dimanche 12 janvier 2014

Le pacte de responsabilité de François Hollande peut-il réussir ?

Blood, toil, tears and sweat
Du sang, du labeur, des larmes et de la sueur
Winston Churchill - 13 mai 1940
Le soir de la Saint Sylvestre, François Hollande a profité que les français, occupés par la préparation de leur réveillon, ne l'écoutaient pas pour annoncer, subrepticement, un "pacte de responsabilité" avec les entreprises : une baisse de charges en échange d'un surcroît d'embauches.

Cette proposition a-t-elle une chance d'abaisser le chômage ?
Quels sont les montants pour une réforme efficace ?
L'annonce du MEDEF de 100 milliards d'allègements contre 1 million d'emplois est-elle crédible ?
Essayons de répondre à ces questions en raisonnant sur les ordres de grandeur.


Combien de français au chômage et en emploi ?

Une petite moitié de la population, sensiblement 30 millions de personnes, est en âge de travailler et le souhaite.
Malheureusement, 1 français dit "actif" sur 10, soit un total avoisinant 3 millions, ne réussit pas à décrocher un emploi et est frappé par le chômage.
Les personnes au travail se répartissent en :
. 16 millions de salariés - légèrement plus d'un actif sur 2 - sont employés par des entreprises privées,
. 6 millions - 1 actif sur 5 - sont agents de l'état et des collectivités publiques,
. 4 millions de personnes - un peu moins d'un actif sur 7 - exercent une profession libérale ou un travail individuel,
. un petit million de français - 1 actif sur 30 - est embauché par des associations.

Emploi et chômage en France

Quels sont les secteurs susceptibles de créer des emplois ?

Le secteur public, impécunieux et endetté, n'est plus en capacité d'augmenter ses effectifs. Une diminution est même probable, voire souhaitable.

Les activités libérales sont peu sensibles au coût du travail et modérément propices au développement. Elles recèlent donc peu de gisements d'emplois.

Seules les activités marchandes, entreprises et une partie des associations, sont en mesure de générer des embauches.


Quelle devrait être l'ampleur d'une baisse du chômage qui changerait la donne ?

La France étant engluée dans le chômage de masse depuis le premier choc pétrolier de 1973, une baisse conséquente des demandeurs d'emplois est indispensable pour redonner moral et confiance à la majorité d'entre nous et mettre notre machine économique en marche avant toute.
Quelques pourcents d'inscrits de moins à Pole Emploi ne seraient guère perceptibles et passeraient pour des élucubrations statistiques ou politiciennes.

À l'inverse, un gouvernement qui réussirait à diminuer d'au moins un tiers le nombre de chômeurs verrait, à l'instar d'Angela Merkel, son avenir électoral assuré.
Un million d'emplois en une période de 2 ou 3 ans parait être un minimum pour créer un déclic.
Obtenir ce résultat suppose donc que les entreprises accroissent leurs effectifs d'un seizième, 6%


Quelle est la part des cotisations sociales dans les coûts des entreprises ?

Pour répondre à cette question, nous allons nous focaliser sur les petites et moyennes entreprises, les fameuses PME à moins de 250 personnes.
En effet, même si ces sociétés ne représentent qu'un tiers de l'emploi salarié, leur fonctionnement n'est pas si différent de celui des plus grosses entreprises.
Ces dernières sont presque toutes organisées en établissement ou "centres de profit" dont la taille est limitée et dont les responsables bénéficient d'une forte autonomie de décision. Les embauches, in fine, se décident plus sur "le terrain" "qu'en haut".

Une PME moyenne emploie sensiblement 30 personnes et le total de ses ventes annuelles avoisine 6 millions d'euros.

Ce chiffre d'affaire se répartit en 4 grandes masses.
La plus importante - deux tiers des ventes, 4 millions d'euros par an - sont les achats effectués par l'entreprise.
Vient ensuite la rémunération nette des salariés, un gros sixième du chiffre d'affaire, 900 000 €.
Les cotisations sociales, celles des employeurs additionnées à celles des employés, s'élèvent à 600 000 €, un dixième des ventes.
Enfin, la marge, dite brute, ferme la marche avec 500 000 €, 8% du chiffre d'affaire. Cet "excédent d'exploitation" finance à la fois les investissements, l'impôt sur les sociétés et la rémunération des actionnaires.

