteurs de l'ancien système, en bonnes autruches, font l'éloge du mélange des genres.
    Avec le recul de l'histoire, passé une période de transition, souvent assez courte, cela ne s'est jamais produit. Ainsi, diligences, machines à vapeur, télégraphes ou chanteurs de rue ont mal survécu.
    Il n'y a pas d'exemple où une baisse drastique de coûts de production n'ait pas révolutionné rapidement un secteur.
     
  • Les tarifs des institutions privées d'enseignement vont s'écrouler.
    Le coût d'un MOOC est fixe et peut s'amortir sur plusieurs années.
    Plus le nombre d'étudiants désireux d'être certifiés en ligne augmentera ; plus, concurrence aidant, les tarifs baisseront.
     
  • Les acteurs de l'éducation vont se concentrer internationalement.
    À l'instar de Google, Apple ou Amazon, les acteurs de l'éducation en ligne vont très probablement se concentrer. Les meilleurs et les plus connus rafleront toute la mise.
    Pourquoi suivre un MOOC et payer pour avoir une certification de l'Université de Corrèze ou de Kelibia lorsque, pour le même prix, on peut décrocher, dans la même discipline, un diplôme de Stanford ?
    Le monde académique s'industrialise et va faire l'objet de batailles concurrentielles mondiales.
     
  • Les MOOC sont la bouée de sauvetage de l'enseignement public gratuit et égalitaire.
    Aujourd'hui, en France, grosso modo 300 à 500 professeurs enseignent les rudiments du génie électrique en premier cycle.
    Il en est de même dans toutes les disciplines de base, pour l'ensemble des pays francophones.
    L'usage de main d'oeuvre enseignante et de bâtiments est important et pèse directement sur des deniers publics de plus en plus rares.
    De surcroît, des acteurs privés internationaux vont venir concurrencer les systèmes nationaux publics et gratuits.
    Sans de très forts changements volontaires, l'inégalité sociale du système éducatif français va s'accroître.
    Avec des MOOC, il suffirait que les puissances publiques financent, pour toute la Francophonie, 3 à 5 professeurs par discipline ainsi que quelques vidéastes pour obtenir un service identique, voire meilleur, que les cours universitaires traditionnels actuels.
    L'économie en personnel et en immobilier serait gigantesque, surtout si les MOOC empiètent, au moins partiellement, sur le lycée.
    Seules les séances de travaux pratiques, partiellement remplaçables par un couplage entre des MOOC et de l'apprentissage, auraient besoin d'être maintenues avec enseignants et salles de classe.
     
  • Professeur de lycée ou de premier cycle sera très prochainement une profession sinistrée.
    Plus un enseignement est basique et non spécialisé, plus il est menacé par les alternatives en ligne.
    Une partie des professeurs surnuméraires pourra devenir des tuteurs pour guider et suivre les étudiants en mal de motivation.
    Une autre fraction pourra s'investir plus dans la recherche et les thématiques de pointe.
    Mais, revers terrible de la médaille, une majorité d'enseignants actuels devra trouver un autre travail.
    Se destiner au professorat est, pour un futur bachelier de 2015, un choix suicidaire.
    De même, pour une institution traditionnelle d'éducation, agrandir son campus est devenu une option mal avisée.
     
  • Les cursus linéaires de formation et la sélection à l'entrée vont prendre un coup de vieux.
    Chacun peut s'inscrire à un ou plusieurs MOOC ans aucune condition. Seul l'acquis par rapport au sujet du cours est évalué en fin de MOOC.
    Cette manière peu rigide de procéder est bien adaptée à la formation continue tout au long de la vie. Les tenants des diplômes traditionnels vont devoir se repositionner par rapport à ces nouvelles pratiques flexibles.
    Quant à la détestable sélection à l'entrée pratiquée en France et Tunisie au moment du bac et des classes préparatoires, ses jours sont comptés...
       
  • La tempête des MOOC va aussi impacter l'immobilier.
    Les besoins en bâtiments d'enseignement vont s'écrouler. Des réserves foncières gigantesques seront ainsi libérées dans les années à venir.
    De même, le marché des résidences étudiantes risque de connaître un sacré coup de mou.
    Au final, la physionomie et la sociologie de villes comme Grenoble, Montpellier ou Toulouse pourraient être radicalement modifiées.

Mutationnellement votre

Post Scriptum : j'ai conscience et j'assume le caractère perturbant, provocant et polémique de cet exercice de prospective simultanément pédagogique et technologique.
Je vous invite à le commenter et le critiquer. Merci, pour ce faire, de me contacter.

lundi 10 novembre 2014

Les innovations réussies ne sont presque jamais technologiques

Les innovations, que beaucoup appellent de leurs vœux pour relancer l’économie ou améliorer société et modes de vie, sont souvent perçues comme synonymes d'avancées technologiques.

Pourtant les succès commerciaux sont rarement le fruit de percées techniques. La plupart du temps, il s'agit de cocktails originaux d'éléments préexistants.

Pour tenter de vous en convaincre, examinons ensemble quelques cas emblématiques des quarante dernières années.

