vendredi 15 août 2014

Vivre de sa plume sans droits d'auteur

Suite à la parution de la chronique "Télécharger gratuitement un film n'est pas un vol", plusieurs fidèles lecteurs ont exprimé leur crainte que la disparition des droits d'auteur entraîne la fin de la création artistique.

Cet air est aussi très souvent entonné par les lobbies de la musique, du film et du livre ainsi que par leurs porte-paroles rémunérés par nos impôts, j'ai nommé les ministres successifs de la culture, de droite comme de gauche.

Afin de montrer que ce risque est minime, j'ai imaginé plusieurs pistes, non limitatives, qui permettraient à un écrivain de gagner sa vie, sans recourir à des subsides publics, en dehors des traditionnels livres papier, maisons d'édition et droits d'auteur.
Elles sont toutes articulées autour de trois principes simples, aussi vieux que le commerce, l'industrie et même l'art :
- baisser les prix de ventes,
- créer des exclusivités,
- découpler financement et activité principale.

Avant de les examiner, rappelons quelques ordres de grandeur.
Dans le système actuel, un auteur touche moins d'un dixième du prix de vente final de son livre papier.
Ainsi pour disposer d'un gros SMIC mensuel, il faut être capable de diffuser, annuellement, plus de 16 000 bouquins vendus 20 € et rémunérés 1.5 €.

Piste n°0 : exercer une autre activité
À l’instar de glorieux aînés tels Alphonse de Lamartine, Marcel Proust ou Bernard-Henri Levy, le mieux pour écrire tranquillement est de ne pas dépendre de ses œuvres pour mettre du beurre dans ses épinards.
Si les trois auteurs cités étaient tous des privilégiés vivant de leurs rentes familiales, aujourd'hui un travail à 35 heures hebdomadaires laisse à chacun un temps copieux pour écrire.
Le monde scientifique fonctionne d'ailleurs sur ce principe. Les chercheurs publient gratuitement leurs travaux qui peuvent être repris sans limitation. Ils sont payés pour effectuer des tâches annexes à leur activité de recherche : encadrement de thésards, enseignement, administration ...

Piste n°1 : auto-éditer des livres électroniques
Se passer des fonctions d'édition, d'impression, de diffusion et de stockage permet de substantielles baisses de coût qui peuvent bénéficier tant aux lecteurs qu'à l'auteur.
Un bouquin électronique directement publié par son créateur et vendu 4 € rapporte 2.8 € à son concepteur, presque le double des droits classiques.

Piste n°2 : insérer des pages de publicité
Il n'y a aucune raisons que journaux et pages web soient les seuls écrits comportant des encarts publicitaires. Les livres peuvent aussi y recourir.
Des réclames pourraient orner les transitions entre deux chapitres ou, mieux encore, des placements de produits survenir au fil du texte. Cette dernière pratique est toutefois plus naturelle au cœur d'un roman policier voire érotique que dans un essai philosophique.

Piste n°3 : dégoter un sponsor
Ce joli terme, venu directement du latin de messe via la langue de Procter et Gamble, signifie parrain.
Une entreprise ou une riche personne peuvent prendre sous leur aile un écrivain, avec ou sans retour publicitaire direct, comme cela se pratique déjà avec d'autres types de création ou encore dans le sport.
Le financement participatif - plaisamment baptisé crowd funding dans l'idiome de Shakespeare - est une version démocratique et populaire de ce procédé ancestral.

Piste n°4 : remettre le feuilleton à l'honneur
Comme en usait Alexandre Dumas, qui quotidiennement livrait plusieurs feuillets à différents journaux, la diffusion d'un nouvel opus peut s'effectuer au compte-gouttes, chapitre par chapitre.
Charge à l'écrivain, tel un scénariste de série TV américaine, d'appâter ses lecteurs afin qu’ils paient pour bénéficier de chaque épisode à l'instant même de sa publication.

Piste n°5 : interpréter son livre en concert
La diffusion de textes à des prix bradés voire nuls peut conférer à leur auteur une notoriété monnayable.
Une fois la reconnaissance du public acquise, un écrivain peut transformer son oeuvre et sa personne en événements uniques plus faciles à vendre que des copies numériques.
Par exemple, lire son oeuvre impérissable sur un scène de théâtre, donner des conférences payantes ou encore partager son repas avec des admirateurs tarifés.

Piste n°6 : transformer les bouquins en peintures
L'e-book s'apprête à tuer son ancêtre papier mais pas la bibliophilie.
À coté de versions digitales reproductibles à l'envie et à faible valeur marchande, peuvent parfaitement exister des tirages spéciaux et luxueux dont le prix découle de la rareté.

Piste n°7 : personnaliser son oeuvre
Le livre reproduit en de multiples exemplaires tous identiques provient des contraintes techniques et économiques de l'imprimerie.
Les technologies numériques permettent de s'affranchir de ces limitations.
Un auteur peut aisément produire, soit personnellement, soit par l'entremise de programmation, un écrit différent pour chaque lecteur désireux d'acquérir un livre lui étant propre.

J'arrête ici cette énumération loin d’être exhaustive et dont la seule limite est l'imagination des créateurs et des diffuseurs.
Le cinéma, dès son invention à la fin du XIXème siècle, a été autre chose que de simples photos ou peintures animées.
De la même manière, le numérique crée un champ des possibles dans le domaine de l'écrit d'autant plus vaste qu'il s'éloignera des références au livre papier.
Les textes et les écrivains vont continuer à proliférer !

Numérico-scripturalement votre

Références et compléments
- Voir aussi les chroniques
. L'irrésistible attrait du livre électronique
. Un monde sans droits d'auteur, ni brevets, ni marques est possible
. Télécharger gratuitement un film n’est un pas un vol

- Mes remerciements à Jean et à la twittonaute @framboazz qui m'ont soufflé le thème de cette chronique.