Décomposition simplifiée du chiffre d'affaire d'une PME moyenne française

Comment provoquer un changement de comportement des entreprises ?

En économie, l'homéopathie fonctionne rarement.
Les évolutions de prix ou de coûts doivent être substantielles pour modifier les comportements, que ce soit de la part des individus ou des entreprises. Qui se rendrait à des soldes affichant un rabais de 2% ?

Afin de nous mettre les idées au clair, je vous vous propose d'évaluer les conséquences d'une baisse psychologique de l'ensemble des coûts des entreprise de l'ordre de 10%.
Une telle valeur commencerait à être suffisamment importante pour amener les différents "acteurs" à réviser leurs schémas de pensée.
Une diminution notablement plus faible serait noyée dans la gestion courante et n'aurait que peu d'effets.

En moyenne et à la grosse, cette hypothétique baisse de 10% des coûts totaux produirait, à mon avis, 3 effets.
Tout d'abord, environ une moitié, soit 5%, serait consacrée à une baisse des prix de vente afin d'augmenter les volumes vendus. Moins diminuer les prix ne stimulerait guère l'activité.
Ensuite, un quart, c'est à dire 2.5%, irait à l'amélioration des marges, pour investir plus et mieux rémunérer les actionnaires.
Enfin, le dernier quart, toujours 2.5%, serait destiné aux salariés, soit sous forme d'augmentation de salaire, soit sous forme d'embauches pour préparer l'avenir.

Avec de telles hypothèses, les entreprises embaucheraient pour des montants de masse salariale compris entre 0.5% (version raisonnablement pessimiste) et 3% (version très optimiste) de leurs coûts totaux, c'est à dire entre 3% et 20% de leurs effectifs, autrement dit entre 500 000 et 3 millions de nouveaux emplois.
Un tel changement aurait enfin des effets perceptibles sur le chômage.


De combien faudrait-il abaisser les cotisations sociales pour provoquer cette vague notable d'embauches ?

Si nous reprenons notre PME type, ses coûts annuels sont de 5.5 millions d'euros.
Une baisse de de 10% suppose d'être capable de générer 550 000 € d'économies.

En conservant nos hypothèses, les achats de cette entreprise seraient diminués de 5% car, en moyenne, ses fournisseurs baisseraient aussi leurs prix. 200 000 € seraient ainsi sauvegardés.

À moins d'envisager un recul des salaires nets, les 350 000 € restants ne peuvent venir que d'une baisse des cotisations sociales employeurs et employés qui s'élèvent actuellement à 600 000 €.

Cela signifie que plus de la moitié des cotisations sociales devraient être financées différemment !
Au niveau national, une fois agrégées toutes les entreprises, on obtient une somme de l'ordre de 200 à 250 milliards (et pas millions) d'euros, plus du double des 100 milliards clamés et réclamés par l'impayable MEDEF.


Est-il possible de diviser par 2 les cotisations sociales ?

Si les montants économisés sur les cotisations sociales sont transférés en masse sur les impôts, les effets sur l'emploi seront faibles car les baisses de prix seront gommées par une baisse du revenu disponible.
Cet effet nocif peut être atténué en taxant plus les importations que la production nationale. C'est la justification des hausses de TVA, naguère baptisées sociales et désormais compétitivité.
Les importations représentant un quart l'ensemble de nos achats, les taxes sur la consommation pourraient être élevées d'une cinquantaine de milliards. C'est à dire une TVA à 24% au lieu de 20% ainsi que 10 à 20 centimes additionnels de taxe sur les carburants.
De telles décisions seraient très impopulaires mais sont probablement inévitables.

La baisse du chômage attendue serait aussi une source d'économie.
L'indemnisation des demandeurs d'emplois coûte annuellement de l'ordre de 100 milliards. Une baisse d'un tiers économiserait 30 milliards.

