Depuis 2008, la construction automobile européenne, et tout particulièrement française, connait une très mauvaise passe, avec pour conséquences de multiples restructurations et pertes d'emplois.
Au delà de la conjoncture difficile, cette méforme, sur le vieux continent, du secteur emblématique de la seconde révolution industrielle semble être appelé à durer.
Les fabricants de voitures, à l'exclusion des trois allemands spécialisés dans les véhicules de luxe, peinent à s'adapter aux évolutions de leur clientèle.
Pour modeste preuve, mon récent et décevant contact avec un concessionnaire.
La semaine dernière, le commercial d'une marque française à l'emblème géométrique m'a appelé pour me proposer découvrir un modèle susceptible de m'intéresser. Le bonhomme étant sympathique et m'ayant vendu ma voiture actuelle, je me suis rendu à son invitation.
Le marchand d'autos débuta le rendez-vous en m'annonçant fièrement qu'il m'imaginait aisément conducteur et propriétaire d'une bagnole appartenant à l'étrange catégorie des crossover dont j'ignorais jusqu'alors l'existence.
Cet engin bizarre, nettement plus grand que mon petit monospace urbain actuel, possède un style agressif, rehaussé par des coloris voyants, une calandre massive ainsi que des roues hautes et larges. De surcroît, il est affublé d'un nom fleurant bon la chasse et l'univers carcéral.
Je dépitais mon hôte en lui expliquant que je n'envisageais pas une seule seconde de consacrer une quelconque fraction des revenus familiaux dans l'acquisition et l'entretien d'un tel cheval de rodéo.
Soucieux d'atteindre son objectif commercial personnel, le vendeur me suggéra alors un autre modèle, baptisé du prénom de la muse grecque de l'Histoire et entièrement repensé par le constructeur l'année dernière.
Les déconvenues continuaient.
Je découvrais une petite berline manifestement conçue par la même équipe de designers à haute teneur en testostérone que le crossover, avec des teintes tout aussi peu agréables pour un daltonien, sans compter des flancs et une calandre sortis d'un tonneau de dopants pour cyclistes.
Malgré ma répulsion esthétique, j'acceptais, à contrecœur, d'essayer ce véhicule au patronyme mythologique.
Dans son argumentaire, le commercial losangé mettait en avant "l'équipement haut de gamme" comprenant notamment une "centrale de bord avec tout : bluetooth, GPS et USB !"
Aussi, m'étant rendu compte très rapidement que volant, pédales, levier de vitesse et clignotants fonctionnaient à merveille, je m'arrêtais deux pâtés de maisons plus loin pour connecter mon smartphone au système audio de la voiture.
Je mis en marche la dent bleue de mon téléphone à tête de pomme et enjoignis l'autoradio de s'y relier.
Ce dernier, pendant trois minutes d'horloge, m'assura d'être en train "d'établir la connexion avec un nouveau périphérique" avant de jeter l'éponge et de m'inviter à réitérer l'opération.
À l'issue de la troisième tentative, à l'instar de la "centrale de bord", je jetais ma propre éponge et ramenais le véhicule de démonstration à la concession où j'annonçais au vendeur déçu que je ne lui passerais pas commande dans un terme prévisible.
Perturbé par cette expérience, en rentrant chez moi, j'observais attentivement les voitures autour de moi, ce que je ne fais plus depuis de nombreuses années.
À ma grande surprise, j'ai découvert que les autos récentes ornées d'un lion ou de deux chevrons ont subi la même dérive machiste et m'as-tu-vu que celles frappées d'un losange. Ne parlons pas d'Audi, BMW et Mercedes dont c'est la déprimante marque de fabrique.
La crise semble avoir poussé les constructeurs à revenir à ce qu'ils savent faire de mieux : créer des voitures pour les personnes intéressées, voire passionnées, par l'automobile.
Malheureusement, leur nombre est en constante diminution.
Enfant, les adultes de mon entourage débattaient passionnément sur les mérites respectifs de la Renault R16, de la Citroën DS et de la Peugeot 504. Je participais parfois à ces joutes verbales et était alors incollable sur les différents modèles proposés à la vente.