Gel douche
Jusqu'à la fin des années 1970, les détergents pour l'hygiène corporelle étaient exclusivement solides.
Lors de la décennie suivante, ce marché, actuellement trois fois plus vaste que celui des smartphones, a subi un cataclysme. Marketing et usage nous ont conduit à plébisciter l'amollissement généralisé des savonnettes.
Désormais on passe plus souvent des savons dans les commissariats que dans les rayons des hypermarchés.
Je suppose que fabriquer du gel douche ou du savon n'est guère différent sur le plan strictement physico-chimique. De toute éternité, les savonniers ont su régler la mollesse de leurs produits.
Tout s'est joué dans nos têtes et nos salles de bain, pas dans des laboratoires.
Collectivement, nous avons choisi l'achat de produits plus volumineux et souvent plus chers.
Les entreprises qui ont su incorporer de l'eau à leur savon pour le rendre gluant, ont prospéré. Celles restées exclusivement accrochées à leurs produits compacts ont disparu avec l'eau du bain.

Ronds-points routiers
Les carrefours circulaires avec priorité au véhicule engagé, populaires en Angleterre depuis les années 1920, sont apparus en France sensiblement au moment où le gel douche remportait sa victoire sur le savon. Il s'agit de la trace la plus durable du premier septennat de François Mitterrand.
Auparavant, les ronds-points étaient rares et favorisaient le nouvel arrivant, comme sur la place de l'Étoile à Paris.
Lorsque j'ai passé le permis de conduire en 1981, l'agglomération de Grenoble n'était dotée que d'un seul de ces carrefours dont l'utilité principale était de satisfaire le sadisme des inspecteurs.
La vogue de l'époque était l'intersection dotée de feux tricolores sophistiqués, modulant  leur tempo en fonction des flux de voitures, par l'entremise de microprocesseurs alors balbutiants et de boucles de mesure noyées dans le sol.
Les ronds-points ont chahuté le business des luminaires programmables. Une innovation exclusivement basse technologie aux ingrédients au moins aussi vieux que l'automobile - un tracé circulaire, des bordures de trottoir, un peu de macadam et quelques panneaux triangulaires - a durablement plombé la croissance prometteuse de systèmes nettement plus élaborés.
Les élus locaux et les entreprises de travaux publics n'ont pas vraiment la transparence chevillée au corps aussi l'impact économique des ronds-points est difficile à évaluer. Selon toute vraisemblance, le chiffre d'affaire annuel des intersections circulaires est 2 à 5 fois plus fort que celui des smartphones.

Ventes en ligne de voyages
Comme dirait le poète, guichets et agences de voyage n'en finissent pas de mourir.
Désormais, pour se rendre à Carcassonne ou à Kuala Lumpur, plus d'une fois sur deux, c'est sur le web que nous dégottons le précieux sésame nous permettant d'embarquer dans un train ou un avion. Les ventes de tourisme sur internet sont comparables aux ventes de smartphones.
Pourtant les commerçants en ligne n'ont pas inventé internet, loin s'en faut. Les premiers voyagistes virtuels sont apparus plusieurs années après la naissance de toile, au départ pour solder les invendus des circuits traditionnels de commercialisation.
Les agences de voyage avaient depuis les années 1970 accès à des services informatiques à distance - on disait alors télématiques - de réservation. Au détour de l'an 2000, le web a rendu possible leur usage par un public non professionnel, à toute heure et en tout lieu.
Là encore, le mariage, par des innovateurs concentrés sur les clients et les usages, de technologies déjà existantes a bouleversé une activité centenaire.

iPhone
Cet emblème de la high-tech est un splendide cocktail.
Lorsqu'en 2007, Steve Jobs lançait son premier iPhone, toutes les technologies existaient déjà et étaient de longue date employées par ses compétiteurs : communications radio, codages et décodages du son ou du signal téléphonique, processeurs, mémoires, logiciels en tous genres, écrans tactiles, batteries, hauts-parleurs, microphones, sans oublier la vente par correspondance sur le web évoquée ci-dessus.
Ce qu'a réussi Apple avec l'iPhone et qui, par voie de conséquence, a précipité la chute des fabricants historiques de téléphones mobiles comme Nokia, est un mélange inédit de ces différents éléments.
Ainsi l'écran tactile couplé à un clavier virtuel permet de disposer d'un affichage sur toute la surface du téléphone.
De même, la firme au logo fruité réalise une part importante de son chiffre d'affaire et de sa marge en revendant, à distance, des applications installables sur ses engins développées par d'autres.
L'entreprise de Cupertino, en se concentrant sur le design, l'usage et l'image s'est construit une position enviable, alors que ses concurrents focalisés sur les technologies ont définitivement perdu pied.

Ces quatre exemples, qu'une multitude d'autres pourrait compléter, doivent nous conduire à réfléchir sur les politiques de promotion de l'innovation menées par les entreprises et l'état.
Ainsi, le soutien public très fort en France à la R&D technologique, par l'entremise, notamment, du crédit d'impôt recherche, est discutable. Un coup de pouce pour développer stratégie, marketing et design serait probablement plus efficace.
Amazon, Apple, eBay, Facebook, Google, Microsoft, Oracle, Twitter, pour ne citer qu'eux, dominent l'internet mondial. Ils ne sont pourtant à l'origine directe d'aucune nouvelle technologie, ils n'ont bénéficié d'aucune subvention et une forte part des logiciels qu'ils emploient sont libres, c'est à dire à la disposition de chacun.

