Les innovations, que beaucoup appellent de leurs vœux pour relancer l’économie ou améliorer société et modes de vie, sont souvent perçues comme synonymes d'avancées technologiques.
Pourtant les succès commerciaux sont rarement le fruit de percées techniques. La plupart du temps, il s'agit de cocktails originaux d'éléments préexistants.
Pour tenter de vous en convaincre, examinons ensemble quelques cas emblématiques des quarante dernières années.
Gel douche
Jusqu'à la fin des années 1970, les détergents pour l'hygiène corporelle étaient exclusivement solides.
Lors de la décennie suivante, ce marché, actuellement trois fois plus vaste que celui des smartphones, a subi un cataclysme. Marketing et usage nous ont conduit à plébisciter l'amollissement généralisé des savonnettes.
Désormais on passe plus souvent des savons dans les commissariats que dans les rayons des hypermarchés.
Je suppose que fabriquer du gel douche ou du savon n'est guère différent sur le plan strictement physico-chimique. De toute éternité, les savonniers ont su régler la mollesse de leurs produits.
Tout s'est joué dans nos têtes et nos salles de bain, pas dans des laboratoires.
Collectivement, nous avons choisi l'achat de produits plus volumineux et souvent plus chers.
Les entreprises qui ont su incorporer de l'eau à leur savon pour le rendre gluant, ont prospéré. Celles restées exclusivement accrochées à leurs produits compacts ont disparu avec l'eau du bain.
Ronds-points routiers
Les carrefours circulaires avec priorité au véhicule engagé, populaires en Angleterre depuis les années 1920, sont apparus en France sensiblement au moment où le gel douche remportait sa victoire sur le savon. Il s'agit de la trace la plus durable du premier septennat de François Mitterrand.
Auparavant, les ronds-points étaient rares et favorisaient le nouvel arrivant, comme sur la place de l'Étoile à Paris.
Lorsque j'ai passé le permis de conduire en 1981, l'agglomération de Grenoble n'était dotée que d'un seul de ces carrefours dont l'utilité principale était de satisfaire le sadisme des inspecteurs.
La vogue de l'époque était l'intersection dotée de feux tricolores sophistiqués, modulant leur tempo en fonction des flux de voitures, par l'entremise de microprocesseurs alors balbutiants et de boucles de mesure noyées dans le sol.
Les ronds-points ont chahuté le business des luminaires programmables. Une innovation exclusivement basse technologie aux ingrédients au moins aussi vieux que l'automobile - un tracé circulaire, des bordures de trottoir, un peu de macadam et quelques panneaux triangulaires - a durablement plombé la croissance prometteuse de systèmes nettement plus élaborés.
Les élus locaux et les entreprises de travaux publics n'ont pas vraiment la transparence chevillée au corps aussi l'impact économique des ronds-points est difficile à évaluer. Selon toute vraisemblance, le chiffre d'affaire annuel des intersections circulaires est 2 à 5 fois plus fort que celui des smartphones.
Ventes en ligne de voyages
Comme dirait le poète, guichets et agences de voyage n'en finissent pas de mourir.
Désormais, pour se rendre à Carcassonne ou à Kuala Lumpur, plus d'une fois sur deux, c'est sur le web que nous dégottons le précieux sésame nous permettant d'embarquer dans un train ou un avion. Les ventes de tourisme sur internet sont comparables aux ventes de smartphones.
Pourtant les commerçants en ligne n'ont pas inventé internet, loin s'en faut. Les premiers voyagistes virtuels sont apparus plusieurs années après la naissance de toile, au départ pour solder les invendus des circuits traditionnels de commercialisation.
Les agences de voyage avaient depuis les années 1970 accès à des services informatiques à distance - on disait alors télématiques - de réservation. Au détour de l'an 2000, le web a rendu possible leur usage par un public non professionnel, à toute heure et en tout lieu.
Là encore, le mariage, par des innovateurs concentrés sur les clients et les usages, de technologies déjà existantes a bouleversé une activité centenaire.
iPhone
Cet emblème de la high-tech est un splendide cocktail.
