Dans deux autres chroniques, j'ai déjà raconté que le 11 novembre 1968, pour le cinquantième anniversaire de la fin de première guerre mondiale, mon grand-père, Pierre Lebouc, m'a offert sa croix de guerre obtenue en 1916.
Une laconique note manuscrite accompagnait la breloque. La mention “Pépère a participé aux batailles suivantes” était accompagnée de seulement 9 lignes pour décrire 4 années terribles.
Pour l'année 1916, Pierre Lebouc indique sobrement :
À l'aide du "Journal des Marches et Opérations pendant la campagne contre l'Allemagne" de son unité, le 4ème bataillon de chasseurs à pied (4ème BCP), j'ai pu reconstituer les moments tragiques autour d'Amiens à l'été puis lors de l'hiver 1916.
Le 4ème BCP arrive à Abbeville, en baie de Somme, le lundi 24 avril 1916 après être, à la mi-avril, remonté en première ligne non loin de Verdun, dans les sinistres secteurs de la Mort-Homme et de la Cote 304.
Le bataillon reste au repos et en cantonnement dans diverses localités de la région jusqu'au dimanche 9 juillet 1916.
De nouvelles recrues et des blessés de retour de convalescence sont venus durant ces deux mois et demi compléter les effectifs de l'unité deux fois saignée à blanc à Verdun.
La bataille de la Somme a débuté le samedi 1er juillet 1916 par un échec complet de l'offensive conjointe anglo-française. Environ 70 000 tués et blessés dont 57 000 britanniques sont à déplorer ce seul jour.
Une semaine et demie plus tard, lorsque les chasseurs du 4ème BCP sont envoyés en première ligne, les généraux Haig, Foch et Joffre savent déjà que la bataille n'est plus gagnable.
Malgré tout, le commandant Pompey reçoit l'ordre de rejoindre le village de Hardecourt, entre Albert et Bapaume, et d'y “tenir coûte que coûte”. La relève a lieu dans la nuit du dimanche au lundi 10 juillet 1916.
Pendant 10 jours, les chasseurs consolident et aménagent leurs tranchées sous un déluge permanent d'artillerie.
Le chef d’unité enchaîne dans son journal les “journées relativement calmes”.
Quelques lignes plus loin, il relève scrupuleusement chaque jour, dans des tableaux qu'un comptable ne renierait pas, de 1 à 8 tués et plusieurs dizaines de blessés.
Le jeudi 20 juillet 1916 “ordre d’attaque H = 5 heures”.
L'objectif assigné au 4ème BCP est d’atteindre et d’occuper la tranchée allemande baptisée “Kolomea” sur une largeur de 800 mètres.
La distance entre les positions françaises et allemandes est de 200 à 300 mètres. Environ 3 000 soldats des deux camps vont se massacrer pour conquérir ou défendre l'équivalent de 25 terrains de football.
L'attaque se déroule “dans un brouillard très dense”. La tranchée “Kolomea” est atteinte en “45 minutes” mais “la moitié de la première vague est hors de combat”.
Les combats durent jusqu'à 10H20. 300 allemands sont faits prisonniers mais “339 tués et blessés” sont à déplorer au 4ème BCP sur un effectif initial de sensiblement 1 500, presque un soldat sur quatre. Notamment “la troisième compagnie a perdu tous ses officiers”.
L'analyse de cette offensive par le commandant Pompey est accablante.
La préparation d'artillerie est jugée “insuffisante” car beaucoup de “réseaux de fil de fer n’ont pas été détruits”. “Les pertes sérieuses du bataillon auraient pu être évitées si la préparation avait débuté plus tôt”.
Pire, les canonniers tricolores n'ont pas allongé leurs tirs au cours de l'attaque. Conséquence, “l’artillerie a tiré en arrière de la première vague tuant plusieurs chasseurs dont un officier”.
La relève a lieu de nuit entre 22 et 3 heures.
Jusqu'au jeudi 17 août 1916, le bataillon reste à l'arrière avec, toutefois, de soutiens partiels et épisodiques à la première ligne qui tuent une dizaine d'hommes.
Dans la nuit du 17 au 18, les chasseurs sont envoyés occuper une tranchée de première ligne quelques centaines de mètres au nord-ouest de la tranchée “Kolomea” conquise quelques jours plus tôt.