Innovatiquement votre

Références et compléments
- Voir aussi la chronique "Automobilistes préférez-vous les carrefours libéraux ou administrés ?"
- Tous mes remerciements à Mehdi et aux étudiants du Master IMN de Grenoble. Les échanges avec eux sont particulièrement vivifiants.

dimanche 26 octobre 2014

Ne zappons pas les publicités, cliquons les !

À l'instar de nos rues, de la radio ou de la télévision, la publicité est souvent envahissante sur internet. Cela me déplaît souverainement et il en est probablement de même pour vous.

Face au déferlement de propagande commerciale, la tentation est grande d’installer un bloqueur de publicité dans son navigateur.
Ce type de logiciel, comme son nom l'indique, assure une censure privée et automatique sur toute supposée réclame avant qu'elle apparaisse sur notre écran.

Malheureusement, cette artillerie lourde anti-publicité manque singulièrement d'efficacité.
Le site visité, dont l'accès est généralement gratuit, ne touche aucun revenu.
À l'inverse, l'annonceur, comme ses bannières et vidéos ne sont pas affichées, ne débourse rien.
Certes, il rate une cible potentielle mais comme une publicité agaçante a peu de chances de concourir à un achat, nous avons contribué à la productivité de ses dépenses promotionnelles.

Depuis quelques temps, j'ai recours à la tactique opposée.
Lorsque je parcours un site que j'apprécie - par exemple Météo-Grenoble - et que je repère une bannière qui me gonfle, je clique immédiatement dessus.
Je pend soin d'ouvrir la nouvelle page dans un autre onglet du navigateur et de ne pas passer de temps à la regarder.
Mieux même, si j'ai vraiment une dent contre la marque, je parcours un peu hasard son site afin que les compteurs relèvent une “profondeur de navigation”.
Ainsi, je clique systématiquement sur toute réclame pour du tourisme dans un état situé sensiblement autour de 32° de latitude nord et 35° de longitude est.

Cette guérilla est le contraire des bloqueurs de publicité.
Le site visité est rémunéré et la marque honnie a réalisé une dépense improductive.
Qui plus est, si nous sommes nombreux à le faire, au vu des statistiques, les stratèges publicitaires auront tendance à croire que leurs campagnes sont efficaces ce qui devrait les pousser à persévérer. Généralement, les bannières cliquées réapparaissent ce qui permet, assez vite, de relancer le combat.
Enfin, embêter des gens et des entités que nous ne prisons guère est un plaisir un peu puéril mais tellement jouissif.

Ultime précaution, il faut éviter de suivre les publicités des marques ou des causes qui nous agréent afin de ne pas leur créer de dépenses inutiles.

Je conclus en formulant le vœu que des informaticiens développent sans tarder un logiciel qui cliquerait automatiquement les publicités énervantes. Chacun pourrait alors mener ses guérillas personnelles avec précision et efficacité.

Insubordinationnellement votre

Références et compléments
- Les publicités présentes sur ce blog sont totalement gratuites. Beaucoup sont pour des amis qui méritent votre visite ou bien pour la Croix Rouge que je vous encourage à soutenir.
- Je ne peux citer l'état qui m'exaspère car appeler, en France, à son boycott, est, parait-il, un délit. Alors que recruter des soldats pour son armée ne le serait pas.

samedi 27 septembre 2014

Grève chez Air France : travailleurs vs consommateurs

Les pilotes d'Air France poursuivent une grève entamée depuis presque deux semaines.

Ces chevaliers du ciel ont un métier exaltant, une paie enviée par bien des ministres et une durée de travail apte à propulser Martine Aubry en extase.

La direction de l'entreprise, prenant prétexte de l'existence de quelques compagnies soit-disant low cost, souhaiterait que ses aviateurs travaillent plus pour gagner moins.
Comment dans ces conditions, ne pas résister de toutes ses forces à une telle régression ?

Toutefois, mon honnêteté foncière m'oblige à confesser que, de la même manière que je suis responsable du déclin des librairies, je trouble aussi la quiétude socio-professionnelle des amis de Mermoz.
Je prends beaucoup plus l'avion qu'il y a 20 ou 30 ans mais plus du tout aux mêmes conditions.

Mon employeur m'expédie régulièrement un peu partout sur la planète. Malheureusement, il y a une belle et grande lurette qu'il ne me paie plus la business class.
Pire même, il me force à comparer les prix des différentes alternatives et m'oblige à choisir la moins coûteuse. Aussi, ces derniers temps, j'ai plus volé avec des descendants de Manfred von Richthofen que de Georges Guynemer.

Étonnamment, quand je me déplace pour des motifs familiaux ou personnels, je pratique de la même façon, en écumant le web pour tenter d'y dégoter le meilleur compromis entre disponibilité, volume de bagages et prix.

L'époque, pas si lointaine, où l'agence Air France située place Victor Hugo à Grenoble était "le" lieu d'achat dans le Dauphiné de voyages aériens à prix quasi-fixes semble définitivement révolue.