Lorsqu'en 2007, Steve Jobs lançait son premier iPhone, toutes les technologies existaient déjà et étaient de longue date employées par ses compétiteurs : communications radio, codages et décodages du son ou du signal téléphonique, processeurs, mémoires, logiciels en tous genres, écrans tactiles, batteries, hauts-parleurs, microphones, sans oublier la vente par correspondance sur le web évoquée ci-dessus.
Ce qu'a réussi Apple avec l'iPhone et qui, par voie de conséquence, a précipité la chute des fabricants historiques de téléphones mobiles comme Nokia, est un mélange inédit de ces différents éléments.
Ainsi l'écran tactile couplé à un clavier virtuel permet de disposer d'un affichage sur toute la surface du téléphone.
De même, la firme au logo fruité réalise une part importante de son chiffre d'affaire et de sa marge en revendant, à distance, des applications installables sur ses engins développées par d'autres.
L'entreprise de Cupertino, en se concentrant sur le design, l'usage et l'image s'est construit une position enviable, alors que ses concurrents focalisés sur les technologies ont définitivement perdu pied.
Ces quatre exemples, qu'une multitude d'autres pourrait compléter, doivent nous conduire à réfléchir sur les politiques de promotion de l'innovation menées par les entreprises et l'état.
Ainsi, le soutien public très fort en France à la R&D technologique, par l'entremise, notamment, du crédit d'impôt recherche, est discutable. Un coup de pouce pour développer stratégie, marketing et design serait probablement plus efficace.
Amazon, Apple, eBay, Facebook, Google, Microsoft, Oracle, Twitter, pour ne citer qu'eux, dominent l'internet mondial. Ils ne sont pourtant à l'origine directe d'aucune nouvelle technologie, ils n'ont bénéficié d'aucune subvention et une forte part des logiciels qu'ils emploient sont libres, c'est à dire à la disposition de chacun.
Innovatiquement votre
Références et compléments
- Voir aussi la chronique "Automobilistes préférez-vous les carrefours libéraux ou administrés ?"
- Tous mes remerciements à Mehdi et aux étudiants du Master IMN de Grenoble. Les échanges avec eux sont particulièrement vivifiants.
Pourtant les succès commerciaux sont rarement le fruit de percées techniques. La plupart du temps, il s'agit de cocktails originaux d'éléments préexistants.
Pour tenter de vous en convaincre, examinons ensemble quelques cas emblématiques des quarante dernières années.
Gel douche
Jusqu'à la fin des années 1970, les détergents pour l'hygiène corporelle étaient exclusivement solides.
Lors de la décennie suivante, ce marché, actuellement trois fois plus vaste que celui des smartphones, a subi un cataclysme. Marketing et usage nous ont conduit à plébisciter l'amollissement généralisé des savonnettes.
Désormais on passe plus souvent des savons dans les commissariats que dans les rayons des hypermarchés.
Je suppose que fabriquer du gel douche ou du savon n'est guère différent sur le plan strictement physico-chimique. De toute éternité, les savonniers ont su régler la mollesse de leurs produits.
Tout s'est joué dans nos têtes et nos salles de bain, pas dans des laboratoires.
Collectivement, nous avons choisi l'achat de produits plus volumineux et souvent plus chers.
Les entreprises qui ont su incorporer de l'eau à leur savon pour le rendre gluant, ont prospéré. Celles restées exclusivement accrochées à leurs produits compacts ont disparu avec l'eau du bain.
Ronds-points routiers
Les carrefours circulaires avec priorité au véhicule engagé, populaires en Angleterre depuis les années 1920, sont apparus en France sensiblement au moment où le gel douche remportait sa victoire sur le savon. Il s'agit de la trace la plus durable du premier septennat de François Mitterrand.
Auparavant, les ronds-points étaient rares et favorisaient le nouvel arrivant, comme sur la place de l'Étoile à Paris.
Lorsque j'ai passé le permis de conduire en 1981, l'agglomération de Grenoble n'était dotée que d'un seul de ces carrefours dont l'utilité principale était de satisfaire le sadisme des inspecteurs.
