A la charnière entre seizième et dix-septième siècles, astronomie, comptabilité et finances modernes ont conféré aux très grands nombres une utilité professionnelle pratique. Jusqu’alors, seule une poignée de mathématiciens surexcités en faisait un objet d’études purement académiques.
En effet, aucune valeur élevée n’était nécessaire au quotidien : quelques milliers de pièces d’or représentaient une fortune colossale, un négociant pouvait connaitre par cœur l’essentiel de son inventaire et se repérer grâce aux étoiles nécessitait une bonne mémoire mais peu de calculs.
Les nombres « astronomiques » ne sont entrés dans la vie de la majorité de la population qu’après la première guerre mondiale.
Tout d’abord, le dénombrement des victimes de ce conflit a tragiquement nécessité six voire sept zéros. Les hécatombes commises ensuite par les soviétiques, les nazis, les maoïstes et quelques autres génocidaires ont, hélas, perpétué ce macabre décompte.
Ensuite inflation, et même hyperinflation, ont appris à chacun, très difficilement, à utiliser des valeurs monétaires invraisemblables.
Homo sapiens étant une espèce à la comprenette poussive, nous peinons toujours à prendre la juste mesure des nombres au-delà de 1 000.
Cette difficulté est renforcée par l’usage d’unités variables, notamment pour les valeurs monétaires.
2 milliards d’euros, 2 000 millions d’euros, 2 000 000 k€, 2 000 000 000 € représentent exactement le même montant mais, inconsciemment, les valeurs semblent s’accroître au fil de l’énumération.
En Tunisie, le décompte de la monnaie est encore plus déroutant. Un pays qui arbore un croissant de lune et une étoile sur son drapeau ne peut qu’être amoureux des nombres « astronomiques ».
Dès que les sommes deviennent un tantinet rondelettes, trois zéros supplémentaires font leur apparition. Le dinar est abandonné au profit du millime. 1 000 dinars (environ 500 €) deviennent ainsi un million de millimes. Il faut être millionnaire pour équiper sa cuisine d’un réfrigérateur et d’une cuisinière !
Lorsqu’on aborde les milliards, personne – votre serviteur en premier – ne sait plus très bien différentier dinars et millimes.
Le personnel politique a trouvé dans notre incapacité à absorber les grands nombres son meilleur allié.
Rien de tel qu’une kyrielle de zéros pour masquer inaction et inefficacité ou appuyer une argumentation vaseuse.
Un exemple récent pour juger sur pièces.
Début août 2012, les autorités économiques tunisiennes ont fièrement claironné que « plus de 45 idées de projets nécessitant une enveloppe de plus de 100 millions de dinars ont été identifiées dans le cadre du projet de développement des régions intérieures ».
A cette occasion, monsieur Jameleddine Gharbi, ministre du développement régional et de la planification, a souligné qu’il s’agissait « d’un nouveau modèle de développement à même de valoriser les ressources naturelles et les réserves du patrimoine tunisien […] et de créer de la richesse et de la valeur ajoutée ».
Certes, 100 milliards de millimes sont une belle somme mais ils ne représentent que 0.15% du produit intérieur brut de la Tunisie et 0.9% des dépenses de l’état.
Ces projets sont certainement sympathiques mais, vu les faibles montants en jeu, et au risque de déplaire à Mr Gharbi, il est peu probable qu’ils résorbent chômage et disparités régionales en Tunisie.
Astronomiquement votre
Références et compléments
- Voir aussi sur l'usage des grands nombres par les politiques la chronique "Dans le Peillon, tout est bidon !".
- Les autres chroniques "déchiffrage".
- D’après les données macro-économiques publiées par la Banque Centrale de Tunisie :
. Le produit intérieur brut (PIB) tunisien était de 63 milliards de dinars (32 milliards d’euros) en 2010.
. La même année, les dépenses de l’état tunisien s’élevaient à 10 milliards de dinars (5 milliards d’euros, 16% du PIB).
- Les déclarations des officiels tunisiens ont été rapportées dans l’article de la Presse de Tunisie « Identification de 45 idées de projets dans 10 délégations » paru le 2 août 2012.