Plus tard, jeune salarié, mes deux premières voitures, une Renault R5 puis une Peugeot 205, me procurèrent une vraie joie. D'ailleurs, jusqu'aux années 1990, l'achat d'un nouveau véhicule entraînait inévitablement l'organisation d'un pot pour ses collègues de travail.
Petit à petit, mon intérêt pour l'automobile a fondu, sans que je sache très bien expliquer pourquoi.
Aujourd'hui, j'utilise ma voiture quotidiennement tant pour me rendre à mon travail que pour ma vie personnelle et mes loisirs. C'est un indéniable et indispensable élément de liberté, de praticité et de confort, mais plus du tout un objet d'enthousiasme.
Les constructeurs automobiles devraient se rappeler que crossover signifie mot à mot "croix dessus". C'est la décision que trop de leurs clients prennent au moment de renouveler leur véhicule.
Si ces entreprises veulent regagner les cœurs et les faveurs commerciales des gens dans mon style, elles devraient focaliser plus sur l'usage et son imaginaire plutôt que sur l'objet.
C'est à dire ne plus créer de voitures, pour, à la place, inventer et nous vendre des mobilités dont nous avons, tous, différemment, envie et besoin.
Je crains que, comme la plupart des grosses organisations, elles n'aient ni l'agilité ni la sociologie pour changer radicalement de point de vue.
Les catastrophes industrielles et sociales risquent donc, hélas, de se poursuivre encore longtemps.
Les innovations qui bousculent et détruisent un secteur économique établi commencent toujours par séduire subrepticement les non-clients et les mal-clients, bien avant de convaincre et d'emporter, dans un second temps, le cœur du marché traditionnel.
Mobilement votre
Références et compléments
- Voir aussi la chronique "canassons et chevaux fiscaux, même combat !" consacrée à la comparaison entre le coût actuel d'une voiture et celui d'un cheval sous Louis XV.
- Les 3 véhicules dont il est question dans ce billet sont, par ordre d'entrée en scène, les Renault Captur, Modus et Clio IV.
- La traduction non littérale de crossover est croisement ou hybridation. Je n'ai franchement pas compris en quoi cette métaphore génétique s'appliquait à des automobiles trop voyantes et d'un autre âge.
Au delà de la conjoncture difficile, cette méforme, sur le vieux continent, du secteur emblématique de la seconde révolution industrielle semble être appelé à durer.
Les fabricants de voitures, à l'exclusion des trois allemands spécialisés dans les véhicules de luxe, peinent à s'adapter aux évolutions de leur clientèle.
Pour modeste preuve, mon récent et décevant contact avec un concessionnaire.
La semaine dernière, le commercial d'une marque française à l'emblème géométrique m'a appelé pour me proposer découvrir un modèle susceptible de m'intéresser. Le bonhomme étant sympathique et m'ayant vendu ma voiture actuelle, je me suis rendu à son invitation.
Le marchand d'autos débuta le rendez-vous en m'annonçant fièrement qu'il m'imaginait aisément conducteur et propriétaire d'une bagnole appartenant à l'étrange catégorie des crossover dont j'ignorais jusqu'alors l'existence.
Cet engin bizarre, nettement plus grand que mon petit monospace urbain actuel, possède un style agressif, rehaussé par des coloris voyants, une calandre massive ainsi que des roues hautes et larges. De surcroît, il est affublé d'un nom fleurant bon la chasse et l'univers carcéral.
Je dépitais mon hôte en lui expliquant que je n'envisageais pas une seule seconde de consacrer une quelconque fraction des revenus familiaux dans l'acquisition et l'entretien d'un tel cheval de rodéo.
Soucieux d'atteindre son objectif commercial personnel, le vendeur me suggéra alors un autre modèle, baptisé du prénom de la muse grecque de l'Histoire et entièrement repensé par le constructeur l'année dernière.
Les déconvenues continuaient.
Je découvrais une petite berline manifestement conçue par la même équipe de designers à haute teneur en testostérone que le crossover, avec des teintes tout aussi peu agréables pour un daltonien, sans compter des flancs et une calandre sortis d'un tonneau de dopants pour cyclistes.
Malgré ma répulsion esthétique, j'acceptais, à contrecœur, d'essayer ce véhicule au patronyme mythologique.
