Si, alors que vous m'avez fort aimablement invité à dîner, je leste mes poches de quelques pièces de votre argenterie familiale, je commets un vol.
Pareillement, si je m'immisce sans billet dans une rame de train et réussit à esquiver le contrôleur, j'accomplis, là encore, un larcin.
À l'inverse, si je m'introduis, à l'insu de votre plein gré, dans votre ordinateur et recopie un livre électronique qui s'y trouve, j'abuse de votre confiance mais je ne perpétue, au sens strict, aucun vol. En effet, je ne vous ai rien soustrait.
Biens ou services matériels, d'une part, et, information d'autre part, sont de nature très différente.
La cuiller héritée de votre grand-mère ne peut être à deux endroits simultanément.
Si je m'en sers, vous ne pouvez l'utiliser et vice-versa.
En vous la subtilisant, je vous empêche d'en profiter. La définition du mot vol - action de s'emparer frauduleusement de ce qui appartient matériellement à autrui - est dans ce cas parfaitement applicable.
De même, si je suis assis à place 12 de la voiture 3 du TGV 456, personne d'autre ne peut utiliser ce siège tant que je l'occupe.
Même s'il s’agit d’un service, et non pas d'un bien, l'aspect matériel rend la prestation unique et non partageable, donc volable.
Par contre, l'information - au sens large et moderne du terme - peut, depuis la nuit des temps, être copiée ou modifiée, sans pour autant disparaître de sa source.
Par exemple, quand à l’école, un instituteur fait apprendre à sa classe une récitation, il transfère de l'information depuis un livre vers, tout d'abord, le tableau noir, puis vers les cahiers de ses élèves et, enfin, dans leur mémoire.
À la fin de l'exercice, le poème est entré, tant bien que mal, dans une vingtaine de têtes blondes mais il ne s'est pas effacé du recueil de poésie utilisé par le pédagogue.
Autre illustration. Si en arrivant au travail, vous faîtes part à vos collègues d'une nouvelle entendue à la radio, vous transmettez, sans autorisation du journaliste, de l'information.
Toutefois, contrairement à la cuiller de mémère ou à la place de train, le texte initial est toujours utilisable par son auteur.
Dans ces deux derniers cas, il n'y a pas eu vol mais diffusion d'information.
Si de telles pratiques avaient été répréhensibles, jamais les trois religions dites du Livre n'auraient connu le succès planétaire.
Recopier le contenu d'un ouvrage de poésie n'appauvrit pas son possesseur, lui cravater son exemplaire papier si.
Vol et matérialité sont les deux faces de la même médaille.
Depuis toujours, il a été possible d'obtenir gratuitement et légalement de l’information mais, jusqu'à récemment, au prix d'un effort certain (mémorisation, recopie à la main, photocopies …) et, le plus souvent, d'une altération du contenu.
De ce fait, l’information dite de qualité était traditionnellement un support matériel (livre, disque, film ...), produit par des professionnels, auquel il était aisé d’associer une valeur économique indéniable.
De surcroît, des systèmes de droits d’auteur, mis en place de longue date, garantissaient aux créateurs d'information (écrivains, musiciens, cinéastes …) ainsi qu'aux diffuseurs une fraction de cette valeur.
L'informatique et les télécommunications ont mis à bas ce bel édifice séculaire.
La recopie d'information à l'exact identique est désormais à la portée de chacun pour un coût marginal nul ou presque.
Lorsque nous téléchargeons ou partageons gratuitement un film ou une chanson, nous poursuivons ce que le système éducatif nous a fait faire pendant toute notre scolarité.
Apprendre par cœur la table de Mendeleïev, recopier le Bateau Ivre d'Arthur Rimbaud ou récupérer en mp3 l’indépassable dernier opus de Johnny Hallyday sont des actes similaires.
Les évolutions technologiques ont supprimé la difficulté et le coût des opérations de reproduction d'information, pas leur nature.
Auteurs et éditeurs font face, au XXIème siècle, au même problème existentiel que les fabricants de fiacres ou les maréchaux-ferrants lors de l'avènement de l'automobile au tournant du XXème siècle.
Vers 1810, en Angleterre, la révolte des luddites a amené des artisans tisserands à saboter des métiers mécaniques qui menaçaient leur activité ancestrale. Cette violence désespérée n'a évidemment eu aucune conséquence de long terme.
Les industriels de la musique, du livre et du film se comportent aujourd’hui comme les luddites de naguère.
Comme la destruction des data centers et des smartphones est à peu près impossible, ils essaient de nous culpabiliser moralement en nous expliquant que télécharger gratuitement c'est voler.
Dans le même temps, ils tentent d'extorquer à l'état français, pourtant impécunieux, des subsides publics afin de prolonger leur irrémédiable agonie.
Toutefois, malgré ces combats d'arrière-garde, leur destin est d'ores et déjà scellé.
