dimanche 7 novembre 2010

Gare aux vertèbres japonaises

Un conseil médical de la plus haute importance s'impose : les personnes sensibles des vertèbres cervicales ou lombaires doivent s'abstenir de voyager au Japon.
En effet, dans ce pays de la Politesse Totale, la plus banale des interactions entre deux personnes requiert force salutations, remerciements et sourires mais aussi moult inclinaisons de la tête et du buste.
Arthritiques, cette contrée est un enfer pour vous !

Cette politesse et ce respect permanents sont probablement le point le plus surprenant au Japon pour les natifs des pourtours de la Méditerranée. Quelques exemples vécus au gré de mon voyage.

Sur le tarmac d'un aéroport, lorsqu'un avion quitte son point de stationnement, le personnel de piste se met en rang, se courbe à 90° puis agite les mains en signe d'au revoir.
De même, dans les gares, les agents de la compagnie ferroviaire présents sur le quai assouplissent leurs lombaires à l'arrivée de chaque train ainsi que leurs collègues ouvriers travaillant sur la voie.

Dès que vous faites mine d'envisager de franchir le seuil d'un commerce, le vendeur ou la vendeuse se lance dans un babillage effréné de bienvenue, exécuté comme il se doit en regardant ses chaussures.
Au moment de payer, le babillage reprend de plus belle. Votre monnaie et votre reçu sont déposés dans un petit plateau qui vous est tendu à deux mains.
Bien entendu, vos achats, même les plus insignifiants, sont dûment emballés.
Cet accueil est identique dans tous les types de commerces. Même les rabatteurs patibulaires des soaplands de Beppu incitent à entrer dans leur établissement avec révérence et sourire.

A l'entrée routière de l'aéroport de Narita à Tokyo, tous les véhicules sont contrôlés.
Des policiers montent dans chaque bus et vérifient les passeports. Rien de très étonnant, me direz vous. Sauf que le keuf de service porte un magnifique badge bleu ciel "Welcome to Narita!" et s'incline en souriant pour demander vos paplards !

Devant la Diète à Tokyo, comme dans n'importe quelle capitale, d'importantes forces de sécurité surveillent le bâtiment et filtrent l'accès.
Ignorant si les photos sont possibles, je m'approche d'un des gardes, m'incline et lui montre mon appareil. Le policier me rend mon salut en se penchant encore plus que moi et, tout sourire, tend un bras martial pour me permettre d'immortaliser l'édifice. La photo faite, nouvel échange de courbettes pour se quitter.

Je pourrais poursuivre cette énumération des courbettes durant des dizaines de pages.

Le plus étonnant est que cette politesse extrême est contagieuse. Très vite, le gaulois borné que je suis a pris l'habitude de sourire et d'incliner la tête. Il faudra que je pense à reprendre les habitudes antérieures pour ne pas risquer l'outrage à agent de retour à Roissy.
L'effet relaxant et cordial de cette attitude générale est très fort.
Ainsi, dans la file pour enregistrer auprès d'une compagnie aérienne dont le système informatique a oublié de tomber en marche - cela survient au Japon aussi ! - une hôtesse s'incline devant chaque passager, informe du problème, présente ses excuses et invite à revenir 30 minutes plus tard.
Dans un aéroport européen, cet incident courant aurait provoqué, y compris chez votre serviteur, des grognements voire des protestations. Ici, prévention, sourire et politesse gomment efficacement les énervements.

Deux réflexions saugrenues pour terminer.

Les japonais qui visitent l'Europe du Sud ou le Maghreb doivent être atterrés. Nous devons passer pour d'infâmes braillards grossiers et arrogants.
Je n'ose imaginer le nippon devant prendre un train à la Gare de Lyon, faire tamponner son passeport à Tunis ou encore rallier en bus l'aéroport Lyon Saint-Exupéry à la gare de Grenoble …

L'Education Nationale française devrait offrir à certains "djeuns" qui demandent régulièrement le "respect" un stage au Japon. Le mot respect n'a apparemment ni le même sens, ni surtout la même mise en pratique des deux cotés de la Sibérie …

Je plie mentalement mon épine dorsale pour espérer rester humblement nipponiquement votre …

Compléments lexicaux
- Un soapland est la version japonaise et hygiénique de la maison close (se rapporter à la chronique "tiens voilà du muda").
- La Diète est le parlement japonais.