Plusieurs députés socialistes, dont François Brottes élu de l'Isère, ont annoncé à grand renfort de médias le prochain dépôt d'une proposition de loi, surnommée "Florange", visant à empêcher les fermetures de sites industriels réputés rentables.
Le journal en ligne Les Echos a publié ce texte, pour l'instant introuvable sur le site de l'Assemblée Nationale.
La lecture de la future loi "Florange" m'a proprement stupéfait.
Soit, ses rédacteurs et leurs conseillers ont une connaissance très limitée des entreprises.
Soit, ils font semblant de réformer tout en laissant l'industrie agoniser tranquillement.
Jugez sur pièces.
- Le présupposé initial est pour le moins étonnant.
D'après le trio de députés ayant tenu le porte-plume, qui s'est répandu dans les radios et gazettes, la plupart des fermetures d'usines affecteraient des sites rentables et de nombreux repreneurs seraient dans les starting-blocks pour continuer leur exploitation.
C'est oublier qu'une entreprise est une association à but lucratif. Je connais peu de personnes mues par l'appât du gain prêtes à sacrifier une activité profitable.
La réalité des restructurations est triple :
La notion d'établissement est particulièrement floue en droit social.
C'est en fait une sorte de circonscription géographique au sein de l'entreprise définissant l'élection des délégués du personnel et du comité d'établissement.
Les établissements sont habituellement définis par un accord entre direction et syndicats sur des base géographiques pouvant être vastes.
Dans la pratique, dans beaucoup de grandes, et mêmes de moyennes, entreprises industrielles, un établissement regroupe plusieurs sites et plusieurs activités. Les seules exceptions que je connaisse sont les très grandes usines mono-produit comme celles fabriquant des automobiles.
Lors de restructurations, une entreprise envisage généralement de restreindre ou de fermer une activité et non pas un établissement complet au sens légal.
La proposition de loi "visant à redonner des perspectives à l'économie réelle et à l'emploi industriel" n'est donc pas applicable dans la très grande majorité des cas.
Ainsi le trop célèbre Mittal n'a fermé pour l'instant "que" les hauts fourneaux au sein de l'établissement de Florange. Ce nouvel arsenal législatif ne l'aurait même pas concerné.
- Le seuil de 50 salariés ouvre une voie aisée de contournement.
Le chef d'entreprise qui souhaiterait supprimer un établissement complet aurait juste à lancer un très mal nommé Plan de Sauvegarde de l'Emploi - en français courant, une bonne grosse vague de licenciements - pour réduire l'effectif en dessous du seuil fatidique.
Quelques semaines plus tard la fermeture définitive du site pourra passer comme une lettre à la poste.
- L'entreprise sera soumise à une obligation de moyens, pas de résultats.
L'entreprise qui, envers et contre tout, voudrait fermer illico un établissement aura seulement à "rechercher un repreneur" et à motiver ses réponses "aux offres de reprises reçues".
Quiconque ne voudra pas vendre devra juste à expliquer, avec des termes soigneusement pesés pondus par des juristes patentés, que le prix proposé est trop faible ou que le repreneur a une sale gueule.
- La proposition de loi "Florange" n'évoque ni les marques, ni les outillages, ni les brevets.
Si la maison-mère ou les clients conservent ces trois joyaux, qui va vouloir acheter une coquille vide ?
- Le summum est atteint avec l'obligation pour l'employeur d'informer et consulter le comité d'établissement.
J'ai siégé durant un an dans un comité d'établissement.
Avec les autres élus, j'ai voté un nombre incalculable d'avis et de délibérations sur des sujets les plus variés allant de l'implantation d'une caméra de surveillance à la délocalisation d'un département.
A aucun moment, ces votes n'ont eu la moindre influence sur la marche de l'entreprise. Si les obligations légales de consultation sont pléthoriques, aucun texte ne force une entreprise à tenir compte des avis émis.
La seule précaution que doit prendre la direction est de respecter scrupuleusement les formes et délais afin que le processus ne puisse être cassé par un tribunal qui ne statue jamais sur le fond.
Ces mécanismes bureaucratiques et kafkaïens fournissent de l'emploi aux juristes du travail mais ne protègent pas ceux des ouvriers et ingénieurs.
Nos brillants députés se proposent d'ajouter une couche inutile de plus.
Le maintien et le redéveloppement de l'industrie sont cruciaux pour l'avenir.
Sans industrie, un pays ne peut être durablement prospère.
Trois grandes voies sont indispensables et reposent sur un large consensus. Très simples dans leur principe, elles supposent toutefois un véritable courage politique pour les mettre en pratique.
- Tout d'abord, abaisser, de façon perceptible et aisément compréhensible, les charges portant sur les salaires.
Les nécessaires fiscalités et solidarités sociales doivent reposer sur les revenus, la consommation et le patrimoine, pas sur l'emploi dont nous manquons cruellement !