Le vendredi 18 août 1916, nouvelle attaque à 14H45 qui dure jusque vers 19H. L'objectif est de conquérir une tranchée adverse dite “du talus”.
Des allemands resté cachés dans des “abris non nettoyés” prennent à revers les chasseurs du 4ème BCP, leur infligent de “lourdes pertes” et mettent en échec l’offensive.
Le lendemain samedi 19 août 1916, “nouvelle attaque sur la tranchée du talus” à partir de 13H.
En 30 minutes, l'objectif est atteint et conquis.
Le commandant Pompey devient lyrique dans son journal “la journée est glorieuse pour le bataillon !”, “progression de 500 m”.
En supposant que ce rythme ait pu être maintenu, l'armée française aurait mis deux ans pour atteindre la frontière allemande.
Il ajoute deux magnifiques tableaux pour reporter les “prises” en “personnel” et en “matériel” ainsi que les “pertes”.
Il note aussi qu'une “centaine de prisonniers sont faits, tous passés par les armes en répression de la conduite des allemands qui ont fusillé des chasseurs pris la veille”.
Le commandant relève aussi que “les pertes sont lourdes”. 544 soldats hors de combat dont 120 tués. Environ un homme sur trois montés en ligne le 17 août n'est pas revenu à l’arrière sur ses pieds, quatre jours plus tard.
La relève a lieu la nuit du dimanche 20 août au lundi 21 août 1916.
Le bataillon alterne ensuite repos, appelés cantonnements en langage militaire, et exercices.
Le samedi 11 novembre 1916, les chasseurs sont réexpédiés vers le front, cette fois à Sailly-Saillisel à 8 kilomètres à peine des combats de l'été.
L'offensive sur ce petit village et le bois de saint Pierre Vaast a débuté avec d'autres unités 6 jours auparavant. C'est un échec sanglant. Les maigres gains territoriaux du premier jour sont repris par les allemands dans les heures suivantes.
Après une succession d'ordres, de contrordres et de marches nocturnes en zigzag, le 4ème BCP atteint la première ligne, “au petit jour”, le jeudi 16 novembre 1916. Les chasseurs à pied relèvent “des éléments du 9ème zouave dont la situation est assez imprécise”.
Les tranchées sont chaotiques suite aux récents combats.
Le commandant Pompey se plaint notamment des liaisons téléphoniques “continuellement coupées” car “jalonnant” “les barrages d’artillerie”.
Il presse ses téléphonistes, dont mon grand-père faisait partie, de rétablir les communications. Ces actions de réparation sous le feu allemand “qui nécessitent une quantité considérable de matériel” valurent probablement à Pierre Lebouc sa croix de guerre.
Le bataillon va “tenir la première ligne” sans action offensive notoire jusqu'au mercredi 22 novembre 1916. Le déluge de feu est permanent. Le froid est intense et provoque des gelures. Les chasseurs réalisent surtout des travaux nocturnes de terrassement.
La relève s'étale sur deux jours. Le bataillon termine cette dernière offensive de la bataille de la Somme exsangue. 505 chasseurs sont hors de combat dont 64 tués ou disparus et 202 évacués pour pieds gelés.
Officiellement, dans les livres d’histoire, la bataille de la Somme s'est pourtant terminée le samedi 18 novembre 1916.
Au total, les combats entre Albert, Bapaume et Péronne ont fait en un semestre 1 millions de victimes dans tous les camps, dont 400 000 morts, pour des gains territoriaux de 8 à 12 km sur front de 50 km. Sensiblement un tribut d'un tué et un blessé par terrain de football reconquis.
Mémoriellement votre
Une laconique note manuscrite accompagnait la breloque. La mention “Pépère a participé aux batailles suivantes” était accompagnée de seulement 9 lignes pour décrire 4 années terribles.
Pour l'année 1916, Pierre Lebouc indique sobrement :
- Verdun - 24 février - terribles combats [évoqué dans un précédent billet].
- Somme - 2 fois (Sailly Saillisel) (croix de guerre)
La bataille de la Somme racontée par Pierre Lebouc : 8 mots ! |
Le 4ème BCP arrive à Abbeville, en baie de Somme, le lundi 24 avril 1916 après être, à la mi-avril, remonté en première ligne non loin de Verdun, dans les sinistres secteurs de la Mort-Homme et de la Cote 304.