Pour que ce gigantesque big bang économique soit vraiment efficace, les 120 milliards restant à trouver doivent impérativement provenir d'une réduction des coûts des l'état, des collectivités locales et de la sécurité sociale, soit 12% de leurs dépenses actuelles, 1 € sur 8.
Cela représente des efforts conséquents mais pas insurmontables. Beaucoup d'entreprises mais aussi de familles réussissent à franchir, certes dans l'effort et la douleur, des caps encore plus difficiles.
Cela suppose un leadership churchillien, un cap très net avec des priorités claires et peu nombreuses, une communication soignée et transparente, un appel à l'intelligence et à la responsabilité de tous ainsi que beaucoup de patience et de courage.


Peut-on envisager des mesures d'accompagnement qui allégeraient la facture ?

Comme expliqué plus haut, les seuls vrais gisements d'emplois sont dans les entreprises.
Simplifier leur vie et diminuer les contraintes qui pèsent sur elles aurait le double effet d'améliorer leur fonctionnement et de diminuer les coûts étatiques.
De même, une simplification du droit du travail, qui ne protège les salariés qu'en apparence, serait nécessaire. Trop de droit tue le droit !

Le financement des entreprises est aussi un verrou très important. Moins l'état aura besoin de s'endetter, plus nombreux et bon marché seront les capitaux disponibles pour le secteur marchand.

Une représentation réellement démocratique des employeurs et des salariés est hautement souhaitable afin que les bureaucraties ultra-conservatrices patronales et syndicales ne puisse plus verrouiller l'innovation sociale.
Il y a beaucoup plus d'intelligence chez les dirigeants d'entreprises et leur personnel que chez leurs représentants autoproclamés.
Les pseudos "partenaires sociaux" ne devraient pas non plus gérer la protection sociale et la formation professionnelle. Ces domaines sont essentiels pour la cohésion nationale et ne peuvent rester la chasse gardée d'organisations ne rendant aucun compte. Il est notamment urgent de permettre chacun d'entre nous de rester ou de redevenir employable.

Beaucoup d'explications et de pédagogie politiques sont indispensables. Notamment, parce que dans la phase transitoire les salaires, hélas, devront rester contenus afin que le chômage baisse vraiment.
Les "insiders", surtout ceux des classes moyennes et supérieures dont je fait partie, devront faire preuve de civisme social afin que les "outsiders" puissent trouver la place qui leur est trop souvent refusée.

Enfin, quelques mesures fiscales incitant, voire forçant, la remise dans le circuit économique de l'épargne de très longue durée pourraient apporter un petit coup de fouet bienvenu.
Par exemple, une exemption fiscale des donations faibles et fréquentes adossée à une augmentation significative des droits de succession. Encore un changement peu populaire ...


En conclusion, soyons attentifs au chiffrage des annonces politiques !

Les détails du "pacte de responsabilité" que François Hollande devrait dévoiler dans les jours à venir permettront de déterminer si le locataire de l'Élysée ressemble plus à Winston Churchill qu'à Jacques Chirac.

Les propositions présidentielles ne seront véritablement un programme de sortie de crise que si les allègements de charges dépassent 150 milliards d'euros et les économies de dépenses publiques 100 milliards.

À défaut, une de fois de plus, nos élus nous aurons abreuvés de mesurettes.

Pactico-churchilliquement votre

Post Scriptum du 14 janvier 2014 à 19 heures
Voici les principales annonces étayées de François Hollande lors de sa conférence de presse :
- 35 milliards de baisse de charges pour les entreprises étalées sur 3 ans, à comparer aux 200 évoqués ci-dessus.
- 0.6 milliards d'économies en pourchassant les fraudes à la sécurité sociale, il faudrait en réaliser 200 fois plus.
- Quelques menues augmentations de dépenses publiques non chiffrées : emplois aidés, rémunération des enseignants.

Winston Churchill peut dormir en paix, le président français reste inspiré par le mollasson Jacques Chirac.

Références et compléments
- Toutes les données économiques, arrondies pour plus de lisibilité, proviennent de l'INSEE.
- Ma gratitude à Arezki pour m'avoir activement incité à lire les mémoires de Winston Churchill.