mardi 19 juillet 2016

Un génocide presque parfait

Les auteurs de génocides ne sont pas uniquement obsédés par l’extermination des populations qu'ils exècrent.
Ils veulent aussi faire place nette en supprimant toute trace matérielle ou symbolique de leurs victimes. 

Retour sur un passé européen trop vite passé. 

1944

Imaginez une bourgade de 20 000 habitants - comme il en existe des milliers en Europe - et dont la principale particularité est de n'en point avoir.

Imaginez deux communautés cohabitant dans cette ville depuis plus de deux siècles.

Imaginez, à l’issue de la première guerre mondiale, la dislocation du fragile équilibre et la lente montée de la haine sectaire.

Imaginez la seconde guerre mondiale poussant ces passions délétères à leur paroxysme.

Imaginez une armée étrangère en pleine débâcle, soutenue par des miliciens locaux, trouvant les moyens et le temps d’entasser dans quelques maisons de deux petites rues un habitant sur quinze, la totalité de la communauté minoritaire.

Imaginez ces 1221 personnes de tous âges, déportées, dans des wagons à bestiaux, vers un camp de la mort, au terme d'un trajet chaotique de 500 kilomètres.

Imaginez moins de cent survivants.

Imaginez une nouvelle dictature poussant insidieusement à la fuite ces rares rescapés.

2016

Observez les paisibles rues ensoleillées du centre de cette même bourgade européenne, 72 ans plus tard.



Observez la floraison de statues, de monuments et de plaques à la gloire des héros nationaux et des célébrités locales.





Observez que deux plaques seulement commémorent des victimes du génocide.




Observez un bâtiment imposant et rénové en lisière du centre-ville.
Google et l’office du tourisme le décrivent comme l’auditorium municipal.
Mais Wikipedia explique sobrement qu'avant cela, il fut le principal édifice religieux de la communauté disparue.



« C’est peut-être là que se cache le diable : non dans le fait que l'homme tue, mais dans celui que les vertus indispensables au crime deviennent pour lui l'ordre du monde. »
Imre Kertész
Mémoriellement votre

Références et compléments
Ma gratitude à Odile qui, sans le savoir, est à l’origine de cette chronique.

Pour être précis, le cimetière de la bourgade abrite un monument aux victimes du génocide.
Toutefois, ce lieu - qui n’est pas indiqué dans les documentations et informations anglophones à destination des visiteurs - n’est pas à proximité du centre-ville.
Aussi mes pérégrinations pédestres ne m’y on pas conduit.
Plus de détails, en suivant ce lien qui conduit à un article en anglais.

Voir aussi, sur un thème voisin, la chronique "à Berlin entre anciens et nouveaux démons".

Les photos ont été prises par l'auteur en avril et juillet 2016.