Pour terminer cette chronique, j'aimerais soumettre quelques questions aux pilotes grévistes.

  • Êtes-vous l'heureux utilisateur d'un smartphone ou d'une tablette ?
  • Vous arrive-t-il de faire des achats en ligne ?
  • Succombez-vous, parfois, face à plusieurs options d'achat, à la tentation du plus bas prix ?
  • Téléchargez-vous, de temps à autres, musiques, films ou livres sans verser d'obole aux ayants droit ?
  • Avez-vous déjà investi dans des placements défiscalisés ?
  • Possédez-vous une voiture d’une marque autre que Citroën, Peugeot ou Renault ?
  • Râlez-vous quand les personnels de la SNCF ou du contrôle aérien cessent le travail ?
Je vous fiche mon billet - d'avion cloué au sol - que l'essentiel des occupants des cockpits d'Air France répond positivement aux questions ci-dessus.

Lorsque, durant notre temps libre, nous pratiquons la belle activité de consommateur, il nous est très difficile de ne pas tordre notre propre bras, celui des travailleurs et chômeurs que nous sommes tous.

Le jour où des vestes bleu marine à galons dorés seront présentes devant les usines et les bureaux qui ferment, je réviserai mon opinion sur le mouvement social des pilotes.

Mutationniquement votre

Références et compléments
- Voir aussi la chronique “J’ai tué la librairie Arthaud de Grenoble”.

jeudi 21 août 2014

Photos de vacances et interview emblèmes du décalage de François Hollande

Au delà des éléments conjoncturels, la crise dans laquelle nous sommes englués depuis 2008 est le fruit des mutations de la troisième révolution industrielle.
L'essentiel des emplois et de l'activité d'aujourd’hui, et encore plus de demain, sont directement ou indirectement liés au numérique. Aussi, sortir du marasme ambiant suppose, a minima, de comprendre les évolutions très profondes qui remuent société et économie..
Rien de tel pour ce faire que de se forcer à l'usage concret et personnel des éléments les plus caractéristiques et grand public des changements en cours.

À quelques jours d’intervalle, François Hollande a fait, à deux reprises, la démonstration de son décalage patent avec le monde actuel.

Premier épisode, des photos de vacances - semble-t-il prises à son insu - montrent le président à la plage en train de lire un quotidien national payant dans sa version papier.
Notre élu suprême est-il au courant que le lectorat de ce type de publication chute de plusieurs pourcents chaque année ?
Sait-il que cette pratique est devenue minoritaire ?
Est-il conscient que les moins de 30 ans - pourtant priorité de son quinquennat - sont étrangers à l'univers de la presse papier ?
Ne devrait-il pas au contraire profiter de la pause estivale pour s'initier à l'information et à la lecture numériques ?

Second épisode, soucieux de valoriser son action et de montrer que la barre est fermement tenue, le même François Hollande a donné une longue interview écrite plus propice aux explications structurées que le traditionnel ping pong télévisuel.
Pour cette tribune, il a choisi le Le Monde, figure de proue de la presse dinosaure.
Certes, le site internet du journal a publié le dialogue du président avec ses journalistes, mais exclusivement dans sa version payante pour ses abonnés.
Résultat, l’immense majorité des internautes qui auraient souhaité lire l'interview présidentielle n'a eu accès qu'aux résumés plus ou moins fidèles des autres sites web.
À coup sur, cette communication d'un autre âge n'a atteint que très peu de personnes de moins de cinquante ans.

Ce travers n'est pas spécifique à François Hollande, mais commun à la plus grande part des leaders politiques. Si Nicolas Sarkozy était sorti vainqueur de l'élection présidentielle, j'aurais pu écrire un billet similaire.

Comment penser un monde dont on ne maîtrise plus les codes de base ?
Pourquoi continuons-nous à porter au pouvoir des personnes autant éloignées de notre réalité ?

Numériquement votre

Références et compléments
- Voir aussi les chroniques
“François Hollande allergique au numérique ?”
. "Allons-nous renoncer encore longtemps ? Réaction épidermique aux élections européennes"

- Je dédie cette chronique au twittonaute @YvesCohenTanugi qui relaie souvent mes chroniques. Je ne suis pas systématiquement d'accord avec lui mais c'est une personne de convictions, passionnante à suivre, avec qui le débat est aisé et respectueux. Et quand l'essentiel est en cause, nous nous retrouvons !

jeudi 31 juillet 2014

Télécharger gratuitement un film n'est pas un vol

Si, alors que vous m'avez fort aimablement invité à dîner, je leste mes poches de quelques pièces de votre argenterie familiale, je commets un vol.
Pareillement, si je m'immisce sans billet dans une rame de train et réussit à esquiver le contrôleur, j'accomplis, là encore, un larcin.

À l'inverse, si je m'introduis, à l'insu de votre plein gré, dans votre ordinateur et recopie un livre électronique qui s'y trouve, j'abuse de votre confiance mais je ne perpétue, au sens strict, aucun vol. En effet, je ne vous ai rien soustrait.

Biens ou services matériels, d'une part, et, information d'autre part, sont de nature très différente.

