samedi 11 juin 2016

Liberté Inégalité Hérédité

En France, personnalités et politiciens dénoncent avec constance l’accentuation par le système scolaire des inégalités sociales.
Hélas, les démonstrations des uns et des autres sont souvent mal étayées.

Aussi, fidèle aux habitudes de ce blog, j’ai tenté d’en savoir plus. 
Jugez sur pièces.

Quelle égalité des chances ?


Avec une parfaite égalité des chances, chaque jeune pourrait accéder aux meilleures formations exclusivement en fonction de ses capacités propres et indépendamment de son origine sociale.

Avec un tel idéal, les effectifs de toutes les filières de l’enseignement supérieur refléteraient la diversité nationale.
Dans n’importe quel mastère, quel que soit sa spécialité, 1 étudiant sur 3 devrait être un enfant d’ouvriers et 1 sur 5 issu d’une famille de cadres.

Répartition des français âgés de 18 à 23 ans en fonction de la profession de leurs parents

Des écoles héréditaires d’ingénieurs


Dans notre bel hexagone imprégné de méritocratie républicaine, la logique voudrait que les formations parait-il les plus prestigieuses - immodestement baptisées « grandes écoles » - soient celles où l’ascenseur social fonctionne le mieux.

Il n’en est rien !
Les enfants de cadres sont 3 fois plus nombreux dans les écoles d’ingénieurs que dans l’ensemble de la population. Les rejetons d’ouvriers sont, dans le même temps, quasiment 5 fois moins représentés.

Tous comptes faits, les probabilités pour un jeune de devenir ingénieur sont à peu près 13 fois plus fortes lorsque ses parents le sont que s’il vient des catégories dites « populaires ».
Les écoles de management et les formations de médecine affichent des scores comparables.

Probabilité d'entrée en école d'ingénieurs des jeunes français en fonction de la profession de leurs parents comparée à celle d'un enfant d'ouvriers

Quel remède ?


Étant un mauvais connaisseur du système scolaire, je me garderais bien d'énoncer des recettes magiques.

Toutefois, il est vraisemblable qu'augmenter et, surtout, différentier les moyens de l'enseignement maternel et primaire - suggestions proposées notamment par les dissemblables Luc Ferry et Jacques Attali - serait un investissement pour notre avenir.

La société française se sclérose de plus en plus. Les écarts socio-culturels rapportés ici en sont autant une cause qu'un symptôme.

Quand allons-nous comprendre que le maintien crispé du statu quo sur lequel, paradoxalement, « France d’en haut » et « France d’en bas » s’accordent, est notre pire ennemi collectif ?

Égalitairement votre


Post-scriptum : des statistiques fragiles

Les chiffres de cette chronique sont issus des données officielles du ministère français de l’éducation nationale pour l’année scolaire 2014-2015.

Les valeurs relevées ainsi que leurs conséquences sont toutefois sujettes à caution :
  • Suivant les formations, 10% à 40% des étudiants ne révèlent pas leurs origines sociales.
  • Les statisticiens pistent la profession du « chef de famille ».
    Avec l’évolution des moeurs, cette notion paternaliste est en état de décomposition avancée.
    Dans quelle catégorie, par exemple, se déclare un étudiant fils d’un infirmier (profession dite intermédiaire) et d’une manageuse (cadre) ?
  • Le regroupement des artisans, des commerçants et des chefs d’entreprise - auxquels sont aussi adjoints les agriculteurs - est un fourre-tout disparate.
    Il en est de même pour les professions dites intermédiaires, qui vont du clergé aux contremaitres, ainsi que pour les retraités et inactifs.
    Les déterminants économiques, sociaux et culturels ne sont pas homogènes au sein de toutes ces catégories.

Néanmoins, l’écart d’accès aux études supérieures des enfants d’ouvriers par rapport aux autres catégories sociales est trop criant pour ne pas être significatif, même si prudence et analyses complémentaires restent de mise.