La vogue de l'époque était l'intersection dotée de feux tricolores sophistiqués, modulant leur tempo en fonction des flux de voitures, par l'entremise de microprocesseurs alors balbutiants et de boucles de mesure noyées dans le sol.
Les ronds-points ont chahuté le business des luminaires programmables. Une innovation exclusivement basse technologie aux ingrédients au moins aussi vieux que l'automobile - un tracé circulaire, des bordures de trottoir, un peu de macadam et quelques panneaux triangulaires - a durablement plombé la croissance prometteuse de systèmes nettement plus élaborés.
Les élus locaux et les entreprises de travaux publics n'ont pas vraiment la transparence chevillée au corps aussi l'impact économique des ronds-points est difficile à évaluer. Selon toute vraisemblance, le chiffre d'affaire annuel des intersections circulaires est 2 à 5 fois plus fort que celui des smartphones.
Ventes en ligne de voyages
Comme dirait le poète, guichets et agences de voyage n'en finissent pas de mourir.
Désormais, pour se rendre à Carcassonne ou à Kuala Lumpur, plus d'une fois sur deux, c'est sur le web que nous dégottons le précieux sésame nous permettant d'embarquer dans un train ou un avion. Les ventes de tourisme sur internet sont comparables aux ventes de smartphones.
Pourtant les commerçants en ligne n'ont pas inventé internet, loin s'en faut. Les premiers voyagistes virtuels sont apparus plusieurs années après la naissance de toile, au départ pour solder les invendus des circuits traditionnels de commercialisation.
Les agences de voyage avaient depuis les années 1970 accès à des services informatiques à distance - on disait alors télématiques - de réservation. Au détour de l'an 2000, le web a rendu possible leur usage par un public non professionnel, à toute heure et en tout lieu.
Là encore, le mariage, par des innovateurs concentrés sur les clients et les usages, de technologies déjà existantes a bouleversé une activité centenaire.
iPhone
Cet emblème de la high-tech est un splendide cocktail.
Lorsqu'en 2007, Steve Jobs lançait son premier iPhone, toutes les technologies existaient déjà et étaient de longue date employées par ses compétiteurs : communications radio, codages et décodages du son ou du signal téléphonique, processeurs, mémoires, logiciels en tous genres, écrans tactiles, batteries, hauts-parleurs, microphones, sans oublier la vente par correspondance sur le web évoquée ci-dessus.
Ce qu'a réussi Apple avec l'iPhone et qui, par voie de conséquence, a précipité la chute des fabricants historiques de téléphones mobiles comme Nokia, est un mélange inédit de ces différents éléments.
Ainsi l'écran tactile couplé à un clavier virtuel permet de disposer d'un affichage sur toute la surface du téléphone.
De même, la firme au logo fruité réalise une part importante de son chiffre d'affaire et de sa marge en revendant, à distance, des applications installables sur ses engins développées par d'autres.
L'entreprise de Cupertino, en se concentrant sur le design, l'usage et l'image s'est construit une position enviable, alors que ses concurrents focalisés sur les technologies ont définitivement perdu pied.
Ces quatre exemples, qu'une multitude d'autres pourrait compléter, doivent nous conduire à réfléchir sur les politiques de promotion de l'innovation menées par les entreprises et l'état.
Ainsi, le soutien public très fort en France à la R&D technologique, par l'entremise, notamment, du crédit d'impôt recherche, est discutable. Un coup de pouce pour développer stratégie, marketing et design serait probablement plus efficace.
Amazon, Apple, eBay, Facebook, Google, Microsoft, Oracle, Twitter, pour ne citer qu'eux, dominent l'internet mondial. Ils ne sont pourtant à l'origine directe d'aucune nouvelle technologie, ils n'ont bénéficié d'aucune subvention et une forte part des logiciels qu'ils emploient sont libres, c'est à dire à la disposition de chacun.
Innovatiquement votre
Références et compléments
- Voir aussi la chronique "Automobilistes préférez-vous les carrefours libéraux ou administrés ?"
- Tous mes remerciements à Mehdi et aux étudiants du Master IMN de Grenoble. Les échanges avec eux sont particulièrement vivifiants.