La cuiller héritée de votre grand-mère ne peut être à deux endroits simultanément.
Si je m'en sers, vous ne pouvez l'utiliser et vice-versa.
En vous la subtilisant, je vous empêche d'en profiter. La définition du mot vol - action de s'emparer frauduleusement de ce qui appartient matériellement à autrui - est dans ce cas parfaitement applicable.

De même, si je suis assis à place 12 de la voiture 3 du TGV 456, personne d'autre ne peut utiliser ce siège tant que je l'occupe.
Même s'il s’agit d’un service, et non pas d'un bien, l'aspect matériel rend la prestation unique et non partageable, donc volable.

Par contre, l'information - au sens large et moderne du terme - peut, depuis la nuit des temps, être copiée ou modifiée, sans pour autant disparaître de sa source.

Par exemple, quand à l’école, un instituteur fait apprendre à sa classe une récitation, il transfère de l'information depuis un livre vers, tout d'abord, le tableau noir, puis vers les cahiers de ses élèves et, enfin, dans leur mémoire.
À la fin de l'exercice, le poème est entré, tant bien que mal, dans une vingtaine de têtes blondes mais il ne s'est pas effacé du recueil de poésie utilisé par le pédagogue.

Autre illustration. Si en arrivant au travail, vous faîtes part à vos collègues d'une nouvelle entendue à la radio, vous transmettez, sans autorisation du journaliste, de l'information.
Toutefois, contrairement à la cuiller de mémère ou à la place de train, le texte initial est toujours utilisable par son auteur.

Dans ces deux derniers cas, il n'y a pas eu vol mais diffusion d'information.
Si de telles pratiques avaient été répréhensibles, jamais les trois religions dites du Livre n'auraient connu le succès planétaire.
Recopier le contenu d'un ouvrage de poésie n'appauvrit pas son possesseur, lui cravater son exemplaire papier si.
Vol et matérialité sont les deux faces de la même médaille.

Depuis toujours, il a été possible d'obtenir gratuitement et légalement de l’information mais, jusqu'à récemment, au prix d'un effort certain (mémorisation, recopie à la main, photocopies …) et, le plus souvent, d'une altération du contenu.
De ce fait, l’information dite de qualité était traditionnellement un support matériel (livre, disque, film ...), produit par des professionnels, auquel il était aisé d’associer une valeur économique indéniable.
De surcroît, des systèmes de droits d’auteur, mis en place de longue date, garantissaient aux créateurs d'information (écrivains, musiciens, cinéastes …) ainsi qu'aux diffuseurs une fraction de cette valeur.

L'informatique et les télécommunications ont mis à bas ce bel édifice séculaire.
La recopie d'information à l'exact identique est désormais à la portée de chacun pour un coût marginal nul ou presque.
Lorsque nous téléchargeons ou partageons gratuitement un film ou une chanson, nous poursuivons ce que le système éducatif nous a fait faire pendant toute notre scolarité.
Apprendre par cœur la table de Mendeleïev, recopier le Bateau Ivre d'Arthur Rimbaud ou récupérer en mp3 l’indépassable dernier opus de Johnny Hallyday sont des actes similaires.
Les évolutions technologiques ont supprimé la difficulté et le coût des opérations de reproduction d'information, pas leur nature.

Auteurs et éditeurs font face, au XXIème siècle, au même problème existentiel que les fabricants de fiacres ou les maréchaux-ferrants lors de l'avènement de l'automobile au tournant du XXème siècle.

Vers 1810, en Angleterre, la révolte des luddites a amené des artisans tisserands à saboter des métiers mécaniques qui menaçaient leur activité ancestrale. Cette violence désespérée n'a évidemment eu aucune conséquence de long terme.

Les industriels de la musique, du livre et du film se comportent aujourd’hui comme les luddites de naguère.
Comme la destruction des data centers et des smartphones est à peu près impossible, ils essaient de nous culpabiliser moralement en nous expliquant que télécharger gratuitement c'est voler.
Dans le même temps, ils tentent d'extorquer à l'état français, pourtant impécunieux, des subsides publics afin de prolonger leur irrémédiable agonie.
Toutefois, malgré ces combats d'arrière-garde, leur destin est d'ores et déjà scellé.

Téléchargiquement votre

Références et compléments
- Voir aussi sur des sujets voisins les chroniques :
- La définition du mot vol provient du magnifique site linguistique CNTRL / Trésor de la Langue Française informatisé

samedi 26 juillet 2014

Test : changez-vous le monde ?

Nous sommes nombreux - votre serviteur fait régulièrement partie de cette vaste cohorte - à nous plaindre que notre travail change trop fréquemment, manque de visibilité sur le futur et nous met sous pression constante.
Les plaisants acronymes de RPS - Risques Psycho-Sociaux - et de QVT - Qualité de Vie au Travail - sont même apparus pour décrire cet état de fait.

Toutefois, nous oublions trop souvent dans nos récriminations que chacun ou presque d'entre nous est le premier responsable de cette montée du stress professionnel.

Ces dernières années, nous avons radicalement modifié nos comportements personnels, mettant ainsi sous contrainte les entreprises et les services publics que nous utilisons au quotidien.