- Ensuite, simplifier les contraintes pesant sur les entreprises, notamment la trop touffue législation du travail, en échange d'une participation accrue du personnel à la gouvernance de l'entreprise.
Le véritable deal que syndicats et patronats pourraient passer serait d'alléger et même supprimer la plupart des procédures de consultation des représentants du personnel en échange d'un avis décisionnel, et non plus simplement consultatif, sur quelques domaines clefs.
Dans toutes les entreprises cotées, un quart du conseil d'administration devrait être constitué d'élus du personnel.
Pour ce faire, les élections professionnelles doivent devenir véritablement démocratiques, c'est à dire ouvertes à toutes les candidatures, y compris en dehors des syndicats patentés.
De même, les accords d'entreprise, pour être applicables, devraient être réellement majoritaires et non minoritaires comme aujourd'hui.
- Enfin, pousser, au sein des entreprises mais aussi des territoires, vers beaucoup plus de gestion prévisionnelle.
Plutôt que de retarder les inévitables mutations, il est préférable des les accompagner.
Ce qui est indispensable lorsqu'un site ferme ou rétrécit, c'est de réindustrialiser la zone et de former correctement les personnes licenciées, pas de retarder l'échéance de quelques mois.
De la même façon, les bassins d'emploi avec une seule activité économique devrait faire l'objet, de la part des pouvoirs publics, de plans d'urgence visant à leur diversification.
La proposition de loi "Florange" est étrangement muette sur tous ces sujets.
Combien faudra-t-il d'usines fermées et de chômeurs supplémentaires avant que nos élus de tout poil réagissent ?
Industriellement votre.
Référence et compléments
- Voir aussi la chronique industrielle "Lettre ouverte à Olivier Veran députe de l'Isère"
- Article des Echos du 30 avril 2013 sur la loi "Florange".
- Le rapport Gallois de l'automne 2012 explicitait, pour bonne part et avec une crédibilité plus forte que la mienne, les pistes de soutien à l'industrie que j'évoque.
Le journal en ligne Les Echos a publié ce texte, pour l'instant introuvable sur le site de l'Assemblée Nationale.
La lecture de la future loi "Florange" m'a proprement stupéfait.
Soit, ses rédacteurs et leurs conseillers ont une connaissance très limitée des entreprises.
Soit, ils font semblant de réformer tout en laissant l'industrie agoniser tranquillement.
Jugez sur pièces.
- Le présupposé initial est pour le moins étonnant.
D'après le trio de députés ayant tenu le porte-plume, qui s'est répandu dans les radios et gazettes, la plupart des fermetures d'usines affecteraient des sites rentables et de nombreux repreneurs seraient dans les starting-blocks pour continuer leur exploitation.
C'est oublier qu'une entreprise est une association à but lucratif. Je connais peu de personnes mues par l'appât du gain prêtes à sacrifier une activité profitable.
La réalité des restructurations est triple :
- . Les difficultés économiques - c'est à dire quand les ventes ne réussissent plus a minima à équilibrer les coûts - sont la cause la plus fréquente.
Dans ce cas, beaucoup d'entreprises sont contraintes à se séparer de secteurs entiers, souvent violemment, pour tenter d'éviter une mort annoncée.
Il est rare qu'une telle situation attire des candidats à la reprise car qui a envie d'acheter un business non rentable ?
De surcroît, l'intérêt de l'entreprise est de vendre, et non pas de ferrailler, les activités sacrifiées afin d'obtenir de l'argent frais.
. Viennent ensuite les délocalisations.
Fermer un atelier en France pour le rouvrir dans un pays "low cost" permet souvent - mais moins systématiquement qu'on ne le pense - d'abaisser les coûts, donc d'améliorer les profits.
Là aussi, les repreneurs potentiels ne se bousculent pas car ils ont le même intérêt économique à s'implanter loin de la France.
. Enfin, dans les secteurs en surproduction structurelle, les fermetures d'usine sont un moyen terrible de réduire la voilure.
Des concurrents mieux placés seraient souvent intéressés à une reprise afin de pouvoir mieux étouffer, à terme, l'entreprise vendeuse, avec des conséquences sur l'emploi encore plus fortes.
Vendre à un concurrent direct est généralement un suicide à effet retard.
La notion d'établissement est particulièrement floue en droit social.
C'est en fait une sorte de circonscription géographique au sein de l'entreprise définissant l'élection des délégués du personnel et du comité d'établissement.
Les établissements sont habituellement définis par un accord entre direction et syndicats sur des base géographiques pouvant être vastes.
Dans la pratique, dans beaucoup de grandes, et mêmes de moyennes, entreprises industrielles, un établissement regroupe plusieurs sites et plusieurs activités. Les seules exceptions que je connaisse sont les très grandes usines mono-produit comme celles fabriquant des automobiles.
Lors de restructurations, une entreprise envisage généralement de restreindre ou de fermer une activité et non pas un établissement complet au sens légal.
