Connaître et apprécier l'histoire est différent de la commémorer sans cesse.
Événements et personnages sont habituellement plus ambigus que leur célébration à grands renforts d'estrades, de fleurs et de drapeaux.
À moins que les commémorations ne révèlent les véritables pensées de leurs organisateurs.
Jugez sur pièces avec cet exemple simultanément révolutionnaire et grenoblois.
Cette commémoration plus que bicentenaire - prévue cours Jean Jaurès et cours de la Libération - "met en scène les audaces dont Grenoble déborde" grâce à "la thématique « en marche, la marche, ça marche »" ainsi "qu'au chant et à la danse comme axes artistiques".
Durant les années 1780, le roi Louis XVI et les plus éclairés de ses ministres, sentant que leur régime se fissurait, tentèrent d'imposer des réformes.
Notamment, en mai 1788, ils voulurent mettre fin aux parlements qui étaient, à la fois, des tribunaux et des chambres d'enregistrement des lois mais aussi de puissants bastions du conservatisme féodal et des particularismes locaux.
La noblesse de robe, arc-boutée sur ses privilèges ancestraux, engagea illico le bras de fer avec une royauté trop progressiste à ses yeux.
Une partie de la bourgeoisie lui emboîta le pas, pensant trouver une occasion de rejoindre le club par la reconnaissance des mérites de sa richesse.
Des échauffourées eurent lieu un peu partout, notamment à Paris et à Rennes. À Grenoble, la défense des parlementaires atteignit son paroxysme.
La capitale du Dauphiné était alors une petite ville d'à peine 20 000 personnes enserrée dans des remparts exigus.
L'essentiel de la population dépendait, directement ou indirectement, des activités de son parlement. Sa mise en vacances menaçait directement la survie de la bourgade.
Aussi le 7 juin 1788, alors que les représentants locaux du roi voulaient éloigner de Grenoble les parlementaires, une émeute conséquente éclatait, attisée par des troupes mal commandées et mal inspirées.
Celles-ci, après avoir fait usage de leurs fusils, furent soumises à une pluie de tuiles lancées par des habitants juchés sur les toits.
En fin de journée, 3 morts et plusieurs dizaines de blessés étaient à déplorer.
Pour mettre fin à une insurrection presque hors de contrôle, le gouverneur cédait et acceptait que les parlementaires, acclamés par les émeutiers, restent en ville.
Quelques semaines plus tard, afin de ramener un calme durable, la monarchie se résolut à réunir les états-généraux du Dauphiné, à Vizille puis à Romans sur Isère, après un siècle et demi d'interruption.
Dans la foulée, sous pression de toute part, trop affaibli pour réformer, Louis XVI convoqua pour le printemps 1789 des états-généraux nationaux.
La révolution française était en marche.
Contrairement à l'imagerie à la fin du 19ème siècle véhiculée par la troisième république naissante en mal de symboles, la journée des tuiles ne fut pas une révolte populaire spontanée revendiquant, un an avant Paris, l'égalité des droits.
À peine la réforme annoncée, les parlementaires grenoblois, avec à leur tête le très charismatique et très noble Albert de Bérulle, se sont crispés sur leurs prérogatives et privilèges vieux de plus de 3 siècles.
Des avocats issus de la bourgeoisie - notamment Antoine Barnave et Jean-Joseph Mounier - leur ont emboîté le pas espérant récupérer un bout du fromage et agirent efficacement pour entraîner la population urbaine dans leur sillage.
Les campagnes alentour n'ont pas participé à l'émeute.
À court terme, la journée des tuiles permit de rétablir le statu quo au prix d'un affaiblissement de la royauté.
Un an plus tard, la révolution française débutait qui allait balayer les institutions monarchiques - à commencer par les parlements - et unifier les lois sur tout le territoire.
Néanmoins - en osant l'anachronisme du vocabulaire contemporain - ces deux politiques grenoblois n'étaient pas vraiment des gauchistes, bien au contraire.
Même si Mounier rédigea, à l'été 1789, les trois premiers articles de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen, Barnave et lui furent vite parmi les meilleurs défenseurs, avec quelques nuances, de la monarchie constitutionnelle, du suffrage censitaire et même de l'inégalité entre blancs et noirs.
Antoine Barnave finit en 1793 ratiboisé par une guillotine à cause de sa trop grande proximité avec la reine Marie Antoinette.
Jean-Joseph Mounier, plus soucieux de son intégrité physique, alla faire du tourisme en Suisse dès 1790 avant d'être rappelé par Napoléon après 1800 qui le neutralisa sous les honneurs.
Il mourut courageusement dans son lit en 1806.
Historiquement votre
Références et compléments
Mes remerciements à Jean, une fois encore, initiateur de cette chronique.
Voir aussi d'autres chroniques sur les commémorations historiques douteuses
Événements et personnages sont habituellement plus ambigus que leur célébration à grands renforts d'estrades, de fleurs et de drapeaux.
À moins que les commémorations ne révèlent les véritables pensées de leurs organisateurs.
Jugez sur pièces avec cet exemple simultanément révolutionnaire et grenoblois.
