Enfant, dans les années 1960, lors de la présidence de Charles de Gaulle, chez mes grand-parents, j'aimais aller au grenier et me plonger avec délices dans le dictionnaire universel Larousse en sept volumes acquis par mon arrière-grand-père au début du vingtième siècle.
Les descriptions technologiques dataient un peu et ni les deux conflits mondiaux, ni la décolonisation n'y figuraient.
Toutefois, une bonne part du contenu de cette somme était encore compréhensible et intéressant. Ces dictionnaires étaient une sorte de trésor familial utilisé par plus de trois générations.
Plus tard, au cours des mandats de Georges Pompidou et de Valéry Giscard d'Estaing, je reçus en cadeau une version modernisée, le Larousse encyclopédique en trois volumes.
Au début de la décennie 1970, un tel ouvrage était une dépense conséquente et peu de familles pouvaient se l'offrir. Mes parents faisaient aussi l'effort de maintenir à jour cet investissement en achetant environ chaque deux ans le "Quid", recueil annuel de statistiques et de données diverses.
Ce qui me paraissait être alors des mastodontes de savoir étaient des nains informationnels à l'aune actuelle. Le Larousse encyclopédique ne devait guère dépasser 500 Mégaoctets et le Quid 5 Mégaoctets, soit, respectivement, un soixantième et un six millième de la capacité d'un iPhone.
Le renouvellement annuel de l'information encyclopédique dans ma famille équivalait en quantité de données à une petite application pour smartphone.
Dans de telles conditions, l'enseignement faisait la part belle à la mémoire. L'information était difficile d'accès, peu variable et coûteuse. Pour être à l'aise dans ses vies personnelles, professionnelles et sociales, il était indispensable d'emmagasiner suffisamment de connaissances et de se les remémorer à bon escient.
Devenu étudiant, en 1982, au début du règne de François Mitterrand, durant mon projet de fin d'études, j'ai eu besoin d'obtenir les caractéristiques physiques de gaz spéciaux.
Heureusement, mon stage se déroulant à Grenoble, je pus aller à la bibliothèque universitaire où, après avoir fureté plusieurs heures dans les rayonnages, je finis par dénicher un recueil de données.
En dehors d'une grande ville ou d'une entreprise spécialisée, je n'aurais jamais pu avoir accès à ces valeurs. Trouver un expert du domaine était aussi une tâche quasi impossible.
Désormais, obtenir ces informations ne nécessite que quelques minutes. Il suffit d'interroger Google ou Wikipedia avec le nom du gaz. Avec les communications mobiles, cela peut être fait à toute heure et en tout lieu.
Histoire de rajeunir, j'ai effectué, avec succès mais sans mérite, cette recherche, tout à l'heure, à l'aéroport de Roissy, en tapotant sur mon smartphone.
Aujourd'hui, alors que François Hollande vient d'accéder à la magistrature suprême, notre relation à l'information est totalement changée.
Les coûts de diffusion et de traitement se sont effondrés. Le moindre ordinateur possède une capacité de stockage équivalente à plus de deux cent cinquante mètres de rayonnages d'encyclopédie Larousse.
La Toile, omniprésente, est à même de répondre à nos désirs ou à nos questions. Moteurs de recherche et réseaux sociaux nous conduisent, sans délai, dans le moindre de ses recoins.
Ces bouleversements modifient durablement nos vies mais aussi la société. Comment, entre autres, enseignement, expertises et médias pourraient-ils rester les mêmes ?
La mémoire n'est plus indispensable puisque nous sommes tous dotés d'une myriade connectée de cerveaux auxiliaires au stockage plus efficace que notre matière grise.
De surcroît, collaboration et copie - oserai-je dire plagiat - deviennent centrales.
L'essentiel de ce que nous envoient nos cercles de connaissances sur les réseaux sociaux sont des retranscriptions plus ou moins retouchées d'éléments préexistants. Nous avons réinventé et magnifié, sans en être conscients, le mode de travail des peintres de la Renaissance où plusieurs artistes participaient collectivement à l'élaboration d'un même tableau.
Nous pouvons regretter le monde d'avant internet, mais, que nous le voulions ou non, il a disparu définitivement durant les présidences de Jacques Chirac et de Nicolas Sarkozy.
Pour rythmer cette chronique, j'ai évoqué les présidents successifs de la cinquième république française.
Cela m'a permis, de souligner combien le discours et l'action politiques ont peu pris en compte les révolutions que nous vivons.
Pourtant ce maelström est probablement une des causes profondes des crises actuelles, au delà des aspects financiers de court terme.
Ce bouleversement est aussi la seule opportunité de sortir par le haut du marasme ambiant. Encore faudrait-il savoir collectivement ne pas s'accrocher trop aux branches mortes de notre glorieux passé.
Iphoniquement votre
Références et compléments
- Voir aussi la chronique "Timbres, iPhone et salaires ouvriers" de janvier 2012
- Sur le même thème, je recommande le livre de Michel Serres "Petite Poucette" (Editions Le Pommier, 2012).
