mercredi 10 octobre 2012

Rire du voile ?

Une étonnante vidéo, sous-titrée en français, de Gamal Abdel Nasser fait ces jours-ci le tour du web.
Dans ce film, probablement enregistré au début des années 1960, le raïs y explique, en arabe dialectal égyptien, sur le ton de la conversation, comment, après le coup d'état de 1952, ses tentatives d'associer les frères musulmans au nouveau pouvoir ont fait chou blanc.
Les islamistes de l'époque conditionnaient, selon Nasser, leur soutien à l'imposition du voile à toutes les égyptiennes.
Le président de feue la République Arabe Unie, très en verve, termine son récit avec une chute humoristique ponctuée d'un geste éloquent de la main. La salle, à coup sur remplie de courtisans, éclate de rire et interpelle l'orateur à plusieurs reprises.
Nasser plaisante sur le voile et les frères musulmans devant un auditoire acquis et hilare.

Il y a une cinquantaine d'années, le voile et l'islamisme étaient un thème de rigolade officielle dans l'Egypte d'alors. Pourquoi, depuis, un voile est-il retombé sur le voile ?

Le monde de Nasser, de Bourguiba et de leurs consorts était simple.
Le rideau, pardon le voile, se levait sur un avenir prometteur. Débarrassé du fardeau de la colonisation, le monde arabe allait se développer à vive allure grâce à un savant mélange de modernisme, d'étatisme, de marxisme et de nationalisme. Les succès économiques et symboliques seraient très vite au rendez-vous.

Depuis, la roue voilée du temps a tourné et les lendemains ont cessé de chanter les mélodies d'Oum Kalthoum.
Sous la pression des réalités, les inefficaces idéologies des luttes nationales ont été remisées et les régimes initialement dynamiques se sont enkystés dans la dictature.
La manne pétrolière n'a profité qu'à la poigne d'airain d'opulentes monarchies d'opérette et d'impudents généraux.
Grâce à un libéralisme économique mais pas politique, l'essor économique a fini par survenir, hélas accompagné d'un cortège d'inégalités.
Transition démographique, exode rural, croissance urbaine et déferlement technologique ont secoué les bases des sociétés civiles.
Et, surtout, aucune réussite emblématique n'est à mettre au crédit des nations arabes. Qui peut citer, au niveau mondial, des vedettes, sportifs, prix Nobel, chefs d'entreprise, leaders d'opinion du Maghreb ou du Machrek ? Les rares individualités qui viennent à l'esprit sont, soit décédées à l'instar de Naguib Mahfouz, soit expatriées comme Carlos Ghosn.

Comment s'étonner que beaucoup cachent leurs frustrations derrière des attitudes rétrogrades trop simplistes ?
Le retour du voile recouvre d'abord les exorbitantes promesses non tenues de Nasser et Bourguiba.

Nasser conclut son intervention filmée en expliquant qu'il n'a ni les moyens, ni la volonté d'imposer aux égyptiennes un voile que même la fille d'un dignitaire islamiste refuse. Ce que le raïs, pourtant peu avare de méthodes musclées, ne pouvait exiger, les sociétés arabes se le sont, au fil du temps, infligées elles-mêmes.

Toutefois, les révolutions de Tunisie et de d'Egypte de début 2011 ont montré que le pire n'est jamais certain.
Aussi, malgré des élections libres ayant produit un personnel politique âgé et déçu du bourguibisme ou du nassérisme, je persiste à espérer que la jeunesse arabe saura faire tomber ses voiles et les hisser en direction du grand large !

Bientôt, pour paraphraser Pierre Desproges, il sera à nouveau possible de rire de tout à Tunis ou au Caire, mais peut-être pas avec toutes les vieilles barbes !

Voiliquement votre.