Le bataillon reste au repos et en cantonnement dans diverses localités de la région jusqu'au dimanche 9 juillet 1916.
De nouvelles recrues et des blessés de retour de convalescence sont venus durant ces deux mois et demi compléter les effectifs de l'unité deux fois saignée à blanc à Verdun.
La bataille de la Somme a débuté le samedi 1er juillet 1916 par un échec complet de l'offensive conjointe anglo-française. Environ 70 000 tués et blessés dont 57 000 britanniques sont à déplorer ce seul jour.
Une semaine et demie plus tard, lorsque les chasseurs du 4ème BCP sont envoyés en première ligne, les généraux Haig, Foch et Joffre savent déjà que la bataille n'est plus gagnable.
Malgré tout, le commandant Pompey reçoit l'ordre de rejoindre le village de Hardecourt, entre Albert et Bapaume, et d'y “tenir coûte que coûte”. La relève a lieu dans la nuit du dimanche au lundi 10 juillet 1916.
Pendant 10 jours, les chasseurs consolident et aménagent leurs tranchées sous un déluge permanent d'artillerie.
Le chef d’unité enchaîne dans son journal les “journées relativement calmes”.
Quelques lignes plus loin, il relève scrupuleusement chaque jour, dans des tableaux qu'un comptable ne renierait pas, de 1 à 8 tués et plusieurs dizaines de blessés.
Le jeudi 20 juillet 1916 “ordre d’attaque H = 5 heures”.
L'objectif assigné au 4ème BCP est d’atteindre et d’occuper la tranchée allemande baptisée “Kolomea” sur une largeur de 800 mètres.
La distance entre les positions françaises et allemandes est de 200 à 300 mètres. Environ 3 000 soldats des deux camps vont se massacrer pour conquérir ou défendre l'équivalent de 25 terrains de football.
L'attaque se déroule “dans un brouillard très dense”. La tranchée “Kolomea” est atteinte en “45 minutes” mais “la moitié de la première vague est hors de combat”.
Les combats durent jusqu'à 10H20. 300 allemands sont faits prisonniers mais “339 tués et blessés” sont à déplorer au 4ème BCP sur un effectif initial de sensiblement 1 500, presque un soldat sur quatre. Notamment “la troisième compagnie a perdu tous ses officiers”.
Plan du secteur d'Hardecourt avec la tranchée Kolomea (extrait du journal du 4ème BCP). |
La préparation d'artillerie est jugée “insuffisante” car beaucoup de “réseaux de fil de fer n’ont pas été détruits”. “Les pertes sérieuses du bataillon auraient pu être évitées si la préparation avait débuté plus tôt”.
Pire, les canonniers tricolores n'ont pas allongé leurs tirs au cours de l'attaque. Conséquence, “l’artillerie a tiré en arrière de la première vague tuant plusieurs chasseurs dont un officier”.
La relève a lieu de nuit entre 22 et 3 heures.
Jusqu'au jeudi 17 août 1916, le bataillon reste à l'arrière avec, toutefois, de soutiens partiels et épisodiques à la première ligne qui tuent une dizaine d'hommes.
Dans la nuit du 17 au 18, les chasseurs sont envoyés occuper une tranchée de première ligne quelques centaines de mètres au nord-ouest de la tranchée “Kolomea” conquise quelques jours plus tôt.
Le vendredi 18 août 1916, nouvelle attaque à 14H45 qui dure jusque vers 19H. L'objectif est de conquérir une tranchée adverse dite “du talus”.
Des allemands resté cachés dans des “abris non nettoyés” prennent à revers les chasseurs du 4ème BCP, leur infligent de “lourdes pertes” et mettent en échec l’offensive.
Le lendemain samedi 19 août 1916, “nouvelle attaque sur la tranchée du talus” à partir de 13H.
En 30 minutes, l'objectif est atteint et conquis.
Le commandant Pompey devient lyrique dans son journal “la journée est glorieuse pour le bataillon !”, “progression de 500 m”.
En supposant que ce rythme ait pu être maintenu, l'armée française aurait mis deux ans pour atteindre la frontière allemande.
Il ajoute deux magnifiques tableaux pour reporter les “prises” en “personnel” et en “matériel” ainsi que les “pertes”.
