Le récent vote par l'assemblée nationale d'une proposition de loi "renforçant la lutte contre le système prostitutionnel" illustre, à la limite de la caricature, l'essoufflement du système politique français.
Jugez sur pièces.
Déni de réalité
Peu de personnes contestent l'objectif de la nouvelle loi, lutter contre la traite des êtres humains et l'esclavage sexuel.
Toutefois sa mesure phare - la pénalisation des clients des péripatéticiennes et péripatéticiens - risque de ne pas produire l'effet escompté.
La Suède et la Norvège appliquent cette disposition depuis plus d'une dizaine d'années. Les études sérieuses et indépendantes sur son effet réel sont rares et surtout peu probantes.
Les prostituées ont disparu de l'écran radar scandinave mais personne ne peut affirmer dans quel sens leur activité et leur nombre ont évolué.
D'une manière générale, depuis que le monde est monde, les prohibitions de l'alcool, des drogues ou du sexe ont, avant tout, servi à enrichir les réseaux criminels.
Nos députés ont donc adopté un texte à l'efficacité inconnue, en se contentant de demander au gouvernement de pondre un vague rapport après deux ans d'application.
Efficacité absente
Même si la menace pénale comporte un caractère dissuasif, tout nouveau délit entraîne inévitablement de nouveaux contrevenants.
A titre d'exemple, en se basant sur les annonces internet et la présence récurrente de jeunes femmes court vêtues au bord des routes et boulevards, de l'ordre de 150 à 300 prostituées exercent leur art ancestral dans la région de Grenoble.
Quelques multiplications rapides conduisent à évaluer leur activité à plus de 100 000 prestations payantes de services sexuels par an.
En 2012, à titre de comparaison, les cambriolages recensés dans l'ensemble du département de l'Isère ont été légèrement inférieurs à 45 000.
La police et la justice étant pour le moins encombrées, la pénalisation des michetons soit sera exceptionnelle, soit s'obtiendra aux dépens de la poursuite d'autres délinquants.
Nos sympathiques parlementaires ne se sont, en aucune manière, souciés de ces menues contingences matérielles, qu'il est pourtant facile d'estimer avec de simples règles de trois.
Logique peu cartésienne
Nos élus ont décidé de rendre hors la loi l'achat d'un service dont la vente reste légale.
Pourquoi ne pas faire la même chose avec l'héroïne, laisser commercer les dealers et coffrer exclusivement les toxicos ?
De surcroît, la publicité pour les amours tarifées, plaisamment appelée racolage, un temps interdite, va même être à nouveau autorisée.
Procédures législatives surannées
L'élaboration de ce brillant texte a été laborieuse.
Il est d'ailleurs dommage que Marcel Proust n'ait pas confié la rédaction de sa "recherche du temps perdu" au parlement français. Des générations de bacheliers auraient ainsi évité de disserter sur les états d'âme d'un riche oisif neurasthénique. Écrite à un train de sénateur, sa pesante œuvre de 2400 pages se serait limitée à sa première phrase.
Pour accoucher d'un texte de 2035 mots, environ deux fois cette chronique, il aura fallu réunir :
- 1 grosse centaine de députés signataires,
- 1 commission ad hoc de 88 membres,
- 1 rapporteuse se fendant d'un filandreux rapport,
- la rédaction d'un copieux et indigeste exposé des motifs,
- 66 amendements,
- 3 séances plénières,
- 1 vote solennel auquel, toutefois, 171 députés, un petit tiers de l'hémicycle, au nom probablement de l'exemplarité civique, n'ont pas participé.
Bien entendu, tout cela n'est que la première escarmouche.
La balle est désormais dans le camp du sénat qui mettra en branle, à une date non encore planifiée, le même processus qui devrait ensuite déboucher sur une commission paritaire puis sur une seconde lecture.
A ce stade, il n'est pas non plus exclu que conseil constitutionnel ajoute son grain de sel et censure une partie du texte ...
