vendredi 4 mars 2011

Tunisie de Toujours

"Se vogliamo che tutto rimanga come è, bisogna che tutto cambi"
"Il faut que tout change pour que rien ne change"
Giuseppe Tomasi di Lampedusa

Comme les médias de tout poil se répandent pour décrire les changements survenus dans la Tunisie Révolutionnaire, je préfère consacrer cette chronique aux éléments de permanence de la Tunisie de Toujours.

A Kelibia, des caisses en plastique orangé trônent toujours à l'arrière des mobylettes qu'elles transforment en véhicules utilitaires …

Beaucoup de façades d'immeuble du Grand Tunis arborent toujours fièrement des visages immenses de poupons et de jeunes femmes vantant l'efficacité de couches culotte et de serviettes hygiéniques.
Toutefois, les posters géants où un vieux beau faisait de la publicité subliminale pour les costumes de marque et les teintures capillaires ont manifestement "dégagé".
Vu sa propagande omniprésente, le parti Lilas (à ne pas confondre avec le parti mauve) est certainement très bien placé pour les futures élections …

A Tunis, les rares flics rescapés qui font la circulation aux carrefours sont toujours aussi déroutants.
Ils bloquent les files bénéficiant du feu vert pour laisser passer celles affectées d'un feu rouge. Lorsque les feux permutent, les policiers inversent leurs ordres …

Les tunisiens sont toujours aussi friands de théories du complot. La récente révolution a juste diversifié les salopards occultes tirant les ficelles dans la pénombre.
En vrac : les USA & la CIA, les francs-maçons, l'armée, les "milices", Leila Trabelsi-Ben Ali, les islamistes, les syndicalistes de l'UGTT, les ex-RCDistes, la Lybie (sa cote est bizarrement en très nette baisse depuis quelques jours), les affairistes, les avocats, les trotskystes, les "saboteurs", l'Algérie, les sahéliens en mal d'influence, le FMI, la France et son OSS 117 d'ambassadeur ...
Je crains de ne pouvoir être en mesure de tenir cette liste mouvante à jour.

La télévision tunisienne est toujours championne du monde des documentaires.
Si de nombreux débats politiques peuplent désormais les antennes, ils sont plaisamment complétés par des films aux vertus apaisantes sur les mosaïques romaines, la plongée sous-marine, les populations du Sahara ou la Tunisie vue du ciel.
Ce pays a l'air d'être vraiment magnifique, j'envisage d'y passer mes prochaines vacances …

Révolutionnairement votre …

Rappel chronologique
La Révolution Tunisienne a culminé le 14 janvier 2011 avec le départ en exil du dictateur Zine El Abidine Ben Ali.
Début mars 2011, de nombreux évènements se sont succédés : le sit-in de la Kasbah a poussé au départ le Premier Ministre intérimaire Mohammed Ghannouchi remplacé par Beji Caid Essebsi.
Le soulèvement lybien a commencé fin février 2011 et début mars la chute de Khadafi apparaissait imminente.
Cette chronique a été écrite à Tunis durant cette période et n'a pas été retouchée.

Compléments lexicaux
- Lilas est une marque tunisienne de couches et de serviettes hygiéniques à la publicité très visible.
- Le mauve était la couleur fétiche du Rassemblement Constitutionnel Démocratique (sic), le parti tout puissant de Ben Ali. Les membres du RCD étaient appelés RCDistes.
- L'UGTT est l'Union Générale des Travailleurs Tunisiens, centrale syndicale tunisienne aux dirigeants controversés depuis la Révolution.
- Le Sahel est la région autour de Sousse. Bourguiba, Ben Ali et l'essentiel de leur entourage en sont originaires.
- Boris Boillon est un sarkoboy nommé à Tunis comme ambassadeur de France après la Révolution. Il pratique la diplomatie de l'éléphant dans le magasin de porcelaine et ne déparerait pas dans un film de Jean Dujardin.