jeudi 8 août 2013

La nourriture est-elle moins chère que sous Louis XV ?

Il est désormais de bon t(h)on de railler et d'exécrer l'agriculture intensive et les industries de la mal bouffe.
Toutefois, si des excès sont indéniables, un regard en arrière devrait nous inciter à ne pas jeter le bébé agro-alimentaire avec l'eau de cuisson.

Pour ce faire, je vous propose de remonter dans l'espace-temps jusque vers 1750, sous le règne du bon roi Louis XV, en Normandie, dans la région de Rouen.
Un ouvrier y gagnait sensiblement une demi livre, la monnaie d'alors, pour une journée de travail de 10 heures, répétée 6 fois par semaine.

L'équivalent d'une baguette de pain, pétri à partir de farines exemptes d'OGM, mais pas toujours d'ergot de seigle, coûtait, suivant l'abondance des récoltes, entre 0,1 et 0,2 livre, soit 2 à 4 heures de travail. La journée de labeur suffisait à peine, au sens propre, à gagner le pain familial.
En 1725, pour cause de pénurie, le kilogramme de pain atteignit, à Rouen, 2 livres, environ 4 jours de travail ouvrier. Les autorités locales furent contraintes de plafonner les prix et de verser des subventions aux meuniers. Les tensions sur les céréales suscitèrent d'ailleurs plus de 8 500 émeutes en France entre 1700 et 1789 et sont une des causes de la révolution.
Aujourd'hui, 5 à 7 minutes de SMIC suffisent pour acheter une baguette, 15 fois moins que sous l'ancien régime.

La viande, garantie sans antibiotiques, était hors de prix. Acquérir un kilo de bœuf, de veau ou de mouton, hauts et bas morceaux confondus, demandait pas moins de deux journées de travail.
Tout, absolument tout, dans une bête était consommé, une pratique somme toute pas si différente de celle des fabricants actuels de lasagnes.
Désormais, le kilo de steak à 20 € représente 3 heures de SMIC, une amélioration d'un facteur 6. La viande hachée industrielle coûte à peu près 5 € du kilo, 50 minutes de salaire minimum, 25 fois moins qu'en 1750.

La volaille suivait de près. Un poulet ou canard, élevés en plein air et sans hormones, s'échangeaient contre un peu plus de 2 jours de salaire.
Aujourd'hui 1.5 heures de SMIC y pourvoient.

Loin des côtes, seules les élites pouvaient s'offrir du poisson : 2 semaines de labeur pour une grosse truite capturée en rivière, une demi-journée maintenant pour un produit de la pisciculture.
Dans ces conditions, on comprend qu'une des revendications principales des États-Généraux de 1789 fut, non pas mariage, mais chasse et pêche pour tous.

Le fromage est la nourriture dont le prix a le moins diminué, à peine une division par 5.
Sous Louis XV, un jour d'ouvrier permettait d'acheter un kilo de fromage non pasteurisé.
En 2013, une portion équivalente de calendos ou de Saint Marcellin est vendue pour 2 heures de salaire minimal.

Un café sucré est devenu, de nos jours, une boisson habituelle. Un kilo d'arabica moulu avoisine 1.5 heures de SMIC et celui de sucre 10 minutes.
L'ouvrier normand du XVIIIème siècle ne devait pas carburer à l'expresso. Il lui fallait travailler respectivement 3 semaines et 2.5 jours pour se payer ces luxueuses denrées.

Bien entendu, les prix de 1750 sont à nuancer car l'auto-production et l'auto-consommation étaient très importantes.
Ils sont, surtout, révélateurs des faibles surplus en nourriture que les campagne généraient. Ce qui, par voie de conséquence, limitaient les populations urbaines et les employés de l'industrie. Dix générations en arrière, nos ancêtres paysans et ouvriers, subissaient disettes et carences alimentaires chroniques.

Toutefois, à partir du milieu du XVIIIème siècle, l'avènement de nouvelles techniques agricoles augmenta les rendements et donc libéra, petit à petit, des bras qui s'embauchèrent dans les usines de la révolution industrielle.
L'essor de notre alimentation et de notre niveau de vie étaient en marche.

Agro-industriellement votre

Références et compléments
Dans la même veine, sur l'évolution des prix et des coûts au fil du temps, voir aussi les chroniques :

Les données anciennes proviennent du livre "Salaires et revenus dans la généralité de Rouen au 18ème siècle comparés avec les dépenses" publié en 1886 par A. Lefort et reproduit sur le site archive.org.

L'idée de comparer les prix dans la longue durée à des temps salariaux est inspirée du livre de Jean Fourastié & Béatrice Bazil "Pourquoi les prix baissent ?" (Editions Hachette 1984).