Il note aussi qu'une “centaine de prisonniers sont faits, tous passés par les armes en répression de la conduite des allemands qui ont fusillé des chasseurs pris la veille”.
Le commandant relève aussi que “les pertes sont lourdes”. 544 soldats hors de combat dont 120 tués. Environ un homme sur trois montés en ligne le 17 août n'est pas revenu à l’arrière sur ses pieds, quatre jours plus tard.
La relève a lieu la nuit du dimanche 20 août au lundi 21 août 1916.
Extrait du journal du 4ème BCP décrivant l'exécution sur le champ de bataille de prisonniers allemands |
Le samedi 11 novembre 1916, les chasseurs sont réexpédiés vers le front, cette fois à Sailly-Saillisel à 8 kilomètres à peine des combats de l'été.
L'offensive sur ce petit village et le bois de saint Pierre Vaast a débuté avec d'autres unités 6 jours auparavant. C'est un échec sanglant. Les maigres gains territoriaux du premier jour sont repris par les allemands dans les heures suivantes.
Après une succession d'ordres, de contrordres et de marches nocturnes en zigzag, le 4ème BCP atteint la première ligne, “au petit jour”, le jeudi 16 novembre 1916. Les chasseurs à pied relèvent “des éléments du 9ème zouave dont la situation est assez imprécise”.
Les tranchées sont chaotiques suite aux récents combats.
Le commandant Pompey se plaint notamment des liaisons téléphoniques “continuellement coupées” car “jalonnant” “les barrages d’artillerie”.
Il presse ses téléphonistes, dont mon grand-père faisait partie, de rétablir les communications. Ces actions de réparation sous le feu allemand “qui nécessitent une quantité considérable de matériel” valurent probablement à Pierre Lebouc sa croix de guerre.
Extrait du journal du 4ème BCP sur les mauvaises liaisons téléphoniques |
La relève s'étale sur deux jours. Le bataillon termine cette dernière offensive de la bataille de la Somme exsangue. 505 chasseurs sont hors de combat dont 64 tués ou disparus et 202 évacués pour pieds gelés.
Officiellement, dans les livres d’histoire, la bataille de la Somme s'est pourtant terminée le samedi 18 novembre 1916.
Au total, les combats entre Albert, Bapaume et Péronne ont fait en un semestre 1 millions de victimes dans tous les camps, dont 400 000 morts, pour des gains territoriaux de 8 à 12 km sur front de 50 km. Sensiblement un tribut d'un tué et un blessé par terrain de football reconquis.
Mémoriellement votre
Références et compléments
- Voir aussi les chroniques
. "Février & mars 1918 - Verdun où pépère a été gazé"
. "Verdun - 24 février 1916 - terribles combats"
. "En 1918, en pleine guerre des tranchées, un député de gauche voulait détaxer le luxe",
. "Descendants de sans-papiers, morts pour la France entre 1914 et 1918"
. "L'insoutenable ambiguïté des monuments aux morts".
- Les mots entre guillemets et en italique sont strictement authentiques.
- Deux sites ont permis de rédiger cette chronique :
. Mémoire des Hommes qui, entre autres archives militaires, a mis en ligne les Journaux des Marches et Opérations de la première guerre mondiale
. Wikipedia
- L'iconographie est constituée :
. de deux extraits du mot rédigé à mon attention par Pierre Lebouc le 11 novembre 1968
. d'extraits du Journal des Marches et Opérations du 4ème Bataillon de Chasseurs à pied
. "Février & mars 1918 - Verdun où pépère a été gazé"
. "Verdun - 24 février 1916 - terribles combats"
. "En 1918, en pleine guerre des tranchées, un député de gauche voulait détaxer le luxe",
. "Descendants de sans-papiers, morts pour la France entre 1914 et 1918"
. "L'insoutenable ambiguïté des monuments aux morts".
- Les mots entre guillemets et en italique sont strictement authentiques.
- Deux sites ont permis de rédiger cette chronique :
. Mémoire des Hommes qui, entre autres archives militaires, a mis en ligne les Journaux des Marches et Opérations de la première guerre mondiale
. Wikipedia
- L'iconographie est constituée :
. de deux extraits du mot rédigé à mon attention par Pierre Lebouc le 11 novembre 1968
. d'extraits du Journal des Marches et Opérations du 4ème Bataillon de Chasseurs à pied