dimanche 19 avril 2015

Que vaut vraiment le Big Data ? J'ai testé l'analyse de personnalité d'IBM Watson

À ma très courte honte, je dois confesser que, jusqu'alors, je n'étais guère convaincu par l'efficacité du “Big Data” pourtant vantée simultanément par de nombreux promoteurs et détracteurs.
À ce jour, les publicités ciblées sur internet sont affligeantes et la débauche de moyens déployée par la NSA et ses consorts fait un flop dans la lutte contre le terrorisme.

Toutefois, un petit test effectué cette semaine a commencé à modifier ma position.
J'ai essayé le service “Personality Insights” - littéralement aperçus de personnalité - d'IBM.

Cette application, basée sur le programme d'intelligence artificielle Watson de la firme d'Armonk, se propose d'obtenir les grandes lignes du caractère de quelqu'un à partir d'un texte écrit par lui.
Pour ce faire, il suffit d'envoyer quelques centaines ou milliers de mots au service qui retourne l'évaluation de 49 traits de personnalité ainsi qu'un portrait psychologique d'une huitaine de lignes.

Malheureusement, ce programme ne fonctionne actuellement qu'en anglais.
Aussi, pour mon essai, je lui ai soumis la version dans la langue de Bill Gates de la page sur l'innovation et l'agilité de mon site web personnel.
J'ai ensuite montré le résultat à une quinzaine de membres de mon entourage personnel et professionnel, sans révéler comment j'avais obtenu cette description de mon moi profond.
Tous, sans exception, ont estimé que mon portrait se situait dans un éventail allant d'assez concordant à très concordant.
Aucun n'a jugé que le copain virtuel de Sherlock Holmes était à coté de la plaque.

Soucieux d'accroître la statistique, j'ai ensuite donné à disséquer au logiciel d'IBM des compilations de mails professionnels rédigés par des collègues nativement anglophones.
Les résultats ont été du même acabit. Les portraits tirés par Watson sont grosso modo en phase avec ma perception des mes cobayes involontaires.

IBM explique sur son site que “Personality Insights” n'est pas un élémentaire exercice de divination mais repose sur des recherches très sérieuses en psycho-linguistique.
Pour faire simple, les mots que nous employons, même lorsque nous traitons de sujets arides ou très spécialisés, diffèrent en fonction de notre caractère et notre personnalité.
Les développeurs de Watson lui ont fait ingurgiter de nombreuses études expérimentales sur ce thème afin qu'en disséquant un texte, il puisse lever le voile sur son auteur.

Si la démonstration en ligne que j'ai utilisée est gratuite, “Personality Insights” est proposé de manière payante aux créateurs d'applications informatiques pour qu'ils l'incorporent dans leurs futurs produits.
IBM suggère de nombreuses utilisations, dont certaines soulèvent des interrogations éthiques et politiques.

Au rayon inoffensif, le marketing arrive en bonne place.
Par exemple, une chaîne de magasins pourrait proposer à ses clients de s'inscrire sur son site web à l'aide de leur compte Twitter ou Facebook.
Il serait ensuite aisé de récupérer les billets postés sur ces réseaux sociaux, de demander à ce cher Watson d'en déduire la personnalité de l'utilisateur et d'adapter en conséquence messages commerciaux et promotions.
En quelque sorte, l'automatisation et la systématisation de ce que tout bon vendeur réalise intuitivement en face à face.

Les usages en ressources humaines sont plus problématiques.
Watson pourrait scanner CV et lettres de motivation afin d'éliminer les candidats aux penchants non souhaités par le recruteur.
De même, ce docte programme pourrait, en analysant les écrits professionnels d'une personne, renseigner son manager sur sa psychologie.

Étonnamment, IBM conseille aussi un usage inverse.
“Personality Insights” pourrait m'aider à rédiger des textes laissant apparaître un profil psychologique particulier, différent du mien et sensé complaire à mes correspondants.
IBM va encore plus loin que Conan Doyle en imaginant que Watson puisse duper Watson, sans l'aide de Sherlock.

D'autres applications sont envisageables où le pire peut voisiner le meilleur.
Un professeur pourrait donner les copies de ses élèves à digérer à Watson afin de recueillir des suggestions pour mieux adapter et personnaliser son enseignement.
Cette technologie possède aussi un vrai potentiel de surveillance policière, voire politique, par le ciblage d'individus à la personnalité favorisant des comportements jugés déviants ou dangereux.
Orwell se cacherait-il derrière Watson ?

Élémentairement votre

Références et compléments
- Tous mes remerciements aux acteurs plus ou moins volontaires de cette expérimentation.

- Voir aussi les chroniques


- Pour en savoir plus sur IBM Watson et “Personality Insights”


- La page sur l'innovation et l'agilité de mon site web personnel utilisée pour tester Watson.

- À mon très grand regret, le programme Watson ne tire pas son nom du docteur John Watson, personnage imaginaire des romans policiers d'Arthur Conan Doyle, assistant de Sherlock Holmes, mais de l'industriel bien réel Thomas Watson, fondateur d'IBM.