- Afin d'obtenir la hauteur rendue nécessaire par le sujet, cette chronique a été écrite, ou plutôt tapotée, à plus de 37 000 pieds, dans l'avion reliant Paris à Mumbai le 20 mai 2012.
Les descriptions technologiques dataient un peu et ni les deux conflits mondiaux, ni la décolonisation n'y figuraient.
Toutefois, une bonne part du contenu de cette somme était encore compréhensible et intéressant. Ces dictionnaires étaient une sorte de trésor familial utilisé par plus de trois générations.
Plus tard, au cours des mandats de Georges Pompidou et de Valéry Giscard d'Estaing, je reçus en cadeau une version modernisée, le Larousse encyclopédique en trois volumes.
Au début de la décennie 1970, un tel ouvrage était une dépense conséquente et peu de familles pouvaient se l'offrir. Mes parents faisaient aussi l'effort de maintenir à jour cet investissement en achetant environ chaque deux ans le "Quid", recueil annuel de statistiques et de données diverses.
Ce qui me paraissait être alors des mastodontes de savoir étaient des nains informationnels à l'aune actuelle. Le Larousse encyclopédique ne devait guère dépasser 500 Mégaoctets et le Quid 5 Mégaoctets, soit, respectivement, un soixantième et un six millième de la capacité d'un iPhone.
Le renouvellement annuel de l'information encyclopédique dans ma famille équivalait en quantité de données à une petite application pour smartphone.
Dans de telles conditions, l'enseignement faisait la part belle à la mémoire. L'information était difficile d'accès, peu variable et coûteuse. Pour être à l'aise dans ses vies personnelles, professionnelles et sociales, il était indispensable d'emmagasiner suffisamment de connaissances et de se les remémorer à bon escient.
Devenu étudiant, en 1982, au début du règne de François Mitterrand, durant mon projet de fin d'études, j'ai eu besoin d'obtenir les caractéristiques physiques de gaz spéciaux.
Heureusement, mon stage se déroulant à Grenoble, je pus aller à la bibliothèque universitaire où, après avoir fureté plusieurs heures dans les rayonnages, je finis par dénicher un recueil de données.
En dehors d'une grande ville ou d'une entreprise spécialisée, je n'aurais jamais pu avoir accès à ces valeurs. Trouver un expert du domaine était aussi une tâche quasi impossible.
Désormais, obtenir ces informations ne nécessite que quelques minutes. Il suffit d'interroger Google ou Wikipedia avec le nom du gaz. Avec les communications mobiles, cela peut être fait à toute heure et en tout lieu.
Histoire de rajeunir, j'ai effectué, avec succès mais sans mérite, cette recherche, tout à l'heure, à l'aéroport de Roissy, en tapotant sur mon smartphone.
Aujourd'hui, alors que François Hollande vient d'accéder à la magistrature suprême, notre relation à l'information est totalement changée.
Les coûts de diffusion et de traitement se sont effondrés. Le moindre ordinateur possède une capacité de stockage équivalente à plus de deux cent cinquante mètres de rayonnages d'encyclopédie Larousse.
La Toile, omniprésente, est à même de répondre à nos désirs ou à nos questions. Moteurs de recherche et réseaux sociaux nous conduisent, sans délai, dans le moindre de ses recoins.
Ces bouleversements modifient durablement nos vies mais aussi la société. Comment, entre autres, enseignement, expertises et médias pourraient-ils rester les mêmes ?
La mémoire n'est plus indispensable puisque nous sommes tous dotés d'une myriade connectée de cerveaux auxiliaires au stockage plus efficace que notre matière grise.
De surcroît, collaboration et copie - oserai-je dire plagiat - deviennent centrales.
L'essentiel de ce que nous envoient nos cercles de connaissances sur les réseaux sociaux sont des retranscriptions plus ou moins retouchées d'éléments préexistants. Nous avons réinventé et magnifié, sans en être conscients, le mode de travail des peintres de la Renaissance où plusieurs artistes participaient collectivement à l'élaboration d'un même tableau.
Nous pouvons regretter le monde d'avant internet, mais, que nous le voulions ou non, il a disparu définitivement durant les présidences de Jacques Chirac et de Nicolas Sarkozy.
Pour rythmer cette chronique, j'ai évoqué les présidents successifs de la cinquième république française.
Cela m'a permis, de souligner combien le discours et l'action politiques ont peu pris en compte les révolutions que nous vivons.
Pourtant ce maelström est probablement une des causes profondes des crises actuelles, au delà des aspects financiers de court terme.
Ce bouleversement est aussi la seule opportunité de sortir par le haut du marasme ambiant. Encore faudrait-il savoir collectivement ne pas s'accrocher trop aux branches mortes de notre glorieux passé.
Iphoniquement votre
Références et compléments
- Voir aussi la chronique "Timbres, iPhone et salaires ouvriers" de janvier 2012
- Sur le même thème, je recommande le livre de Michel Serres "Petite Poucette" (Editions Le Pommier, 2012).
- Afin d'obtenir la hauteur rendue nécessaire par le sujet, cette chronique a été écrite, ou plutôt tapotée, à plus de 37 000 pieds, dans l'avion reliant Paris à Mumbai le 20 mai 2012.