Je vous propose, comme à l'habitude, de juger sur pièces par l'entremise d'un petit test.
  • Vous êtes l'heureux utilisateur à titre personnel ou familial d’un ordinateur.
    1 point
     
  • Vous êtes l'heureux utilisateur à titre personnel ou familial d'un appareil photo ou d'une caméra vidéo numériques.
    1 point
     
  • Vous êtes l'heureux utilisateur à titre personnel ou familial d'un GPS.
    1 point
     
  • Vous êtes l'heureux utilisateur à titre personnel ou familial d’une tablette.
    2 points
     
  • Vous êtes l'heureux utilisateur d’un smartphone.
    3 points
     
  • Vous vous rendez régulièrement sur au moins un réseau social (Facebook, Twitter, Google+, Linkedin, Viadeo…).
    1 point
     
  • Vous “postez” régulièrement sur au moins un réseau social.
    2 points
     
  • Vous achetez régulièrement du carburant en libre-service.
    1 point
    Ajoutez 1 point si ces achats ont lieu principalement le dimanche ou entre 20:00 et 08:00).

     
  • Vous effectuez vos achats alimentaires dans au moins 8 commerces différents.
    1 point
     
  • Vous avez déjà acheté une voiture de moins d’un an d’âge en dehors d'une concession dûment patentée par la marque.
    3 points
     
  • Vous consultez, sur internet, des horaires, des catalogues, des commentaires d'utilisateurs, des revues techniques ou d'usage.
    1 point
    Ajoutez 1 point si ces achats ont lieu principalement le dimanche ou entre 20:00 et 08:00.

     
  • Vous utilisez des services en ligne (billetteries, banques, assurances…)
    2 points
    Ajoutez 1 point si ces achats ont lieu principalement le dimanche ou entre 20:00 et 08:00.

     
  • Vous achetez régulièrement des biens sur internet
    3 points
    Ajoutez 1 point si ces achats ont lieu principalement le dimanche ou entre 20:00 et 08:00.

     
  • Vous avez déjà déposé au moins 5 avis sur des sites suggérant aux usagers de donner leur opinion sur des biens, services ou commerces.
    2 points
    Ajoutez 1 point si cela a lieu principalement le dimanche ou entre 20:00 et 08:00.

     
  • Vous avez déjà choisi au moins 5 fois un bien, un service ou un commerce en fonction des avis postés sur des sites suggérant aux usagers de donner leur opinion.
    3 points
    Ajoutez 1 point si cela a lieu principalement le dimanche ou entre 20:00 et 08:00.
     
  • Vous payez au moins 3 de vos factures récurrentes (impôts, eau, gaz, électricité, télécommunications, loyer, charges…) par un moyen dématérialisé.
    1 point
     
  • Vous avez déjà vendu ou échangé un bien ou un service sur internet.
    5 fois par an ou plus : 3 points.
    Moins fréquemment : 2 points.

     
  • Vous rédigez ou encaissez moins d'un chèque par mois.
    1 point
     
  • Vous consultez régulièrement la presse en ligne payante.
    1 point
     
  • Vous consultez régulièrement la presse en ligne gratuite.
    2 points
     
  • Vous avez déjà publié au moins 1 article ou au moins 5 commentaires sur un ou plusieurs sites de presse ou d'opinions.
    3 points
     
  • Vous vous êtes procuré, sous une forme dématérialisée, de la musique, des films, des séries ou émissions TV, des livres, des jeux vidéos ou d’autres produits culturels gratuitement ou à prix très modique.
    3 points
    Ajoutez 1 point si cela a lieu principalement le dimanche ou entre 20:00 et 08:00.

     
  • Vous effectuez régulièrement des voyages en avion.
    Au moins un aller-retour annuel : 1 point.
    5 ou plus aller-retour par an an : 2 points.

     
  • Vous effectuez au moins un voyage à l'étranger par an (quel qu'en soit le motif).
    De un à trois pays différents : 1 point.
    Quatre pays différents et plus : 2 points.
     
  • Vous rapportez de ces voyages des biens notablement moins chers que dans votre pays de résidence.
    Uniquement alcool ou tabac : 1 point.
    Sinon : 2 points.
     
Votre total n'excède pas 16 points : les changements induits par la troisième révolution industrielle ne vous affectent guère. 
Vous n'utilisez que les plus incontournables d'entre eux, en partie contre votre gré.

Vous avez obtenu entre 17 et 36 points : vous participez au mouvement ambiant.
Toutefois, vous laissez à d'autres le soin de défricher et expérimenter les nouveaux usages à votre place. Vous ne les adoptez que lorsqu'ils atteignent une maturité correcte.

Votre score dépasse 36 points : vous changez très activement le monde.
Les aspects positifs des mutations en cours vous attirent. Pour autant, avez-vous - avons-nous - suffisamment pesé leurs inconvénients ?

Mutatio-numériquement votre

Références et compléments
Voir aussi les chroniques :
. Quelles sont les professions menacées par la troisième révolution industrielle ?
Quels métiers choisir pour surmonter la troisième révolution industrielle ?
  

samedi 12 juillet 2014

Il est temps de supprimer le bac !

