mardi 17 mars 2015

Les 30 glorieuses étaient-elles si glorieuses ?

Pour sortir de la mouise dans laquelle nous pataugeons, d'excellents esprits - l'impayable Eric Zemmour en tête - nous suggèrent de ressusciter les années 1960.

Je vous propose, fidèle aux traditions de ce blog, d'examiner cela de plus près.

Forte croissance et plein emploi

Les “30 glorieuses” - grosso modo de 1955 à 1975 - furent le siège d'une activité économique florissante.
La France et l'ouest de l'Europe, abondamment financés par les États-Unis, s'échinaient à se reconstruire puis à rattraper leurs libérateurs et modèles.
Chaque année, la richesse nationale française augmentait de 5% à 8%. Actuellement, nous sablons le champagne quand cet indicateur dépasse péniblement 1%.
Seul, 1 français sur 50 souhaitant travailler était au chômage, contre 1 sur 10 désormais.

Des frontières économiques ouvertes

Les traités de libre échange de la CECA (Communauté Européenne du Charbon et de l'Acier) en 1952 puis de Rome en 1957 ont fait tomber les barrières douanières à l'ouest de l'Europe.
La constitution d'un vaste espace économique a procuré un grand coup de doping à une activité déjà soutenue.

Une époque calme

Les sixties n'étaient guère criminelles. Annuellement, 1 personne sur 75 était victime d'une agression, d'un vol ou d'un délit déclarés aux forces de l'ordre.
Ce ratio s'est dégradé à partir du début des années 1970. De 1980 à 2000, il a même atteint des pics à 1 personne sur 15.
Depuis une petite dizaine d'années, le taux de criminalité s'est stabilisé. Environ un français sur 20 est touché chaque année par la délinquance.

Un monde dangereux avec deux blocs face à face

La fin de la seconde guerre mondiale a accouché de deux superpuissances, USA et URSS, qui, rapidement, divisèrent l'Europe en deux zones d'influence séparées par l'imperméable rideau de fer.
Le dispendieux équilibre de la terreur nucléaire a, petit à petit, transformée la guerre froide en paix aussi peu chaleureuse.
Jusqu'au milieu des années 1970, le risque de conflit est resté maximal. Des milliers de chars, prêts à se fracasser, se faisaient face dans les plaines d'Europe centrale. La sympathique Armée Rouge n'était, comme le disait Charles de Gaulle, qu'à une étape du Tour de France de l'Alsace.
Le reste de la planète, qualifié de tiers monde, était sommé de s'aligner sur l'un ou l'autre camp et peinait à se développer.

Service militaire obligatoire et risque de guerre

La confrontation est-ouest reposait sur des appareils militaires pléthoriques nourris par la conscription.
La France, après avoir sacrifié sa jeunesse dans deux conflits mondiaux, n'a pas su lâcher assez vite son empire colonial. De 1954 à 1962, les appelés du contingent se sont battus et sont morts pour rien en Algérie.
Leurs successeurs, dont une part importante était stationnée en Allemagne, étaient incorporés dans des unités dont la mission était d'arrêter les forces soviétiques.

Forte immigration

Durant la décennie 1960, le nombre d'étrangers venant s'installer dans notre bel Hexagone était sensiblement identique à aujourd'hui, 200 000 chaque année.
Toutefois, la population totale était moindre, 45 millions de français contre 65 actuellement.
Aussi le taux d'immigration annuel était de sensiblement 1 pour 200, alors qu'il a diminué à 1 pour 325.

Les hommes aux hauts fourneaux, les femmes à la cuisine

L'éventail des emplois était largement peu qualifié.
Vers 1960, 1 actif sur 4 était toujours paysan, moins de 3% désormais.
1 sur 3 était ouvrier, principalement en usine, souvent avec des conditions de travail très physiques et des horaires autour de 45 heures hebdomadaires. Aujourd'hui, les ouvriers ne représentent plus qu'un actif sur 5, employés surtout dans l'artisanat et la logistique. Les usines ne font plus travailler directement qu'un français sur 20.
Enfin, 4 personnes sur 10 oeuvraient dans les services, avec des paies maigrichonnes. Ce secteur occupe désormais presque 85% d'entre nous.
À peine 1 personne sur 10 exerçait un métier requérant des études supérieures, 60% maintenant.
Grandes absentes des usines, moins de 4 femmes sur 10 avaient une activité hors de leur domicile, à comparer aux 85% actuels.

Baby boom

Cause ou conséquence, difficile à dire, mais le faible taux d'emploi des femmes s'accompagnait d'une très forte fertilité.
La natalité était presque une fois et demie plus dynamique qu'actuellement : 2.85 enfants par femme en 1960, 2 désormais.
Parallèlement, notre espérance de vie a gagné 11 ans, 82 ans contre 71.

Des mœurs surannées

Les libertés privées ou sexuelles et l'égalité entre hommes et femmes ont mis beaucoup de temps à s'imposer au niveau législatif :
  • Suppression de l'autorisation de l'époux pour permettre à une femme mariée de travailler ou d'ouvrir un compte en banque : 1965
  • Légalisation de la contraception : 1967
  • Suppression de la notion de chef de famille : 1970
  • Légalisation de l'avortement : 1974
  • Divorce par consentement mutuel : 1975
  • Dépénalisation de l'adultère : 1975
  • Dépénalisation de l'homosexualité : 1981
  • Gestion commune du foyer par les deux époux : 1985
Conséquence, il y avait annuellement, lors de la décennie 1960, 7 à 8 mariages pour 1 000 personnes. Ce ratio a chuté à moins de 4, malgré la forte augmentation des divorces qui, pourtant, mécaniquement, favorisent les remariages.

Rareté de l'information

Bien évidemment dans les sixties et seventies, il n'y avait ni internet, ni téléphone portable.
Un proverbe disait même que la moitié de la France attendait le téléphone et l'autre moitié la tonalité. En 1970, à l'issue d'un effort national, le ministre des “PTT” se vantait d'avoir atteint 10 millions d'abonnés au téléphone, fixe et hors de prix.
La première chaîne de télévision, en noir et blanc et aux mains exclusives de l'état, a vu le jour en 1949. Il faudra toutefois attendre la fin des années 1950 pour que sa couverture et son audience décollent.
La seconde chaîne de télévision est née en 1964. Son passage à la couleur débuta en 1967.
Le paysage radiophonique était nettement plus diversifié.
Les trois radios publiques - France Inter, France Culture, France Musique - faisaient face à une forte concurrence. Trois stations dites périphériques - elles émettaient hors de France pour échapper au monopole - bousculaient les voix officielles de l'état gaulliste.
Ces rebelles, dont le son grésillant ne pouvait être capté qu'en “grandes ondes”, étaient Radio Luxembourg devenue RTL, Europe n°1 qui diffusait depuis la Sarre et Radio Monte-Carlo, inaudible au nord de la Loire.

L'histoire, telle une médaille, possède deux faces, difficiles à séparer.

Glorieusement votre

Références et compléments
- Voir aussi la chronique "Généalogie de la croissance - L'histoire familiale raconte l'économie et la démographie"
- L'évolution du taux de criminalité provient du blog Actualitix
- Les "30 glorieuses" est une expression due à Jean Fourastié