La proposition de loi "visant à redonner des perspectives à l'économie réelle et à l'emploi industriel" n'est donc pas applicable dans la très grande majorité des cas.
Ainsi le trop célèbre Mittal n'a fermé pour l'instant "que" les hauts fourneaux au sein de l'établissement de Florange. Ce nouvel arsenal législatif ne l'aurait même pas concerné.
- Le seuil de 50 salariés ouvre une voie aisée de contournement.
Le chef d'entreprise qui souhaiterait supprimer un établissement complet aurait juste à lancer un très mal nommé Plan de Sauvegarde de l'Emploi - en français courant, une bonne grosse vague de licenciements - pour réduire l'effectif en dessous du seuil fatidique.
Quelques semaines plus tard la fermeture définitive du site pourra passer comme une lettre à la poste.
- L'entreprise sera soumise à une obligation de moyens, pas de résultats.
L'entreprise qui, envers et contre tout, voudrait fermer illico un établissement aura seulement à "rechercher un repreneur" et à motiver ses réponses "aux offres de reprises reçues".
Quiconque ne voudra pas vendre devra juste à expliquer, avec des termes soigneusement pesés pondus par des juristes patentés, que le prix proposé est trop faible ou que le repreneur a une sale gueule.
- La proposition de loi "Florange" n'évoque ni les marques, ni les outillages, ni les brevets.
Si la maison-mère ou les clients conservent ces trois joyaux, qui va vouloir acheter une coquille vide ?
- Le summum est atteint avec l'obligation pour l'employeur d'informer et consulter le comité d'établissement.
J'ai siégé durant un an dans un comité d'établissement.
Avec les autres élus, j'ai voté un nombre incalculable d'avis et de délibérations sur des sujets les plus variés allant de l'implantation d'une caméra de surveillance à la délocalisation d'un département.
A aucun moment, ces votes n'ont eu la moindre influence sur la marche de l'entreprise. Si les obligations légales de consultation sont pléthoriques, aucun texte ne force une entreprise à tenir compte des avis émis.
La seule précaution que doit prendre la direction est de respecter scrupuleusement les formes et délais afin que le processus ne puisse être cassé par un tribunal qui ne statue jamais sur le fond.
Ces mécanismes bureaucratiques et kafkaïens fournissent de l'emploi aux juristes du travail mais ne protègent pas ceux des ouvriers et ingénieurs.
Nos brillants députés se proposent d'ajouter une couche inutile de plus.
Le maintien et le redéveloppement de l'industrie sont cruciaux pour l'avenir.
Sans industrie, un pays ne peut être durablement prospère.
Trois grandes voies sont indispensables et reposent sur un large consensus. Très simples dans leur principe, elles supposent toutefois un véritable courage politique pour les mettre en pratique.
- Tout d'abord, abaisser, de façon perceptible et aisément compréhensible, les charges portant sur les salaires.
Les nécessaires fiscalités et solidarités sociales doivent reposer sur les revenus, la consommation et le patrimoine, pas sur l'emploi dont nous manquons cruellement !
- Ensuite, simplifier les contraintes pesant sur les entreprises, notamment la trop touffue législation du travail, en échange d'une participation accrue du personnel à la gouvernance de l'entreprise.
Le véritable deal que syndicats et patronats pourraient passer serait d'alléger et même supprimer la plupart des procédures de consultation des représentants du personnel en échange d'un avis décisionnel, et non plus simplement consultatif, sur quelques domaines clefs.
Dans toutes les entreprises cotées, un quart du conseil d'administration devrait être constitué d'élus du personnel.
Pour ce faire, les élections professionnelles doivent devenir véritablement démocratiques, c'est à dire ouvertes à toutes les candidatures, y compris en dehors des syndicats patentés.
De même, les accords d'entreprise, pour être applicables, devraient être réellement majoritaires et non minoritaires comme aujourd'hui.
- Enfin, pousser, au sein des entreprises mais aussi des territoires, vers beaucoup plus de gestion prévisionnelle.
Plutôt que de retarder les inévitables mutations, il est préférable des les accompagner.
Ce qui est indispensable lorsqu'un site ferme ou rétrécit, c'est de réindustrialiser la zone et de former correctement les personnes licenciées, pas de retarder l'échéance de quelques mois.
De la même façon, les bassins d'emploi avec une seule activité économique devrait faire l'objet, de la part des pouvoirs publics, de plans d'urgence visant à leur diversification.
La proposition de loi "Florange" est étrangement muette sur tous ces sujets.
Combien faudra-t-il d'usines fermées et de chômeurs supplémentaires avant que nos élus de tout poil réagissent ?
Industriellement votre.
Référence et compléments
- Voir aussi la chronique industrielle "Lettre ouverte à Olivier Veran députe de l'Isère"
- Article des Echos du 30 avril 2013 sur la loi "Florange".
- Le rapport Gallois de l'automne 2012 explicitait, pour bonne part et avec une crédibilité plus forte que la mienne, les pistes de soutien à l'industrie que j'évoque.