Tous les ans, trois bons mois avant l’automne, 700 000 jeunes français sont soumis au rite initiatique du baccalauréat.
Cet examen a supplanté par son inutilité symbolique feu le service militaire. Jugez sur pièces.

Les documents ainsi que les ordinateurs et autres engins connectés sont interdits pendant les épreuves.
De surcroît, tout est fait pour que chaque lycéen ne puisse pas échanger avec ses petits camarades.
Le bac privilégie donc le travail solitaire et la mémoire individuelle de savoirs livresques alors que la vie professionnelle, mais aussi sociale, impose d'agir en équipe et de remplacer les têtes bien pleines et bien faites d'antan par des réseaux de têtes chercheuses.
Au XXIème siècle, nous continuons d'évaluer les jeunes comme sous le règne du regretté Napoléon Ier.

Le bac, à sa création en 1808, vérifiait que les connaissances nécessaires pour exercer, durant toute une vie, une profession prétendument supérieure, étaient acquises. Il permettait aussi à de très rares happy few, désireux de former ensuite de futurs bacheliers, de poursuivre des études supérieures.
À l'heure de l'apprentissage perpétuel jusqu'à la fin de nos jours, qu'elle est, dorénavant, la fonction du baccalauréat ?

Le nombre de candidats a été, très longtemps, microscopique.
Vers 1885, en région parisienne, à peine 900 lycéens tentaient de décrocher cette peau d’âne. En 1970, pas plus d’un jeune sur cinq obtenait le sésame de fin de lycée. La barre des 50% de bacheliers dans une tranche d'âge n'a été franchie qu'en 1992.
Cette année, 7 jeunes sur 8 ont passé le bac et plus de 3 sur 4 ont été reçus.
Le tri des étudiants s'effectue désormais avant le baccalauréat. Les filières sélectives d’enseignement supérieur criblent les jeunes qu’elles retiennent via le système dit admissions post-bac dont les résultats sont connus avant les épreuves.

Tout ce barnum coûte une fortune en deniers publics.
Officiellement, le Ministère de l’Éducation Nationale, qui s'est érigé en gardien du temple napoléonien, évalue la note à grosso modo 60 petits millions d’euros, 85 € par candidat.
Le syndicat des proviseurs de lycée, qui aimerait être débarrassé de cette corvée, pousse l'addition à 1 400 millions.
La facture réelle se situe donc quelque part à mi-chemin vers 700 millions d’euros.
Nous consacrons donc autour de 1 € par mois et par français, soit 0.3% du déficit public, au maintien d'une tradition surannée et néfaste.

Bachotiquement votre

Références et compléments
- Voir aussi les chroniques "Tout savoir (ou presque) sur le déficit public de la France" et "Conserver les savoirs obsolètes".
- Article Wikipedia sur le baccalauréat en France
- L'évaluation statistique officielle du baccalauréat 2014 par le Ministère de l'Éducation Nationale
- Article du magazine Challenge de juin 2013 sur les savants calculs du syndicat des personnels de direction de l'Éducation Nationale à propos du coût du bac.

jeudi 1 mai 2014

Les nouvelles technologies entretiennent la spéculation immobilière

J'ignore qu'elles vont être les décisions du groupe PSA et de la municipalité d'Aulnay sous Bois à propos du devenir des terrains de l'ancienne usine Citroën.
Si, comme il est probable, des bureaux prennent la place des ateliers, les emplois dans cette banlieue de Paris seront paradoxalement plus nombreux et mieux payés que du temps de la fabrication de voitures.
Quelques kilomètres plus au sud, les alentours du Stade de France, naguère territoire ouvrier, sont devenus l'apanage des cols blancs.

Alors qu'informatique et télécommunications ont "tertiarisé" une bonne part de l'activité économique et qu'il est désormais possible d'accomplir ces tâches à peu près n'importe où sur la planète, le travail à distance ou nomade peine à prendre un essor définitif.
Si quelques sages et pionniers opèrent depuis la Corrèze ou le Zambèze, en pratique, une cinquantaine de très grands centres urbains concentrent mondialement l'essentiel des nouveaux emplois.
Les meilleurs informaticiens, ingénieurs, communiquants ou financiers semblent avoir une allergie planétaire à la province.
Les facilités offertes par les réseaux connectent les mégapoles plutôt que de de faire travailler ensemble des individus éparpillés.
Les fonctions sociales et créatives de la machine à café et des tableaux désormais blancs semblent n'avoir pas encore trouvé leur substitut en ligne.

Les salaires sans cesse plus élevés offerts par les firmes high tech pour attirer les meilleurs talents réels ou supposés font d'abord flamber les prix des logements des très grandes villes avant d'augmenter le reste du train de vie de leurs heureux récipiendaires.
Par effet de contagion et de manque, la cote des bureaux suit le même mouvement.

Ce n'est pas le moindre des paradoxes induits par les mutations en cours : une très grande part de la productivité des nouvelles technologies alimente deux secteurs ancestraux, low tech et à la moralité parfois chancelante : spéculation immobilière et construction.
Alors que les intermédiaires en tous genres vacillent sous les coups d'internet, promoteurs et agences continuent de prospérer autour de cette nouvelle ressource rare que sont les terrains des mégapoles.