Lois illisibles
Le résultat de ce travail forcené de nos députés manque de clarté.
Ainsi le texte débute par :
L'avant-dernier article, soucieux de lutter contre les discriminations dont sont victimes les belles de nuit tahitiennes ou kanaks, nous rassure en stipulant que :
Si la pipe vénale va bientôt être hors la loi, la consommation de tabac reste, par contre, fortement encouragée.
La nouvelle loi, de la bouche du pauvre tapin retirant le morceau de pain, a prévu de soutenir les filles de joie en mal de revenus et de clientèle.
Pour ce faire, le prix des cigarettes va être accru comme le précise explicitement l'article 21 :
Frapper dans la même réglementation le sexe et les cigarettes frise le chef d'œuvre.
J'espère ardemment que les sénateurs, afin de parachever ce bel édifice législatif, réussiront à y adjoindre une petite redevance sur le vin ainsi que sur les grosses berlines allemandes à 4 roues motrices.
Tapiniquement votre
Références et compléments
- Voir aussi la chronique "racolage champêtre près de Grenoble"
- Je conseille à Jean le détonateur, que je remercie pour ses échanges vivifiants, de s'asseoir et de mettre un casque avant la lecture de cette chronique. Merci aussi à Laurent qui m'avait suggéré ce thème plusieurs semaines en arrière.
- Le lecteur attentif aura reconnu un extrait de la chanson de Georges Brassens "concurrence déloyale".
- Les chiffres de la délinquance en France sont publiés par le ministère de l'intérieur dans un rapport annuel.
- Rue89 a récapitulé et décortiqué les études sur la pénalisation des michetons suédois dans un article fouillé du 25 juillet 2013.
Jugez sur pièces.
Déni de réalité
Peu de personnes contestent l'objectif de la nouvelle loi, lutter contre la traite des êtres humains et l'esclavage sexuel.
Toutefois sa mesure phare - la pénalisation des clients des péripatéticiennes et péripatéticiens - risque de ne pas produire l'effet escompté.
La Suède et la Norvège appliquent cette disposition depuis plus d'une dizaine d'années. Les études sérieuses et indépendantes sur son effet réel sont rares et surtout peu probantes.
Les prostituées ont disparu de l'écran radar scandinave mais personne ne peut affirmer dans quel sens leur activité et leur nombre ont évolué.
D'une manière générale, depuis que le monde est monde, les prohibitions de l'alcool, des drogues ou du sexe ont, avant tout, servi à enrichir les réseaux criminels.
Nos députés ont donc adopté un texte à l'efficacité inconnue, en se contentant de demander au gouvernement de pondre un vague rapport après deux ans d'application.
Efficacité absente
Même si la menace pénale comporte un caractère dissuasif, tout nouveau délit entraîne inévitablement de nouveaux contrevenants.
A titre d'exemple, en se basant sur les annonces internet et la présence récurrente de jeunes femmes court vêtues au bord des routes et boulevards, de l'ordre de 150 à 300 prostituées exercent leur art ancestral dans la région de Grenoble.
Quelques multiplications rapides conduisent à évaluer leur activité à plus de 100 000 prestations payantes de services sexuels par an.
En 2012, à titre de comparaison, les cambriolages recensés dans l'ensemble du département de l'Isère ont été légèrement inférieurs à 45 000.
La police et la justice étant pour le moins encombrées, la pénalisation des michetons soit sera exceptionnelle, soit s'obtiendra aux dépens de la poursuite d'autres délinquants.
Nos sympathiques parlementaires ne se sont, en aucune manière, souciés de ces menues contingences matérielles, qu'il est pourtant facile d'estimer avec de simples règles de trois.
Logique peu cartésienne
Nos élus ont décidé de rendre hors la loi l'achat d'un service dont la vente reste légale.
Pourquoi ne pas faire la même chose avec l'héroïne, laisser commercer les dealers et coffrer exclusivement les toxicos ?
