dimanche 23 novembre 2014

Février & mars 1918 - Verdun où pépère a été gazé

Comme déjà relaté dans une autre chronique, le 11 novembre 1968, pour le 50ème anniversaire de l'arrêt de la première guerre mondiale, mon grand-père, Pierre Lebouc, m'a fait cadeau de sa croix de guerre obtenue sur le front de la Somme à l'été 1916.

Une laconique note manuscrite accompagnait la décoration. Une quinzaine de lignes, sur une page de carnet, énumérait, année par année, les batailles auxquelles il avait participé.
L'année 1918 est relatée en seulement 15 mots non chronologiques :
Aisne et la Belgique
11 novembre fin du cauchemar
Verdun où pépère a été gazé
Le récit de l'année 1918 par Pierre Lebouc : 15 mots !
Voulant en savoir un peu plus, j'ai compulsé le "Journal des Marches et Opérations pendant la campagne contre l'Allemagne" de son unité, le 4ème bataillon de chasseurs à pied (4ème BCP).
Il s'agit de la compilation des rapports que faisaient les chefs de détachement sur l'activité des troupes sous leur commandement.
J'ai pu ainsi reconstituer, un peu, l'hiver 1918 où, 2 ans après l’emblématique offensive allemande, les combats autour de Verdun se poursuivaient.

Le vendredi 8 février 1918, le 4ème BCP reçoit l'ordre de rejoindre, de nuit, la ligne de front du bois de Neuville, situé à 10 km au nord du centre-ville de Verdun.
Sinistre ironie géographique, les chasseurs à pied se trouvent positionnés à moins de 4 km de leur position du 24 février 1916. Deux ans de combats acharnés pour un statu quo !

Le commandant Pompey, chef du 4ème BCP, se plaint dans son journal de l'état des défenses et indique avec beaucoup de détails les travaux qu'il fait entreprendre à ses hommes.
- “Les tranchées se composent presque exclusivement de trous d’obus”.
- “La situation est en tous points identique à une situation de fin de combats”.
- “Les travaux sont rendus très difficiles en raison de l’eau qui remplit les trous d’obus”.
- “État bouleversé et détrempé du terrain”.
Des “tirs de réglage et de harcèlement de l’artillerie allemande” empêchent le bon déroulement de ces opérations de terrassement.
Croquis des positions du 4ème BCP au Bois de Neuville en février 1918 figurant dans le Journal des Marches et Opérations de cette unité.
Jusqu'au lundi 11 février 1918, les travaux se poursuivent sans attaque de l'infanterie adverse mais sous le feu de “l'artillerie allemande qui a été beaucoup plus active en cours de journée. Nombreux tirs de harcèlement”.

Le journal du 4ème BCP devient alors nettement moins disert. Une sorte de routine macabre faite de travaux dans le froid et l'humidité, sous les obus, s'installe.
Le mardi 12 février 1918, “bombardements assez violents, artillerie et aviation actives, les travaux de terrassement, de sape et de fils de fer sont poursuivis”.

Le mercredi 13 février et le jeudi 14 février 1918, le “brouillard persistant” empêche l’artillerie allemande d'agir.

Le matin du vendredi 15 février 1918 voit la reprise des combats de fantassins.
“A 5H40 les allemands déclenchent subitement, un tir d’artillerie très violent”. “Vers 5H50 les allemands se jettent sur le saillant Godart”.
L'assaut est repoussé.
“Deux patrouilles partent spontanément mais malheureusement ne trouvent ni morts ni blessés”.
“Pertes : 2 chasseurs tués, 7 blessés dont un grave”.

Cette offensive allemande ratée est suivie d’une longue “accalmie” de dix jours avec très peu d'entrées dans le journal du 4ème BCP.
Toutefois les bombardements sont incessants et deviennent chimiques.
Ainsi le lundi 18 février 1918, “l'artillerie allemande est très active, surtout à partir de 17H, bombardant tous les emplacements de travaux avec des obus à ypérite”.
Durant cette période, aucune perte n'est mentionnée.

Le mercredi 27 février 1918, les combats regagnent en intensité. Le bataillon va être soumis pendant 5 jours à des tirs chimiques intenses.
“Violents bombardements par obus toxiques  de 18 à 19H, tirs de destruction de notre première ligne”.
“Pertes : 2 blessés par obus, 170 intoxiqués dont 12 officiers. Ravin de Neuville évacué. Seul le Commandant Pompey et les téléph[onistes] restent au PC”.

Jeudi 28 février 1918 : “activité faible de l’artillerie ennemie en raison du mauvais temps. Pertes : 19 intoxiqués - 1 blessé”.

Vendredi 1er mars 1918 : “pertes 13 intoxiqués 1 blessé”.

Samedi 2 mars 1918 : “pertes : 1 tué - 2 blessés - 25 intoxiqués”.

Dimanche 3 mars 1918, pendant qu'au même moment l'Allemagne et l'URSS concluent la paix de Brest-Litovsk : “19 intoxiqués - 1 pieds gelés”.

Lundi 4 mars 1918, “bataillon relevé dans la nuit”. Enfin !
Pendant la période de cantonnement du 5 au 10 mars “de nombreuses intoxications retardée se déclarent” dont celle du Commandant Pompey “évacué le 9 mars”.

J'ignore à quelle date exacte mon grand-père, qui était téléphoniste, a été gazé.
Comme plusieurs centaines de ses camarades à la même période, ses voies respiratoires ont subi des dommages irréversibles au cours d'un combat auquel même les officiers ne croyaient plus guère.

Mémoriellement votre

Références et compléments
- Voir aussi les chroniques
. "Verdun - 24 février 1916 - terribles combats"
. "En 1918, en pleine guerre des tranchées, un député de gauche voulait détaxer le luxe",
. "Descendants de sans-papiers, morts pour la France entre 1914 et 1918"
. "L'insoutenable ambiguïté des monuments aux morts".

- Les mots entre guillemets et en italique sont strictement authentiques.

- Deux sites ont permis de rédiger cette chronique :
. Mémoire des Hommes qui, entre autres archives militaires, a mis en ligne les Journaux des Marches et Opérations de la première guerre mondiale
. Wikipedia

- L'iconographie est constituée :
. de deux extraits du mot rédigé à mon attention par Pierre Lebouc le 11 novembre 1968
. d'un extrait du Journal des Marches et Opérations du 4ème Bataillon de Chasseurs à pied