Dans son argumentaire, le commercial losangé mettait en avant "l'équipement haut de gamme" comprenant notamment une "centrale de bord avec tout : bluetooth, GPS et USB !"
Aussi, m'étant rendu compte très rapidement que volant, pédales, levier de vitesse et clignotants fonctionnaient à merveille, je m'arrêtais deux pâtés de maisons plus loin pour connecter mon smartphone au système audio de la voiture.
Je mis en marche la dent bleue de mon téléphone à tête de pomme et enjoignis l'autoradio de s'y relier.
Ce dernier, pendant trois minutes d'horloge, m'assura d'être en train "d'établir la connexion avec un nouveau périphérique" avant de jeter l'éponge et de m'inviter à réitérer l'opération.
À l'issue de la troisième tentative, à l'instar de la "centrale de bord", je jetais ma propre éponge et ramenais le véhicule de démonstration à la concession où j'annonçais au vendeur déçu que je ne lui passerais pas commande dans un terme prévisible.
Perturbé par cette expérience, en rentrant chez moi, j'observais attentivement les voitures autour de moi, ce que je ne fais plus depuis de nombreuses années.
À ma grande surprise, j'ai découvert que les autos récentes ornées d'un lion ou de deux chevrons ont subi la même dérive machiste et m'as-tu-vu que celles frappées d'un losange. Ne parlons pas d'Audi, BMW et Mercedes dont c'est la déprimante marque de fabrique.
La crise semble avoir poussé les constructeurs à revenir à ce qu'ils savent faire de mieux : créer des voitures pour les personnes intéressées, voire passionnées, par l'automobile.
Malheureusement, leur nombre est en constante diminution.
Enfant, les adultes de mon entourage débattaient passionnément sur les mérites respectifs de la Renault R16, de la Citroën DS et de la Peugeot 504. Je participais parfois à ces joutes verbales et était alors incollable sur les différents modèles proposés à la vente.
Plus tard, jeune salarié, mes deux premières voitures, une Renault R5 puis une Peugeot 205, me procurèrent une vraie joie. D'ailleurs, jusqu'aux années 1990, l'achat d'un nouveau véhicule entraînait inévitablement l'organisation d'un pot pour ses collègues de travail.
Petit à petit, mon intérêt pour l'automobile a fondu, sans que je sache très bien expliquer pourquoi.
Aujourd'hui, j'utilise ma voiture quotidiennement tant pour me rendre à mon travail que pour ma vie personnelle et mes loisirs. C'est un indéniable et indispensable élément de liberté, de praticité et de confort, mais plus du tout un objet d'enthousiasme.
Les constructeurs automobiles devraient se rappeler que crossover signifie mot à mot "croix dessus". C'est la décision que trop de leurs clients prennent au moment de renouveler leur véhicule.
Si ces entreprises veulent regagner les cœurs et les faveurs commerciales des gens dans mon style, elles devraient focaliser plus sur l'usage et son imaginaire plutôt que sur l'objet.
C'est à dire ne plus créer de voitures, pour, à la place, inventer et nous vendre des mobilités dont nous avons, tous, différemment, envie et besoin.
Je crains que, comme la plupart des grosses organisations, elles n'aient ni l'agilité ni la sociologie pour changer radicalement de point de vue.
Les catastrophes industrielles et sociales risquent donc, hélas, de se poursuivre encore longtemps.
Les innovations qui bousculent et détruisent un secteur économique établi commencent toujours par séduire subrepticement les non-clients et les mal-clients, bien avant de convaincre et d'emporter, dans un second temps, le cœur du marché traditionnel.
Mobilement votre
Références et compléments
- Voir aussi la chronique "canassons et chevaux fiscaux, même combat !" consacrée à la comparaison entre le coût actuel d'une voiture et celui d'un cheval sous Louis XV.
- Les 3 véhicules dont il est question dans ce billet sont, par ordre d'entrée en scène, les Renault Captur, Modus et Clio IV.
- La traduction non littérale de crossover est croisement ou hybridation. Je n'ai franchement pas compris en quoi cette métaphore génétique s'appliquait à des automobiles trop voyantes et d'un autre âge.