mercredi 10 septembre 2014

Analyse du travail de nos députés qui n'ont pas le temps de payer leurs impôts

En France, le dernier scandale politique en cours nous a permis de faire connaissance avec le sieur Thomas Thévenoud, ci-devant député de la nation et fugace sous-ministre.
Ce brave homme, secondé par sa charmante épouse employée par le sénat, a omis de payer ses impôts et son loyer, tout en expliquant doctement que son engagement public accaparait tout son temps.

Si je me rappelle mes cours d’instruction civique, prodigués au siècle dernier par l'école républicaine, la fonction des députés est de produire des lois et celle des ministres d'administrer, notamment par le biais de décrets et circulaires.

Par l'entremise du site Légifrance, je viens de me livrer à un petit examen de l'efficacité de notre système politique en jetant mon dévolu sur le Code de la Propriété Intellectuelle.

À l'heure où le numérique bouscule toute notre société et met les copies en tous genres à la portée de chacun, entre 300 et 400 excellents articles régissent droits d'auteur, brevets et marques.
Je n'ai pas réussi à compter précisément tellement ces textes sont nombreux et imbriqués.

La langue dans laquelle cette belle prose est rédigée surpasse en limpidité et en fulgurance celle de Stendhal, Balzac et Proust réunis.
Jugez sur pièces avec ce court extrait de l’excellent article L211-3
    "Les bénéficiaires des droits ouverts au présent titre ne peuvent interdire [...] la reproduction provisoire présentant un caractère transitoire ou accessoire, lorsqu'elle est une partie intégrante et essentielle d'un procédé technique et qu'elle a pour unique objet de permettre l'utilisation licite de l'objet protégé par un droit voisin ou sa transmission entre tiers par la voie d'un réseau faisant appel à un intermédiaire ; toutefois, cette reproduction provisoire ne doit pas avoir de valeur économique propre".

Ces lois révèlent au grand jour le souci constant de nos élus pour l'intérêt général.
L'excellent article R134-1 crée un “registre des livres indisponibles du XXème siècle [...] arrêté par un comité scientifique placé auprès du président de la Bibliothèque Nationale de France et composé, en majorité et à parité, de représentants des auteurs et des éditeurs”.
Cette liste de bouquins épuisés devra obligatoirement, sous peine de transgresser la Loi, comporter “noms et prénoms ou pseudonymes du ou des auteurs” mais aussi “des précisions sur la qualité de l'auteur”.
Pourtant si l'ouvrage est introuvable, il est peu probable que l'auteur soit d’une qualité exceptionnelle.
Bien entendu nos parlementaires ont laissé un peu de boulot à leurs collègues du gouvernement en précisant que “la composition et le fonctionnement de ce comité sont déterminés par arrêté du ministre chargé de la culture”.

Les décrets qui complètent ce code frisent le sublime.
Ainsi l'opus “n° 2008-1391 du 19 décembre 2008 relatif à la mise en œuvre de l'exception au droit d'auteur, aux droits voisins et au droit des producteurs de bases de données en faveur de personnes atteintes d'un handicap” comporte huit excellents articles.
Le premier indique “le code de la propriété intellectuelle est modifié conformément aux articles 2 à 8 du présent décret”.
Les excellents articles suivants relèvent d'Alfred Jarry ou d'Eugène Ionesco.
Par exemple, le n°4 stipule “au chapitre II du titre II du livre Ier, il est créé une section 1, intitulée « Dispositions générales », qui comprend l'article R. 122-1”.
Les sept autres sont du même acabit.
La signature force le respect. Ce jeu de piste réglementaire a été co-paraphé par pas moins de cinq ministres : le premier d’entre eux ; la ministre de la culture et de la communication ; la ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales ; le ministre du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité et, pour finir, la secrétaire d'état chargée de la solidarité.

Nos parlementaires ont aussi su faire preuve de créativité géographique.
Les excellents articles L811-1 à L811-4 précisent des “dispositions relatives à l'outre-mer”.
Aux yeux du législateur - pourtant sujet à la phobie administrative - copies et droits d'auteurs diffèrent aux îles Wallis-et-Futuna, en Nouvelle-Calédonie, à Mayotte et dans les Terres australes et antarctiques françaises.
On pourrait croire à un effet du changement d'hémisphère si la Polynésie n'avait pas été oubliée.

Bref notre techno-politico-structure excelle dans la construction des remparts de paperasse la protégeant du chômage et l'empêchant de trouver le temps de payer ses impôts.

Leaniquement votre

Références et compléments
- Voir aussi la chronique “Combien coûte une loi ?”
- Le Code de la Propriété Intellectuelle est consultable sur Légifrance. Les passages en italique en proviennent.