vendredi 5 août 2011

Bestiaire routier tunisien

Les rues et routes de Kelibia sont un véritable parc d'attractions zoologique.

Le seigneur de ces voies est incontestablement le semi-remorque. Doté de la grâce et de la délicatesse de l'éléphant dans un magasin de poteries de Nabeul, il possède une attirance viscérale pour les petites rues.
Son chauffeur, cornac ombrageux, ne peut résister au plaisir tyrannique de frôler voire d'érafler les voitures stationnées aux endroits licites afin d'épargner celles arrêtées en double file.

A l'instar de son homologue de la savane, le pachyderme de Kelibia est toujours suivi par quelques antilopes, les camions "OM".
Ces véhicules à tout faire, originaires non pas de Marseille mais de Brescia, ont la beauté du crabe. Leurs concepteurs lombards ont réussi l'exploit de créer un engin roulant à géométrie variable. Leurs deux essieux ne sont jamais parallèles même si d'un camion à l'autre leur orientation angulaire varie beaucoup.

Pour compléter le rayon ruminants, différentes races de bovins grégaires arpentent les chaussées.
Les piétons sont, en effet, totalement allergiques aux trottoirs et cohabitent donc sur les mêmes voies que les multiples machines roulantes.
Le kélibien pédestre se déplace lentement et en groupe. Il choisit généralement la trajectoire d’une voiture pour s’arrêter et vaquer à différentes occupations : saluer quelques connaissances, causer dans son portable, allumer une cigarette, rajuster sa schlika, déguster un "casse-croûte" …
Si les "sit-ins" sont une conséquence de la récente Révolution, il est clair que les citoyens tunisiens s'y préparent depuis longtemps.

La revue des mammifères étant terminée, place aux bestioles !

L'automobiliste est comme un poisson rouge doté du chromosome de l'agressivité.
Une fois installé dans son bocal à roulettes, sa mémoire devient microscopique : il ne se rappelle d'aucune règle du Code de la Route et ses changements de direction ne lui reviennent qu'au dernier moment. Certains ne savent même pas très bien de quel côté de la rue circuler.
Comme l'hôte des aquariums, le conducteur kélibien est génétiquement incapable de reculer. Si un de ses congénères se met en travers de sa route - par exemple, en ayant l’idée saugrenue de rouler à droite - plutôt que de manœuvrer, il préfère quitter son volant et déverser sur son vis-à-vis une diatribe que ne désavouerait pas le Capitaine Haddock.

Les cyclomotoristes ressemblent à des bourdons dotés d'une caisse en plastique jaune. Leurs déplacements sont aussi bruyants et imprévisibles que ceux de l’insecte volant, la capacité suicidaire à se jeter sur tous les obstacles à portée en plus.
Rajoutez quelques mouches cyclistes, variété tsé-tsé qui se serait piquée elle-même, et vous aurez un tableau assez complet de la circulation à Kelibia.

Concluons avec les deux espèces en voie de disparition :
La police, naguère omniprésente, est désormais aux abonnés quasi-absents.
Je propose, dans chaque ville de Tunisie, de sanctuariser au moins un carrefour où les rares poulets qui osent encore apparaître en uniforme pourraient tranquillement jouir de leur sifflet à roulette. Ils auraient même le droit d’arrêter quelques automobilistes qui, en signe de solidarité, pourraient leur donner des billets de Monopoly.
Les ânes, autrefois rois de la rue, sont  désormais supplantés par les pickups Isuzu et surtout par leurs conducteurs …

Zoologiquement vôtre …

Références er compléments
- Schlika est l'équivalent tunisien de la savate française.
- Sit-in est un anglicisme apparu avec la récente Révolution désignant les actions de blocage de routes, d'entreprises ou de bâtiments gouvernementaux menées par des protestataires pour faire aboutir leurs revendications.