Téléchargiquement votre
Références et compléments
- Voir aussi sur des sujets voisins les chroniques :
Pareillement, si je m'immisce sans billet dans une rame de train et réussit à esquiver le contrôleur, j'accomplis, là encore, un larcin.
À l'inverse, si je m'introduis, à l'insu de votre plein gré, dans votre ordinateur et recopie un livre électronique qui s'y trouve, j'abuse de votre confiance mais je ne perpétue, au sens strict, aucun vol. En effet, je ne vous ai rien soustrait.
Biens ou services matériels, d'une part, et, information d'autre part, sont de nature très différente.
La cuiller héritée de votre grand-mère ne peut être à deux endroits simultanément.
Si je m'en sers, vous ne pouvez l'utiliser et vice-versa.
En vous la subtilisant, je vous empêche d'en profiter. La définition du mot vol - action de s'emparer frauduleusement de ce qui appartient matériellement à autrui - est dans ce cas parfaitement applicable.
De même, si je suis assis à place 12 de la voiture 3 du TGV 456, personne d'autre ne peut utiliser ce siège tant que je l'occupe.
Même s'il s’agit d’un service, et non pas d'un bien, l'aspect matériel rend la prestation unique et non partageable, donc volable.
Par contre, l'information - au sens large et moderne du terme - peut, depuis la nuit des temps, être copiée ou modifiée, sans pour autant disparaître de sa source.
Par exemple, quand à l’école, un instituteur fait apprendre à sa classe une récitation, il transfère de l'information depuis un livre vers, tout d'abord, le tableau noir, puis vers les cahiers de ses élèves et, enfin, dans leur mémoire.
À la fin de l'exercice, le poème est entré, tant bien que mal, dans une vingtaine de têtes blondes mais il ne s'est pas effacé du recueil de poésie utilisé par le pédagogue.
Autre illustration. Si en arrivant au travail, vous faîtes part à vos collègues d'une nouvelle entendue à la radio, vous transmettez, sans autorisation du journaliste, de l'information.
Toutefois, contrairement à la cuiller de mémère ou à la place de train, le texte initial est toujours utilisable par son auteur.
Dans ces deux derniers cas, il n'y a pas eu vol mais diffusion d'information.
Si de telles pratiques avaient été répréhensibles, jamais les trois religions dites du Livre n'auraient connu le succès planétaire.
Recopier le contenu d'un ouvrage de poésie n'appauvrit pas son possesseur, lui cravater son exemplaire papier si.
Vol et matérialité sont les deux faces de la même médaille.
Depuis toujours, il a été possible d'obtenir gratuitement et légalement de l’information mais, jusqu'à récemment, au prix d'un effort certain (mémorisation, recopie à la main, photocopies …) et, le plus souvent, d'une altération du contenu.
De ce fait, l’information dite de qualité était traditionnellement un support matériel (livre, disque, film ...), produit par des professionnels, auquel il était aisé d’associer une valeur économique indéniable.
De surcroît, des systèmes de droits d’auteur, mis en place de longue date, garantissaient aux créateurs d'information (écrivains, musiciens, cinéastes …) ainsi qu'aux diffuseurs une fraction de cette valeur.
L'informatique et les télécommunications ont mis à bas ce bel édifice séculaire.
La recopie d'information à l'exact identique est désormais à la portée de chacun pour un coût marginal nul ou presque.
Lorsque nous téléchargeons ou partageons gratuitement un film ou une chanson, nous poursuivons ce que le système éducatif nous a fait faire pendant toute notre scolarité.
Apprendre par cœur la table de Mendeleïev, recopier le Bateau Ivre d'Arthur Rimbaud ou récupérer en mp3 l’indépassable dernier opus de Johnny Hallyday sont des actes similaires.
Les évolutions technologiques ont supprimé la difficulté et le coût des opérations de reproduction d'information, pas leur nature.
Auteurs et éditeurs font face, au XXIème siècle, au même problème existentiel que les fabricants de fiacres ou les maréchaux-ferrants lors de l'avènement de l'automobile au tournant du XXème siècle.
Vers 1810, en Angleterre, la révolte des luddites a amené des artisans tisserands à saboter des métiers mécaniques qui menaçaient leur activité ancestrale. Cette violence désespérée n'a évidemment eu aucune conséquence de long terme.
Les industriels de la musique, du livre et du film se comportent aujourd’hui comme les luddites de naguère.
Comme la destruction des data centers et des smartphones est à peu près impossible, ils essaient de nous culpabiliser moralement en nous expliquant que télécharger gratuitement c'est voler.
Dans le même temps, ils tentent d'extorquer à l'état français, pourtant impécunieux, des subsides publics afin de prolonger leur irrémédiable agonie.
Toutefois, malgré ces combats d'arrière-garde, leur destin est d'ores et déjà scellé.
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Références et compléments
- Voir aussi sur des sujets voisins les chroniques :
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