- L'expression "un tantinet rondelette" provient de la chanson Oncle Archibald de Georges Brassens.
En effet, aucune valeur élevée n’était nécessaire au quotidien : quelques milliers de pièces d’or représentaient une fortune colossale, un négociant pouvait connaitre par cœur l’essentiel de son inventaire et se repérer grâce aux étoiles nécessitait une bonne mémoire mais peu de calculs.
Les nombres « astronomiques » ne sont entrés dans la vie de la majorité de la population qu’après la première guerre mondiale.
Tout d’abord, le dénombrement des victimes de ce conflit a tragiquement nécessité six voire sept zéros. Les hécatombes commises ensuite par les soviétiques, les nazis, les maoïstes et quelques autres génocidaires ont, hélas, perpétué ce macabre décompte.
Ensuite inflation, et même hyperinflation, ont appris à chacun, très difficilement, à utiliser des valeurs monétaires invraisemblables.
Homo sapiens étant une espèce à la comprenette poussive, nous peinons toujours à prendre la juste mesure des nombres au-delà de 1 000.
Cette difficulté est renforcée par l’usage d’unités variables, notamment pour les valeurs monétaires.
2 milliards d’euros, 2 000 millions d’euros, 2 000 000 k€, 2 000 000 000 € représentent exactement le même montant mais, inconsciemment, les valeurs semblent s’accroître au fil de l’énumération.
En Tunisie, le décompte de la monnaie est encore plus déroutant. Un pays qui arbore un croissant de lune et une étoile sur son drapeau ne peut qu’être amoureux des nombres « astronomiques ».
Dès que les sommes deviennent un tantinet rondelettes, trois zéros supplémentaires font leur apparition. Le dinar est abandonné au profit du millime. 1 000 dinars (environ 500 €) deviennent ainsi un million de millimes. Il faut être millionnaire pour équiper sa cuisine d’un réfrigérateur et d’une cuisinière !
Lorsqu’on aborde les milliards, personne – votre serviteur en premier – ne sait plus très bien différentier dinars et millimes.
Le personnel politique a trouvé dans notre incapacité à absorber les grands nombres son meilleur allié.
Rien de tel qu’une kyrielle de zéros pour masquer inaction et inefficacité ou appuyer une argumentation vaseuse.
Un exemple récent pour juger sur pièces.
Début août 2012, les autorités économiques tunisiennes ont fièrement claironné que « plus de 45 idées de projets nécessitant une enveloppe de plus de 100 millions de dinars ont été identifiées dans le cadre du projet de développement des régions intérieures ».
A cette occasion, monsieur Jameleddine Gharbi, ministre du développement régional et de la planification, a souligné qu’il s’agissait « d’un nouveau modèle de développement à même de valoriser les ressources naturelles et les réserves du patrimoine tunisien […] et de créer de la richesse et de la valeur ajoutée ».
Certes, 100 milliards de millimes sont une belle somme mais ils ne représentent que 0.15% du produit intérieur brut de la Tunisie et 0.9% des dépenses de l’état.
Ces projets sont certainement sympathiques mais, vu les faibles montants en jeu, et au risque de déplaire à Mr Gharbi, il est peu probable qu’ils résorbent chômage et disparités régionales en Tunisie.
Astronomiquement votre
Références et compléments
- Voir aussi sur l'usage des grands nombres par les politiques la chronique "Dans le Peillon, tout est bidon !".
- Les autres chroniques "déchiffrage".
- D’après les données macro-économiques publiées par la Banque Centrale de Tunisie :
. Le produit intérieur brut (PIB) tunisien était de 63 milliards de dinars (32 milliards d’euros) en 2010.
. La même année, les dépenses de l’état tunisien s’élevaient à 10 milliards de dinars (5 milliards d’euros, 16% du PIB).
- Les déclarations des officiels tunisiens ont été rapportées dans l’article de la Presse de Tunisie « Identification de 45 idées de projets dans 10 délégations » paru le 2 août 2012.
- L'expression "un tantinet rondelette" provient de la chanson Oncle Archibald de Georges Brassens.