De surcroît, la publicité pour les amours tarifées, plaisamment appelée racolage, un temps interdite, va même être à nouveau autorisée.
Procédures législatives surannées
L'élaboration de ce brillant texte a été laborieuse.
Il est d'ailleurs dommage que Marcel Proust n'ait pas confié la rédaction de sa "recherche du temps perdu" au parlement français. Des générations de bacheliers auraient ainsi évité de disserter sur les états d'âme d'un riche oisif neurasthénique. Écrite à un train de sénateur, sa pesante œuvre de 2400 pages se serait limitée à sa première phrase.
Pour accoucher d'un texte de 2035 mots, environ deux fois cette chronique, il aura fallu réunir :
- 1 grosse centaine de députés signataires,
- 1 commission ad hoc de 88 membres,
- 1 rapporteuse se fendant d'un filandreux rapport,
- la rédaction d'un copieux et indigeste exposé des motifs,
- 66 amendements,
- 3 séances plénières,
- 1 vote solennel auquel, toutefois, 171 députés, un petit tiers de l'hémicycle, au nom probablement de l'exemplarité civique, n'ont pas participé.
Bien entendu, tout cela n'est que la première escarmouche.
La balle est désormais dans le camp du sénat qui mettra en branle, à une date non encore planifiée, le même processus qui devrait ensuite déboucher sur une commission paritaire puis sur une seconde lecture.
A ce stade, il n'est pas non plus exclu que conseil constitutionnel ajoute son grain de sel et censure une partie du texte ...
Lois illisibles
Le résultat de ce travail forcené de nos députés manque de clarté.
Ainsi le texte débute par :
"Le 7 du I de l’article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique est ainsi modifié : au troisième alinéa, après la dernière occurrence du mot : « aux », sont insérées les références : « 225-4-1, 225-5, 225-6 »."Cependant, si cette loi démarre difficilement, elle se termine nettement mieux.
L'avant-dernier article, soucieux de lutter contre les discriminations dont sont victimes les belles de nuit tahitiennes ou kanaks, nous rassure en stipulant que :
"la présente loi est applicable à Wallis-et-Futuna, en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie".Fumeuse augmentation des impôts
Si la pipe vénale va bientôt être hors la loi, la consommation de tabac reste, par contre, fortement encouragée.
La nouvelle loi, de la bouche du pauvre tapin retirant le morceau de pain, a prévu de soutenir les filles de joie en mal de revenus et de clientèle.
Pour ce faire, le prix des cigarettes va être accru comme le précise explicitement l'article 21 :
"les charges pour l’État, [...] les charges pour les collectivités territoriales [...] et les charges pour Pôle Emploi sont compensées à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle aux droits mentionnés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts".Amis fumeurs, vous l'ignoriez surement, mais la taxation de votre goudron et de vos volutes bleutées se nomme dans le langage fleuri des gabelous 575 & 575A !
Frapper dans la même réglementation le sexe et les cigarettes frise le chef d'œuvre.
J'espère ardemment que les sénateurs, afin de parachever ce bel édifice législatif, réussiront à y adjoindre une petite redevance sur le vin ainsi que sur les grosses berlines allemandes à 4 roues motrices.
Tapiniquement votre
Références et compléments
- Voir aussi la chronique "racolage champêtre près de Grenoble"
- Je conseille à Jean le détonateur, que je remercie pour ses échanges vivifiants, de s'asseoir et de mettre un casque avant la lecture de cette chronique. Merci aussi à Laurent qui m'avait suggéré ce thème plusieurs semaines en arrière.
- Le lecteur attentif aura reconnu un extrait de la chanson de Georges Brassens "concurrence déloyale".
- Les chiffres de la délinquance en France sont publiés par le ministère de l'intérieur dans un rapport annuel.
- Rue89 a récapitulé et décortiqué les études sur la pénalisation des michetons suédois dans un article fouillé du 25 juillet 2013.