Bétoniquement votre

dimanche 27 avril 2014

Comment politiques et institutions pourraient sortir de leur discrédit ?

Politiques, syndicalistes et, dans une moindre mesure, appareil judiciaire souffrent d'un discrédit exacerbé par les bouleversements technologiques et sociétaux induits par l'informatique et les télécommunications.

Les digital natives - les homo sapiens informaticus - sont désormais des adultes accomplis. Les plus vieux d'entre eux ont de 25 à 30 ans et commencent à avoir des enfants.
Dans moins de 10 ans, cette génération aura définitivement transformé notre présent et sera aux manettes ou, plus exactement, sera les manettes.
Les manière de vivre, de travailler et d'appréhender le monde de ces défricheurs sont contagieuses et irriguent l'ensemble de notre société.

Le rapport à l'espace-temps se modifie sous nos yeux.
"Partout et maintenant" est la nouvelle devise. Nous entrons dans un monde compact, rapide, mouvant.
À titre d'exemple, je rédige ce billet à Tunis, à l'aide de deux applications hébergées dans deux clouds différents, bien calé dans un canapé où une télévision diffusée par internet transmet une série américaine doublée en français et un match de football au Qatar avec des joueurs japonais et allemands.

Parallèlement, les intermédiaires traditionnels sont soumis à rude épreuve.
Tous ceux que leurs connaissances ou leurs statuts transformaient en points de passage obligés, sont systématiquement remis en cause. Des places de marché et des agoras numériques, interconnectées et de tailles très variées, les supplantent.
Ainsi, vous lisez ces lignes parce que je les ai publiées sur un de ces nombreux forums. Ni vous, ni moi n'avons eu besoin des services d'un éditeur ou d'une rédaction pour être mis en contact.

Agences de voyage, marchands de musique, journaux ont été, depuis de nombreuses années, les premiers sur la ligne de front.
Désormais, plus un seul intermédiaire n'est à l'abri.
Les technologies numériques permettent de contourner aisément les réglementations et les monopoles enserrés dans les frontières des vieilles nations.
Les taxis parisiens en font l'amère expérience. Une société localisée au Luxembourg, en Irlande, voire en Papouasie Nouvelle Guinée, peut, sans difficulté majeure, géolocaliser et vendre des prestations de transport dans l'antique Lutèce.
Ne pas savoir où sont stockées et comment sont distribuées mes humeurs mondialisées n'est pas un obstacle pour les lire ou les écrire.

Politiques, syndicalistes et juristes, au sens large de ces termes, sont des intermédiaires ancestraux qui commencent à sentir le vent des boulets.
Les digital natives ne toléreront plus très longtemps des pratiques et méthodes forgées aux XVIIIème et XIXème siècles.
Les manières de fonctionner de nos élus ainsi que de nos juges et avocats ne sont plus adaptées à notre époque. Sans réforme d'envergure, ils connaîtront sous peu le sort funeste des disquaires et des libraires.

Pour se transformer, ils doivent, tout d'abord, nettement accélérer.
Que des décisions concernant un divorce ou un permis de construire soient engluées plusieurs mois, alors qu'elles nécessitent un travail juridique cumulé de quelques heures, n'est plus acceptable.
De même, indépendamment de l'approbation ou des critiques qu'il suscite, le "pacte de responsabilité" annoncé par François Hollande 4 mois en arrière n'est toujours pas concrétisé par une seule mesure effectivement en application.
Ce train de sénateur n'est pas celui du web. Politique et justice ne sont pas assez lean et agiles.

L'espace embrassé par le politique est trop petit pour être vraiment utile.
Malgré les crispations populistes très fortes - qui sont un symptôme et en aucun cas une solution - la nation traditionnelle n'est plus un cadre adapté au monde interconnecté.
Entreprises, consommation, travail et loisirs sont devenus transnationaux. Par contre, nos cadres de régulation n'ont pas suivi le mouvement.

Politiciens et syndicalistes manquent aussi d'efficacité.
Leur mission devrait être de penser les changements en cours afin de les rendre intelligibles et d'en atténuer les effets néfastes.
Pour ce faire, l'anticipation est, de loin, plus importante que la conservation de l'existant.
Les élus de tous bords peinant de plus en plus dans cette activité, leurs émoluments, privilèges et faiblesses deviennent intolérables.
La classe politique actuelle n'est probablement pas plus malhonnête que du temps de Stavisky ou des ventes de légions d'honneur. Par contre, sa légitimité qui découle de sa performance en berne, fond à vue d'œil.

Nos institutions n'ont guère besoin d'un surcroît d'éthique mais surtout de reprendre la main sur les enjeux et les mutations de la troisième révolution industrielle.
Si les pouvoirs publics ne réussissent pas cette transformation, je suis prêt à parier que les digital natives feront très vite émerger des substituts privés, numériques et, peut-être même, a-nationaux.
De la crowd politics en quelque sorte ...

Agilopolitiquement votre

Références et compléments
- N'étant pas à un paradoxe près, je remercie la sénatrice Nathalie Goulet pour avoir suggéré le thème de cette chronique.