mercredi 27 juin 2012

Les nombres sont des traîtres, démasquons-les !

Les nombres, encore plus que les langues d'Ésope, sont la meilleure et la pire des choses.

Notre entendement est mis à rude épreuve dès qu'on le soumet à plus de deux ou trois chiffres simultanément.
Pour convaincre, rien de tel qu'une ou deux valeurs bien amenées au milieu de votre propos. Dénombrer vous auréole immédiatement de respectabilité et vous permet de justifier à peu près n'importe quoi.
De même, pour s'opposer, les nombres sont d'excellents savonneurs de planche.

Les nombres utilisés dans une argumentation se répartissent en trois types principaux.

- Le type le plus courant est la valeur brute.
Exemple : le ministre va augmenter les effectifs des enseignants du secondaire de 6 000 postes à la rentrée.
Plus une valeur est grande, plus elle parait impressionnante. Ainsi les anciens francs ont perduré quasiment jusqu'au passage à l'euro.
Un effet similaire est obtenu avec des nombres microscopiques.
Combiner nombres astronomiques et lilliputiens bétonne une démonstration : la sécurité des transports aériens est excellente puisque le nombre de tués ne dépasse 0.005 décès pour 100 000 000 kilomètres parcourus.

- Le pourcentage donne une impression de sérieux tout en restant facétieux.
Exemple : le ministre va augmenter les effectifs des enseignants du secondaire de 0.79% à la rentrée.
Les pourcentages font partie du langage quotidien mais peu d'entre nous les maitrisent vraiment.
Il nous a fallu plusieurs années pour arriver péniblement à réussir nos exercices de maths sur ce thème. Et depuis, beaucoup d'eau a coulé à travers robinets et baignoires ...
Un petite question pour vous convaincre du coté espiègle du pourcentage. Si l'inflation annuelle passe de 1.5% à 2%, quelle est son augmentation en pourcentage ? La bonne réponse est 33% et non pas 0.5%.
Moins un pourcentage est arrondi, plus il donne l'impression de provenir d'un raisonnement scientifique rigoureux. Au lieu dire le nombre de malades a diminué d'un petit quart, préférez la décroissance des personnes infectées s'établira au dessus de 23.70%.

- Le ratio ou la comparaison sont le type le plus retors.
Exemple : le ministre va augmenter les effectifs des enseignants du secondaire d'un demi-professeur par collège ou lycée à la rentrée.
C'est bien connu la division est une arme favorite des opposants. Cela reste vrai en arithmétique.
Pour saboter n'importe quel projet, il suffit juste de trouver une comparaison la plus concrète possible.
Il y a une quinzaine d'années, votre serviteur, en un geste, a pourri deux heures d'explications rationnelles d'un aménagement urbain par le conseil municipal. Je me suis contenté de sortir quelques billets de ma poche et d'indiquer que les travaux prévus coûteraient 500 francs par habitant.
Les adversaires des impôts et cotisations sociales, au lieu d'expliquer qu'environ 70% de la richesse générée par les cadres sont consacrés à la collectivité, préfèrent assener que cette catégorie professionnelle travaille du 1er janvier au 12 septembre pour le percepteur.

La meilleure façon de ne pas être dupe d'une argumentation chiffrée consiste à systématiquement prendre le contre-pied de ce qui est énoncé.
Une valeur est mise en avant ? Transformons là en ratio ou en pourcentage !
Un pourcentage surgit ? Calculons la valeur qu'il représente !
Une comparaison s'invite ? Démontons là !

Voici, pour illustrer, deux exemples glanés ce jour sur le site du journal Le Monde.

- "Des colas [...] testés renferment de l'alcool [...] à des doses très faibles, inférieures à 10 mg/l soit 0,001 % d'alcool".
Diantre, la boisson d'Atlanta ne serait donc pas Halal ?
En fait, si on compare à une bière classique dont le degré alcoolique est de 5%, il faudrait ingurgiter en quelques minutes 5 000 verres de cola pour obtenir le même effet qu'une chope bien mousseuse.
Les fruits un peu trop murs renferment une quantité d'alcool supérieure aux sodas incriminés.

- Le nombre d'environ "30 000 régularisations" annuelles d'étrangers sans-papiers confirmé par le nouveau ministre de l'intérieur Manuel Valls
Si Charles Martel ressuscitait à Meylan dans la banlieue de Grenoble, il s'écrierait fichtre ! 30 000 personnes ! Une fois et demi la population de ma commune ! Tous ces gouvernements successifs sont incapables de faire cesser cette invasion !
A cela, Marie Curie lui répondrait que résident actuellement en France 7.2 millions d'immigrés. Les régularisations Guéant-Valls ne réprésentent donc que 0.417% de ce total.
J'ai laissé, volontairement, trainer quelques pièges dans ce dernier "déchiffrage" que je vous laisse rechercher par vous-même. Les commentaires attendent vos déductions.

Numériquement votre

Références et compléments
- L'exemple sur les accroissement des effectifs d'enseignants du secondaire provient de la récente chronique "dans le Peillon, tout est bidon !" au thème très connexe.
- J'en profite pour rappeler que Manuel Valls le régularisateur n'a toujours pas répondu à ma lettre ouverte sur la police des frontières de Roissy publiée le 27 mai 2012.
- Les autres chroniques "déchiffrage".
- L'augmentation de l'inflation en pourcentage se calcule en effectuant l'opération (2% - 1.5%) / 1.5% et non pas en soustrayant 1.5% à 2%.
- Les deux articles du Monde : Les ingrédients cachés des sodas enfin révélés & Manuel Valls : "Etre de gauche, ce n'est pas régulariser tous les sans-papiers".
- Articles Wikipedia sur l'immigration en France & sur les statistiques d'accidents d'avion
- Je remercie Jean pour m'avoir suggéré le thème de ce "déchiffrage" ainsi que le twittonaute @chris pour ses échanges stimulants.