À Grenoble des tuiles à gauche toute
L'actuelle municipalité daltonienne grenobloise - composée de verts et de rouges et menée par l'écologiste Eric Piolle - organise le 4 juin 2016, pour la seconde année, la "fête des tuiles" qui exalte la journée éponyme de 1788, "étincelle de la Révolution Française".Cette commémoration plus que bicentenaire - prévue cours Jean Jaurès et cours de la Libération - "met en scène les audaces dont Grenoble déborde" grâce à "la thématique « en marche, la marche, ça marche »" ainsi "qu'au chant et à la danse comme axes artistiques".
La journée des tuiles premier ébranlement de la monarchie française
La journée des tuiles peinte par Alexandre Debelle en 1890 |
Durant les années 1780, le roi Louis XVI et les plus éclairés de ses ministres, sentant que leur régime se fissurait, tentèrent d'imposer des réformes.
Notamment, en mai 1788, ils voulurent mettre fin aux parlements qui étaient, à la fois, des tribunaux et des chambres d'enregistrement des lois mais aussi de puissants bastions du conservatisme féodal et des particularismes locaux.
La noblesse de robe, arc-boutée sur ses privilèges ancestraux, engagea illico le bras de fer avec une royauté trop progressiste à ses yeux.
Une partie de la bourgeoisie lui emboîta le pas, pensant trouver une occasion de rejoindre le club par la reconnaissance des mérites de sa richesse.
Des échauffourées eurent lieu un peu partout, notamment à Paris et à Rennes. À Grenoble, la défense des parlementaires atteignit son paroxysme.
La capitale du Dauphiné était alors une petite ville d'à peine 20 000 personnes enserrée dans des remparts exigus.
L'essentiel de la population dépendait, directement ou indirectement, des activités de son parlement. Sa mise en vacances menaçait directement la survie de la bourgade.
Aussi le 7 juin 1788, alors que les représentants locaux du roi voulaient éloigner de Grenoble les parlementaires, une émeute conséquente éclatait, attisée par des troupes mal commandées et mal inspirées.
Celles-ci, après avoir fait usage de leurs fusils, furent soumises à une pluie de tuiles lancées par des habitants juchés sur les toits.
En fin de journée, 3 morts et plusieurs dizaines de blessés étaient à déplorer.
Pour mettre fin à une insurrection presque hors de contrôle, le gouverneur cédait et acceptait que les parlementaires, acclamés par les émeutiers, restent en ville.
Quelques semaines plus tard, afin de ramener un calme durable, la monarchie se résolut à réunir les états-généraux du Dauphiné, à Vizille puis à Romans sur Isère, après un siècle et demi d'interruption.
Dans la foulée, sous pression de toute part, trop affaibli pour réformer, Louis XVI convoqua pour le printemps 1789 des états-généraux nationaux.
La révolution française était en marche.
La journée des tuiles dernier soubresaut de l'ordre ancien
Albert de Bérulle premier président du parlement du Dauphiné lors de la journée des tuiles |
Contrairement à l'imagerie à la fin du 19ème siècle véhiculée par la troisième république naissante en mal de symboles, la journée des tuiles ne fut pas une révolte populaire spontanée revendiquant, un an avant Paris, l'égalité des droits.
À peine la réforme annoncée, les parlementaires grenoblois, avec à leur tête le très charismatique et très noble Albert de Bérulle, se sont crispés sur leurs prérogatives et privilèges vieux de plus de 3 siècles.
Des avocats issus de la bourgeoisie - notamment Antoine Barnave et Jean-Joseph Mounier - leur ont emboîté le pas espérant récupérer un bout du fromage et agirent efficacement pour entraîner la population urbaine dans leur sillage.
Les campagnes alentour n'ont pas participé à l'émeute.
À court terme, la journée des tuiles permit de rétablir le statu quo au prix d'un affaiblissement de la royauté.
Un an plus tard, la révolution française débutait qui allait balayer les institutions monarchiques - à commencer par les parlements - et unifier les lois sur tout le territoire.
Des révolutionnaires peu révolutionnaires
Les regrettés avocats grenoblois Barnave et Mounier, élus aux états-généraux de 1789, furent très actifs au commencement de la révolution.Néanmoins - en osant l'anachronisme du vocabulaire contemporain - ces deux politiques grenoblois n'étaient pas vraiment des gauchistes, bien au contraire.
Même si Mounier rédigea, à l'été 1789, les trois premiers articles de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen, Barnave et lui furent vite parmi les meilleurs défenseurs, avec quelques nuances, de la monarchie constitutionnelle, du suffrage censitaire et même de l'inégalité entre blancs et noirs.
Barnave caricaturé en Janus à 2 faces : 1789 l'homme du peuple, 1791 l'homme de la cour |
Jean-Joseph Mounier |
Il mourut courageusement dans son lit en 1806.
Historiquement votre
Références et compléments
Mes remerciements à Jean, une fois encore, initiateur de cette chronique.
Voir aussi d'autres chroniques sur les commémorations historiques douteuses
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- Parlement du Dauphiné
- Antoine Barnave
- Jean-Joseph Mounier
- Eric Piolle
- Tableau de la journée des tuiles peint par Alexandre Debelle
- Albert de Bérulle
- Antoine Barnave
- Jean-Joseph Mounier